À la fin de la guerre de Trente Ans, la Bavière est devenue une puissance dont Habsbourg et Bourbons se disputent l'alliance. Ferdinand-Marie (1651-1679), Maximilien-Emmanuel (1679-1726), Charles-Albert (1726-1745) redoutent les convoitises des Autrichiens. Ceci explique pourquoi Maximilien-Emmanuel prend le parti de la France lors de la guerre de Succession d'Espagne. La plus célèbre bataille de ce conflit, labataille de Höchstädt-Blenheim, se déroule le 13 août 1704 ; elle est remportée sur les Français et leurs alliés bavarois par John Churchill, 1er duc de Marlborough, et le prince Eugène de Savoie.
Les Princes-électeurs de Bavière continuent d'embellir leur capitale qui devient un des centres de l'art baroque : c'est à leur règne qu'on doit les aménagements de la Résidence, l'église des Théatins et l'Asamkirche, le château de Nymphenburg et le Neues Schloss de Schleissheim. (extrait de Wikipedia à l´article 'Histoire de la Bavière').
Le Prince Electeur bavarois en 1728, Karl Albrecht von BayernLors du voyage de Montesquieu, l´Electeur dont il est question dans ses notes est Charles-Albert.
Voyages de Montesquieu, par Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu.
L´extrait qui concerne le séjour munichois est reproduit ci-dessous à partir du tome 2 de l´édition de l'imprimeur G. Gounouilhou, pp. 140 à 148.
Ce livre a été digitalisé par Google au départ d´un exemplaire de la Library of Harvard University et mis en ligne sur Archive.org, où on peut le lire gratuitement en ligne.
p. 140 [...]
Demander de l'eau dans les auberges d'Allemagne, c'est une chose qui paroit aussi extraordinaire que si l'on alloit demander à Paris un pot de lait chez Darboulin. Quand vous demandez en Bavière, à un homme du peuple, quelle heure il est, ou une telle maison, il s'arrête, et pense, et rêve, comme si vous lui demandiez un problème. Bavarese, piu stupido di Germani,
Les Saxons, plus d'esprit, mais sont les plus mauvaises troupes de l'Allemagne.
J'arrivai le 3 juillet à Munich. C'est une belle ville: les rues sont larges et belles; les maisons, assez bien bâties. Elle est sur l'Issel (sic), qui se jette dans le Danube. Le climat y est tempéré : il est plus beau dans l'automne que dans aucune saison.
Le 6, jour de la fête de l'Électeur, je fus présenté à ce prince et à l'Électrice, à Nymphenbourg. L'Électeur est un prince bien fait. Ce jour-là, toute la cour de Bavière étoit assemblée, et tout le monde étoit venu de sa campagne pour lui faire sa cour. Cela pouvoit bien faire 80 personnes des deux sexes. II y eut à dîner une petite pastorale; le soir, un opéra : l'un et l'autre mauvais. Il n'y avoit ni bonne musique, ni une voix seulement médiocre. Il y eut, le soir, un beau feu d'artifice sur le canal, bien mené et bien conduit, et foit avec beaucoup d'art. Le souper fut fort mince. Enfin, il paroit que cette cour est entièrement dans la réforme.
La maison de Bavière qui est à cette cour est composée de l'Électeur et de l'ÉIectrice, du duc Ferdinand, son frère, et de la duchesse, qui est Neubourg (ces deux princesses ne sont pas jolies, à beaucoup près), du prince Théodore, évêque de Ratisbonne. L'électeur de Cologne y vient quelquefois.
Nymphenbourg est une maison de chasse, à une heure de Munich.C'est une belle maison de particulier, bâtie par le feu Électeur sur le goût françois. Tout autour sont les chasses de l'Électeur, très abondantes. On a commencé un canal qui ira de Nymphenbourg à Munich, et on a mis des deux côtés des rangées d'arbres, et le dessin seroît de mettre des deux côtés des maisons de campagne que ta Noblesse bâtiroit. Ce canal reçoit les eaux d'un canal supérieur, qui est de l'autre côté de la maison, et qui les reçoit d'un petit lac. II y a des jardins qui sont assez bien. Tout cela, à la françoise.
La cour de l'Électeur est dans la réforme. Il songe (dit-on) à payer les dettes du feu Électeur, qui sont grandes, non pas en contrats à rentes, mais en arrérages de pensions et d'appointements et emprunts aux marchands : car, pour les dettes du jeu, elles ont été annulées.
L'Électeur a sur pied 5,ooo hommes de troupes, et presque tous les officiers composent sa cour. Il est vrai qu'avec cela il augmentera ce corps à sa fantaisie avec de l'argent.
Il a peu de manufactures.
C'est un prince qu'on dit avoir de l'esprit juste, et qui a (dit-on) des sentiments. Sa mère est à Venise, où elle amasse.
Morawiski est à cette cour, sombre joueur, et ruiné, et fort peu estimé. L'Électeur a couché avec une de ses filles et l'a mariée à un fort bon gentilhomme de ce pays-là, lui a promis une dot et ne l'a pas payée. Il f.... actuellement la seconde ; mais à juste prix. lo Pour Morawiski, il attrape de cela peu de chose.
Ayant dîtné chez le comte Tœrring, il nous montra un plan de la bataille de Belgrade. Le camp impérial étoit justement entre le Danube et la Save, des deux bouts, et entre la Ville et le camp des Turcs, des deux côtés. Dans la Ville, il y avoit une armée. Ce qui trompa le prince Eugène, c'est qu'il ne crut pas que, le pays ayant été mangé et remangé comme il fut, les Turcs arrivant pussent subsister trois jours. Mais il en subsistèrent quatorze, et la cavalerie, obligée de rester dans le camp, étoit comme un squelette. Si les Turcs avoient partagé leur armée et fait passer la Save à un gros corps, nous (sic) étions perdus, et nous n'aurions plus eu de convoi.
Il y avoit un pont sur la Save; l'autre, sur le Danube. Nous sortîmes, enfin, des retranchements avec une cavalerie qu'il falloit porter. On alla aux ennemis, et ils fuirent. Le prince Eugène hasarda beaucoup. Mais, cependant, on ne peut pas assiéger Belgrade sans se mettre dans ce camp. On comptoit, d'ailleurs, sur les Turcs, et qu'ils fuiroient.
J'ai ouï dire au comte de Tœrring une chose qui fait bien voir le peu de cas que les Allemands font d'eux. Il y avoit un escadron bavarois et un régiment d'infanterie de la même nation postés, et qui vit (sic) venir à lui un corps de 5 à 6,000 Tartares. Le commandant dit : "Voilà une bien mauvaise affaire! Nous sommes perdus. Il faut, pourtant, aller à eux et vendre chèrement sa vie." Un officier général de l'Empereur qui vit cette manœuvre lui dit: "Où allez-vous? Vous leur faites trop d'honneur. Donnez-moi ce régiment d'infanterie : j'en ai besoin ailleurs; et tenez ferme avec votre escadron. Ils ne vous attaqueront pas." Effectivement, ils n'attaquèrent pas. Quand les Turcs voyent une troupe ferme, qui tient le fusil en joue et les reçoit froidement, qui peut avancer à eux, ils n'attaquent point : cela les intimide. Les plus braves forment bien la pointe ; mais cette pointe n'avance pas. Cela est extraordinaire. Ils iront à l'assaut d'une place; ils grimperont et monteront les uns sur les autres : c'est qu'ils ne voyent personne. Mais un corps, avec le fusil en joue, les genoux en terre, qui se remue et le (sic) leur présente, leur fait perdre la tête. Sont (sic) comme des pigeons, qui viennent à vous avec impétuosité, puis tournent l'aile et s'en vont en faisant une roue. Les soldats impériaux savent si bien qu'ils s'en iront, s'ils restent fermes, et qu'ils sont perdus sans cela, qu'il n'y en a pas un à qui il vienne dans l'esprit de fuir.
Le comte de Tœrring dit là- dessus qu'il ne peut dire ce que c'est que cette valeur des Turcs. Il dit que des troupes françoises, la première année, seroient embarrassées avec les Turcs, fauté de les connoitre; que ce bruit, ces cris, cette impétuosité étonne toutes les troupes qui ne savent pas que ces gens fuiront immanquablement; qu'il a vu à Malplaquet des régiments françois qui avoient résisté aux meilleurs régiments impériaux, embarrassés par des hussards.
Comme la Bavière a peu de commerce, les seigneurs n'y sont pas riches : 7, 8, 9 ou 10,000 florins. Le comte de Tœrring, le plus riche, en a (dit-on) près de 40,000; ce qu'il ne fait pas paroître, et avec esprit.
Le sang est très beau à Munich.
Il y a le Jardin de la Cour, où dames et cavaliers s'assemblent, jouent et se promènent.
La pinte d'Allemagne : 32 onces d'eau ; la chopine : 6; le demi-setier : 8 onces.
Le comte de Thürheim, grand-chambellan, donna à M. de Rezé et à moi un fort bon dîner; c'est un bonhomme, qui boit beaucoup.
L'Électeur (sic) peut avoir 7 millions de florins de revenu, et l'Électeur d'à présent a augmenté les subsides d'un demi-million; ce qui feroit 7 millions et 1/2.
Les sources principales de ses revenus sont : 1° les sels, qu'il distribue à ses sujets et aux étrangers (quoiqu'ils ne soient pas si bons que ceux de France, ils sont pourtant meilleurs que les autres); 2° la bière (il est le seul brasseur de ses états) ; 3° le tabac (on dit que les Impériaux en ont tiré jusqu'à 10 millions de florins).
L'Électeur a 3o millions de florins de dettes de feu l'Électeur son père.
J'ai ouï dire ici au ministre de Saxe que l'Électorat rendoit 10 millions d'écus; ce que je ne puis croire. Il est vrai que le pays est plein de manufactures.
M. de Rezé, le comte et la comtesse de Sephel, le comte de Zenzem, M. Danvi, Mad(am)e Surfal, Mad(am)e de Honte (sic) et moi, allâmes, le 15, voir la maison de l'Électeur à Schleissheim, à deux heures de Munich. C'est une grande et belle maison; c'est un grand palais. Il y a pourtant de grands défauts dans l'architecture : les portes petites comme les fenêtres; les fenêtres, en certains endroits, si basses qu'elles n'ont guère que leur largeur de hauteur. Le portique et l'escalier sont à la manière d'Italie; mais cela n'est pas de bon goût : les metzanins (sic) sont trop bas. Du reste, cela fait une grande maison.
La galerie est pleine d'une très grande quantité de tableaux, que le feu Électeur a acquis à grands frais, mais commodément, quand il étoit gouverneur des Pays-Bas. Beaucoup de Rubens; plusieurs Rembrandts; quelques peintres d'Italie, mais peu; et un petit cabinet où il y a beaucoup de petits tableaux flamands. Tout cela fait un beau recueil.
On entre dans les jardins, et, au bout d'une grande, antique et vénérable allée, qui sert de mail, on trouve Lustheim, qui est comme le Trianon, qui est une petite maison fort jolie. Après Lustheim est un grand canal.
Schleissheim est triste : la maison est trop grande pour la cour de l'Électeur. Le jardin de Nymphen- bourg est plus gai.
L'Électeur communique ses affaires à peu de personnes. Pour les affaires étrangères, c'est le comte de Tœrring à qui il les communique, et un président qui étoit au fait du temps du feu Électeur. Le comte de Preising gouverne les finances.
Quatre principaux emplois : le comte de Tœrring- Seefeld est grand-maître; le comte de Thürheim, grand -chambellan; le comte de Tœrring de Jettenbach, grand-maître de Tartillerie et ministre des affaires étrangères ; le comte de Preising, grand écuyer.
Principales maisons, sans préjudice des autres dont il y en a d'aussi bonnes : Tœrring, Preising, Tauffkirchen, Seinsheimb, Neuhaus, Piosasque, Lodron, Du Wahl.
Mad(am)e de Heineberg : Maillebois en étoit amoureux. Mad(am)e Wolfranchdorf, jolie.
Le grand-chambellan a été gouverneur de l'Électeur et de ses frères, et, comme il est d'esprit autrichien et a des terres en Autriche, il a cherché à leur inspirer des sentiments de ce côté-là. L'Électeur est donc un peu porté pour la maison d'Autriche, quoiqu'il ne veuille pas perdre la protection de France. Ses états sont tellement situés qu'il ne peut plus guère jouer de rôle. Il ne peut guère être secouru par la France, et il est sous la patte de l'Empereur.
C'est un bonheur que le feu duc de Bavière, lorsqu'il se déclara pour nous, ne fût pas envahi par l'Empereur avant d'être secouru : car il resta six mois avant qu'on ne pût venir à lui.
Tous les autres grands princes de l'Empire ont 35 fait fortune; il n'y a que la maison de Bavière qui ne l'a, (sic) pas faite; Prusse, Saxe, Hanovre, Hesse! Il est vrai que l'électeur de Cologne a bien des évêchés et est plus puissant que son frère.
Cet électeur, petit sujet. Le comte de Plettenberg, son premier et unique ministre pour la confiance; il voudroit fort être vice-chancelier de l'Empire.
L'électeur de Bavière n'a actuellement que 5, 000 hommes de troupes. Le feu Électeur avoit fait venir des ouvriers des Gobelins, qui ont fait une manufacture de tapisserie. J'en ai vu à Schleissheim de très belles.
Je partis de Munich le 16 août 1729, après avoir reçu toutes sortes d'amitiés de M. de Rezé, chargé des affaires de France, que j'avois connu à Paris. J'avois la fièvre lorsque je partis; ce que j'attribue au changement du climat de l'Italie, où je mourois 10 de chaud, à celui de Munich où les étés ne sont pas beaux, et moins beaux que les automnes, et, pendant que j'y étois, il y avoit des jours glaçants; et, effectivement, mon valet eut la fièvre comme moi.
Il y a 5 postes de Munich à Augsbourg.
Plan de la ville de Munich en 1728
Le château de Nymphenburg vers 1730