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La fragmentation du monde

Publié le 19 juin 2008 par Argoul

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Crédit photo : Digital7winter/FlickR

Une série de symptômes nous indiquent que nous changeons de monde. Nous sommes en train de passer d’un monde saint-simonien régi par l’Occident avec pour idéal le progrès, l’humanisme scientifique et social – à un autre monde, encore en devenir. Il sera bâti par la Chine et l’Inde, le Brésil et le Mexique, le Nigeria et d’autres. Ce sont les valeurs d’Asie, les plus anciennes et les plus puissantes en nombre de porteurs, qui vont infléchir le monde qui vient. Nul doute qu’il nous faudra revoir nos façons de voir et nos investissements !

Cette concurrence des nouvelles valeurs, je ne la confonds pas avec la guerre ‘par essence’ des civilisations de l’Américain Huntington. Je considère qu’il n’y a pas incompatibilité entre civilisations mais le plus souvent échanges. Sauf lorsque naît une concurrence pour les ressources, l’économie n’étant que le bras armé de la puissance. C’est à ce moment que chacun se crispe et revendique “ses valeurs” comme drapeau. Les Etats-Unis ne viennent-ils pas d’en donner l’exemple avec la contestation “procédurière” (valeur américaine) du contrat industriel d’avions ravitailleurs confié à EADS, soumis à appel d’offre “libéral” (valeur européenne, les USA ayant toujours préféré la puissance au libre-échange) ? Pétrole et gaz, métaux, céréales, eau, sont des biens de base qui se font rares à mesure que les pays nombreux émergent au développement. Nous devons, de fait, les partager ; nous n’en sommes qu’au début. De même que nous partageons déjà l’influence de l’homme sur le climat, qui change plus vite du fait des rejets de gaz et des pollutions diverses.

La prise de conscience que nous ne sommes plus les maîtres, et que le développement (valeur positive) se double du renchérissement des matières et d’un impact croissant sur l’environnement (valeurs négatives), avive les craintes et fait se replier sur soi. Les symptômes en sont la crise financière américaine, les récentes déclarations des officiels inquiets d’une chute accrue du dollar qui risque de remettre en cause son rôle de monnaie de réserve, la critique de l’ALENA par Obama, le NON irlandais à l’Europe (qui ne fait que suivre celui des Français et des Néerlandais au Traité, et de certains pays hier à l’euro), et la toute récente prise de participation au capital des Chantiers de l’Atlantique par l’Etat français. La mondialisation est ambivalente : positive lorsqu’elle ouvre les échanges et permet la circulation des idées, des capitaux et marchandises ; négative lorsqu’elle vient concurrencer trop fort et trop vite les situations établies et prendre le contrôle de pans entiers d’industries vitales pour les nations. Nous ne sommes pas dans un monde du droit mais dans un monde de puissances. La volonté occidentale (européenne seulement ?) de régler tout différent par le droit reste une utopie – qu’il faut poursuivre – mais en restant conscient des rapports de force et des intérêts à défendre.

Chinois, Brésiliens et Africains reprochent aux pays du nord de protéger leur agriculture par des barrières (le plus souvent sanitaires) et des subventions – ils n’ont pas tort. Les Occidentaux s’inquiètent de l’activisme acheteur des fonds souverains et des entreprises étrangères dans le capital de grosses entreprises stratégiques – ils n’ont pas tort. Après Péchiney, Arcelor, dans l’industrie de base, est parti sous contrôle étranger ces dernières années. Il s’agit certes du jeu du capitalisme (pour les idéologues libéraux) et de la réalisation concrète de la nouvelle égalité nord-sud (pour les idéologues progressistes). Il n’empêche : le peuple réagit sourdement en contestant les élites, en s’inquiétant pour sa monnaie ou ses engagements militaires, en ralentissant le train de la construction européenne trop technocratique et « harmonisatrice », en revendiquant contre les accords et directives venus d’ailleurs et jamais discutés à leur niveau.

En cause, l’identité, la maîtrise de chacun sur son destin. La flambée du pétrole venue de l’international cause un choc aux transporteurs et aux pêcheurs ; la production forcenée d’éthanol de première génération (surtout aux Etats-Unis) fait grimper les prix du maïs et du soja, entraînant un réflexe protectionniste de la part de pays exportateurs de céréales, concernées ou non par cette transformation (Thaïlande, Argentine,…) – ce qui fait monter les prix alimentaires ; la spéculation sans frein venue d’Amérique sur les crédits immobiliers titrisés (dont les subprimes) annonce la fin des taux bas et du relâchement du crédit – ce qui restreint l’accès à l’immobilier ; les quotas de pêche européens n’empêchent nullement les pays non-européens de ramasser les espèces menacées – ce qui restreint le travail de nos pêcheurs. Chacun se trouve désormais concerné par le monde entier et les institutions traditionnelles apparaissent mal armées pour conduire la situation.

La région ne fait que du social (France) ou du folklore ethno-linguistique (Belgique, Espagne) ; l’Etat est impuissant sur beaucoup de choses (TVA européenne, prix de l’essence, délocalisations, politique de concurrence, niveau de l’euro) ; l’Europe hésite entre vaste marché et puissance géopolitique (la France voudrait la puissance, l’Angleterre le seul marché) ; les institutions globales (OMC, FMI, Banque Mondiale, ONU) apparaissent comme de simples forums où les intérêts divergents font se perdre toute décision dans les méandres bureaucratiques. D’où l’abandon du FMI par la plupart des pays d’Amérique latine ; le NON au nouveau Traité européen de l’Irlande ; l’impuissance de la FAO ou de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU ; la prise de participation de l’Etat français dans une entreprise stratégique (à la suite du non américain à l’entrée d’un fonds chinois dans le capital d’une entreprise pétrolière et du non à un fonds arabe dans les ports autonomes).

Il ne s’agit pas du vieux débat entre le marché et l’Etat, ou entre liberté et régulation. Il est déjà dépassé…

Il s’agit d’un débat qui revient un siècle en arrière : le retour des nations, le souverainisme, la lutte entre zones d’influences. Le monde, que l’on croyait unir par les valeurs en 1946, puis par le commerce dès 1950 en Europe et dans les années 1990 par l’ONU et le libre-échange mondial après la chute du bloc soviétique, se fragmente à nouveau. Il s’agglomère en blocs d’affinités économiques et culturelles. L’investissement se doit déjà d’en tenir compte. Où est, par exemple, la croissance à venir ? Sans conteste en Asie et peut-être en Afrique – elle n’est plus en Europe (on le savait déjà) et moins en Amérique (ce qui est nouveau). Une remise en perspective globale des intérêts et des puissances est le cadre premier de tout investissement en bourse ou en politique !

Alain Sueur, le Blog Boursier


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