Le Pen sort de son silence estival, Mélenchon grappille des soutiens, et Hollande prépare ses "discours historiques", mais la rentrée est ailleurs: Sarkozy fait le show à la télévision.
Hollande, zappé
François Hollande prépare sa campagne. Après son discours "historique" sur la démocratie, la France et le terrorisme le 8 septembre dernier, il a déjà calé trois autres interventions publiques de même nature d'ici Noël. Son idée est de tenir le débat d'une pré-campagne présidentielle, sans y participer officiellement. Ses proches, pour ceux qui sont encore là, calculent, organisent, anticipent. Ils n'ont pas vu le danger: le locataire de l'Elysée a été zappé. Il ne choque plus, n'énerve plus, ne mobilise même plus contre lui. Hollande a été oublié sur le bas-côté d'une actualité épuisante. Les sondages le créditent d'à peine 15% d'intentions favorables, un peu moins de la moitié d'un Mélenchon. A la même période de son quinquennat outrancier, Sarkozy en était encore à 35% .
Qui sait seulement ce qu'Hollande a fait cette semaine ?
Personne ou presque. Sarkozy président agitait les médias à toute heure, 7 jours sur 7, 365 jours par an. Hollande laisse filer son quinquennat. Quand il brusque pas son camp politique d'origine, Hollande indiffère. Le président normal a disparu du paysage politique. Manuel Valls enjoint ses soutiens de "cogner Macron". Le jeune rival n'est pas un problème pour 2017. Valls pense à 2022. A gauche, Mélenchon accumule tranquillement ses soutiens.
Le weekend dernier, la Bête Immonde fait sa rentrée politique. Le Front national sort officiellement de sa réserve estivale. Marine Le Pen est sur TF1. Elle s'affiche terriblement sereine, elle s'amuse à se déclarer plus modérée que les furibards de la primaire des Républicains. Pour un peu, elle déclare qu'elle croit l'islam compatible avec la République, une évidence qui est sortie des esprits égarés de Sarkozy, Wauquiez, Copé ou Goasguen. "Je ne lutte pas contre l’islam, je ne lutte pas contre une religion (…). Moi, je lutte contre le fondamentalisme islamiste." Marine Le Pen qui donne des leçons de République aux plus grands ténors de la droite dire républicaine... "Où va le monde ?" chante La Femme en cette rentrée également musicale.
Oui, où va le monde ?
Le Front national a changé, il prépare la victoire d'après. Il a peu d'espoir de l'emporter en mai prochain, faute d'alliances politiques dans un régime institutionnel qui ne ménage rien. Et Marine Le Pen conserve un capital de haine populaire à son égard qui devrait ruiner ses espoirs à court terme.
Le Front national n'a pas changé. Samedi, la présidente du FN nomme ainsi le jeune sénateur David Rachline directeur de campagne. Le garçon est plus compatible avec les franges rances de l'extrême droite identitaire que le pseudo-souverainiste Philippot.
L'Emission pénible
Nicolas Sarkozy déborde Marine Le Pen sur sa droite. Qui en doutait ? Jeudi, il est 20 heures et bientôt cinquante minutes quand l'ancien président, déchu en 2012, mais au plus fort dans les sondages, apparaît souriant sur le plateau du service public. "L'Emission politique" est ce nouveau show que la chaîne publique lance pour cette saison présidentielle.
Pour l'heure, les primaires de la droite et du centre indiffèrent l'immense majorité. Aucun sondage ne crédite l'opération de sélection politique de la droite de plus de 15% d'intention de participation.
Mais Sarkozy pourrait changer la donne.
Un instant, on croit que les deux journalistes David Pujadas ou Lea Salamé vont aborder la menace de censure d'une enquête sur l'affaire Bygmalion qui a divisé la rédaction de France 2 durant quelques jours. Une censure demandée par l'équipe Sarkozy. Il n'en est rien. Les deux journalistes se taisent. Les thèmes de l'émissions à Sarkozy ont été pré-approuvés par le candidat. Vous êtes en France, les médias sont du côté des puissants. Sur les réseaux sociaux et ailleurs, cette omission courtoise choque et énerve.
Sur le plateau, Sarkozy a changé.
Encore une fois.
C'est lui qui le dit.
Encore une fois.
Un moment, on retrouve le Sarko d'avant. Celui qui exagère, oublie ou ment par omission. Celui qui se pose en candidat du peuple quand il n'est que celui des Riches. Un candidat qui voit des complots partout, fustige une "intelligentsia" théorique, et promet de parler de "la réalité dont personne ne parle". Le Sarkozy 2017 n'assume pas sa radicalisation. Il la récuse. Il se place en porte-parole d'une "majorité silencieuse" que lui-seul, entre la Villa Montmorency dans le richissime 16ème arrondissement de Paris et ses grimpettes cyclistes sur les hauteurs varoises du palais de Carla Bruni aurait rencontrée.
Le spectacle est pénible comme un mauvais souvenir.
Sarkozy exagère. Il n'est pas le seul. Et l'on n'est pas surpris. Sur les retraites, pour justifier un nouvel allongement de cotisations (après sa réforme de 2010, puis celle de Hollande en 2013), il néglige évidemment la réduction de l'espérance de vie ou la pénibilité. Il est amnésique quand il oublie qu'un parquet spécialisé dans l'antiterrorisme existe déjà.
A l'énervement qu'il suscite par ses outrances, ses nouveaux mensonges, ses nouvelles trahisons, ses nouveaus dérapages ont tout pour mobiliser contre lui à nouveau.
Sarkozy a changé. Il est devenu climato-sceptique. Ou plutôt, il préfère agiter le spectre de la "crise démographique mondiale" et "la question de la natalité sur le continent africain". C'est la version "soft" des délires anxiogènes de l'extrême droite sur l'Europe submergée, l'invasion islamiste ou le Grand Remplacement. Sa campagne a les mêmes accents qu'en 2012. On s'étonne qu'il n'ait suggéré de recréer un ministère de l'Identité nationale. Tous ses discours, et encore ce soir-là sur le plateau, sont ponctués de "chez nous," comme pour mieux marteler l'argument identitaire.
Il ment sur l'Europe.
"L'Europe ne peut être le seul continent du monde où l'on rentre chez nous sans emploi, sans parler la langue, avec comme seule espérance de profiter d'un système social qui est par ailleurs plus généreux que celui de nos voisins."L'Europe n'est pas ce continent dépeint par Sarkozy. Elle s'est divisée face aux migrants; certains pays, dont la France et la Hongrie, ont fermé leurs frontières aux réfugiés syriens et irakiens.
Sarkozy choisit ses sujets. Il ne parle pas du niveau réel des prestations sociales sans condition d'emploi: le RSA ne représente que 2% du budget de la Sécu. Tout comme les allocations familiales. Et à l'exception de l'AME (0,2% du budget de la Sécurité sociale), l'accès au "système-social-le-plus-généreux-du-monde" est conditionné à une entrée régulière dans le pays.
A l'inverse, l'Europe est ce seul continent qui semble incapable de lutter contre l'évasion et l'optimisation fiscales. Quand l'Union européenne réclame 13 milliards d'euros d'impôts impayés au géant Apple (soit davantage que le coût du RSA en France...), l'Irlande se désolidarise. Mais Sarkozy choisit ses sujets d'indignation. Lui qui facture généreusement ses conférences devant banquiers et hommes d'affaires de par le monde n'a rien à dire sur la fraude fiscale.
On croyait que l'âge et la défaite avaient un peu travaillé l'animal. Il n'en est rien. Peu avant la fin d'un show promotionnel insoutenable, Sarkozy est confronté à quelques témoins anonymes. A l'imam d'Ivry-sur-Seine qui lui demande s'il n'en a pas assez de stigmatiser l'islam plutôt que l'islamisme, il ne s'excuse pas, bien au contraire. Il court vite derrière Le Pen: "Je vous réponds qu'on ne doit pas stigmatiser les Français comme moi qui veulent non pas d'un islam en France, mais d'un islam de France".
Délire formel
Nicolas Sarkozy a "l'amour de la France". Il a fraudé aux règles de financement électoral. Techniquement, il a tenté de gruger les contribuables français (puisque les dépenses électorales sont remboursées dès 5% des suffrages). Il a fait payer par l'Elysée des dépenses de campagne (un point sanctionné par le Conseil Constitutionnel). Depuis sa première condamnation, on sait qu'il a dépassé le plafond légal non pas de 470 000 euros, mais de 23 millions d'euros, grâce à un système de fausses facturations. Et là encore aux détriments de l'UMP et des contribuables français.
Nicolas Sarkozy tort le droit. Il invente le concept de "délit formel." Il oublie qu'il est mis en examen pour 5 faits de fraude au financement de campagne électorale. Il n'a pas non davantage été
"lavé de toute accusation mettant en cause [sa] probité dans l’affaire Bygmalion". L'enquête est en cours, bien au contraire. Et les aveux des protagonistes le désignent.
"J’ai été mis en examen, ce sera facile de vérifier, pour le seul délit formel de dépassement du plafond de la campagne." Nicolas Sarkozy, 15 septembre 2016, sur France 2L'amour de la France, qu'on vous dit !
Quand on aime, on ne compte pas.
Nicolas Sarkozy est un homme du passé. Il n'a pas retenu la leçon. Chacun de ses propos est décortiqué en temps réel, chacun de ses mensonges est contredit publiquement dans la seconde.
Sarkozy prend d'autres libertés avec le droit, et même le bon sens. Il reprend à son compte la proposition des furibards de l'extrême droite d'interner les fichés S. La justice a déjà tranché qu'on interne pas sans preuve ni jugement.Il se trompe de 50 à 100 milliards d'euros (une broutille !) dans le chiffrage de son plan d'économies.
Nicolas Sarkozy : " Je veux ramener la dépense publique de 57,5% du PIB à 50% du PIB : c'est 100 Mds d'économies ! " Euh ... C'est 150 !!! — Christian ECKERT (@CECKERT56) 15 septembre 2016
Deux heures plus tard, l'Emission Pénible s'achève enfin. L'audience est à peine au rendez-vous, 2,7 millions de téléspectateurs. Sarkozy file en meeting à Mandelieu. Il braille à nouveau ses arguments: "La vérité, c'est refuser le déni, ce déni qui a gagné une partie des élites de notre pays qui refusent de voir la situation en face."
Parle-t-il de fraude fiscale ou d'aggravation des inégalités ? Non bien sûr.
Loin de tout cela, dans la plus grande indifférence publique, François Hollande participe à un sommet européen à Bratislava. Les dirigeants de cette union fracturée accouchent d'une déclaration qui ferait rire si la situation n'était grave:
"Nous nous sommes engagés à offrir à nos citoyens, dans les mois qui viennent, la vision d’une Union Européenne attrayante, dans laquelle ils puissent avoir confiance et qu’ils pourront soutenir."
Sans rire.