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Riquet à la houppe, d'Amélie Nothomb

Publié le 20 septembre 2016 par Francisrichard @francisrichard
Riquet à la houppe, d'Amélie Nothomb Dans un objet où la Nature Aura mis de beaux traits, et la vive peinture D'un teint où jamais l'Art ne saurait arriver, Tous ces dons pourront moins pour un cœur sensible, Qu'un seul agrément invisible Que l'Amour y saura trouver.

Telle est l'une des deux moralités, très stylée, qui conclut le conte de Charles Perrault, Riquet à la Houppe, dont Amélie Nothomb s'est inspirée pour son dernier roman, allant jusqu'à en reprendre le titre pour le lui donner et la moralité pour lui fournir un thème.

Comme chez Perrault, Amélie Nothomb crée deux personnages que tout oppose. Sur la rive droite de Paris, Enide, 48 ans, et Honorat, 51 ans, cuistot, ont un garçon, sur le tard ; Rose, galeriste, et Lierre, inventeur de jeux vidéo, 25 ans tous deux, sur la rive gauche, ont tout de suite une fille.

Le garçon s'appelle Déodat : c'est un don de Dieu, inespéré. Il est d'une laideur consternante, mais il est très intelligent et, notamment, cet enfançon [a] cette forme d'intelligence supérieure que l'on devrait appeler le sens de l'autre.

La fille s'appelle Trémière. Avec ce prénom, elle est déjà bien la fille de ses parents. Elle est si belle que n'importe quel prénom lui irait , mais au lieu que son intelligence s'éveille, l'enfançonne [adopte] une attitude [...] : la pâmoison .

Après avoir raconté avec drôlerie et pénétration les premiers pas des deux enfants, la moraliste - qui ne fait pas la morale, mais étudie les moeurs contemporaines - s'intéresse à l'accueil qui leur est réservé à l'école : être différent leur vaut, à l'un comme à l'autre, d'être rejetés par leurs petits camarades de classe, tant il est vrai que :

La laideur d'un enfant désarçonne beaucoup plus que celle d'un vieillard.

Les gens ne sont pas indifférents à l'extrême beauté : ils la détestent très consciemment.

Face à ce rejet, Trémière subit et contemple, tandis que Déodat s'adapte et théorise. L'une, très sensible, développe des facultés d'observation peu communes et ne pose pas de questions. L'autre, très rationnel, apprend beaucoup dans les livres et pose et se pose beaucoup de questions.

Comme dans le conte, et dans une géométrie non euclidienne, les existences parallèles de Déodat et de Trémière adultes finissent par se croiser, surprenant leurs entourages personnels et professionnels, et le lecteur (s'il n'a pas lu le conte de Perrault ou ne s'en souvient pas).

Amélie Nothomb trouve des accents très XVII e pour écrire ce récit au XXI e. Le roman devient conte, ou peut-être faudrait-il dire que le conte devient roman, tout en gardant tournure et esprit, auxquels l'emploi de prénoms improbables n'est pas étranger.

Francis Richard


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