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« Aden Arabie »

Publié le 19 juin 2008 par Frontere

photo-destinee-a-illustrer-le-billet-sur-aden-arabie.1213892891.jpg(Photo, 2001, collection privée Michel Frontère)

Dans le cadre du séminaire vingtiémiste de monsieur le professeur Michel Collomb (1) L’écriture du proche, je présentais le 6 mai à l’université un exposé consacré à Aden Arabie de Paul Nizan (1905-1940).

J’ai d’abord évoqué Paul Nizan et rappelé que Jean-Paul Sartre et Raymond Aron furent ses condisciples à l’École normale supérieure, ils seront même témoins à son mariage. J’ai ensuite précisé que Nizan fut précepteur à Aden de 1926 à 1927. Engagé au parti communiste, candidat en 1932 aux élections législatives dans l’Ain, à l’époque il enseignait la philosophie à Bourg-en-Bresse, il désapprouvera le pacte germano-soviétique en 1939 ce qui le conduira à rompre avec le parti communiste. Il mourra au début de la guerre, en mai 1940, lors de l’offensive allemande à Dunkerque. Il aura eu le temps de faire deux enfants et d’écrire plusieurs romans, notamment Aden Arabie et Antoine Bloyé, roman à forte connotation autobiographique : il y parle de son père. Paul Nizan semble avoir été redécouvert en mai 1968 grâce à Jean-Paul Sartre [ce point sera confirmé par monsieur Collomb].

Aden Arabie parut en 1931 (éditions « Rieder »), mais fut d’abord publié dans la revue Europe. Nouvelle édition de cette œuvre en 1960 chez François Maspéro augmentée d’une préface remarquable de Jean-Paul Sartre qui parle avec émotion et tendresse de son ancien condisciple et ami, la citation qui suit aura une fonction apéritive :

« Son portrait, j’eusse été capable de le faire : taille moyenne, cheveux noirs. Il louchait, comme moi, mais en sens inverse, c’est-à-dire agréablement. Le strabisme divergent faisait de mon visage une terre en friche ; le sien convergeait, lui donnait un air de malicieuse absence même quand il nous prêtait attention. Il suivait de près la mode, avec insolence … »

(Paul Nizan, Aden Arabie, édition « La Découverte », 2002, p. 15)

Introduction 

Beaucoup ont vu dans le voyage de Paul Nizan à Aden une tentative de renouvellement de la geste rimbaldienne, cette quête d’absolu au bout du monde d’un poète devenu voyageur avant de finir trafiquant d’armes. Le problème, au moins pour la littérature, c’est qu’entre-temps le trafiquant d’armes avait éclipsé le poète. On le sait du reste l’histoire du “Voyant” de Charleville a mal fini. Une nouvelle fois, la morale serait sauve.

Et il y a dans Aden Arabie, qui paraît curieusement l’année où la France célèbre son Empire, la volonté de Nizan de raconter sans enjolivement superflu un récit de voyage comme Rimbaud avait relaté sans poésie pour Le Bosphore égyptien sept années de voyage au Harrar et en Abyssinie (actuelle Éthiopie) entre 1880, date de son arrivée à Aden, et 1887. Mais Nizan c’est un Rimbaud qui aurait lu et assimilé Le Capital de Karl Marx et L’impérialisme, stade suprême du capitalisme de Lénine et étudié le commerce international à H.E.C. ou dans les écoles du Parti à l’heure où triomphaient encore les lois du libre-échange (les années trente, on le sait, seront marquées par la montée du protectionnisme économique). Il a vite compris les mécanismes et les rouages qui fonctionnaient à travers le pillage des matières premières et la mise en coupe réglée des colonies.

Cela valait bien la peine de différer d’un an son passage de l’agrégation et de devenir précepteur à Aden du fils d’un obscur homme d’affaires anglais qu’il avait rencontré préalablement en Bretagne accompagné dans son escapade depuis Paris par Raymond Aron (2), son condisciple de Normale sup’ : on se doute que la conversation ne dut pas manquer de sel, cette matière première dont Rimbaud justement découvrit une montagne à Cheikh Othman près d’Aden quelques décennies plus tôt.

La question coloniale est au cœur d’Aden Arabie où Nizan commence par dresser un constat décapant de l’Europe et de la crise de conscience qui l’atteint à l’orée des années trente, avant de vivre, plus par procuration que de manière intime, la vie d’une colonie de l’Empire britannique pour finir par un bilan critique et désenchanté de son expérience dont il existera ainsi un avant et un après, mais “la boîte de Pandore du voyage” : comme beaucoup de sa génération, on ne l’y reprendrait plus.

A suivre

Notes

(1) spécialiste de Paul Morand (1888-1976) qu’il a édité dans la bibliothèque de La Pléiade, Michel Collomb a publié en 2007 un essai consacré à l’auteur d’ Ouvert la nuit

(2) Raymond Aron relate cet épisode dans ses Mémoires, éditions « Julliard », 1983


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