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Crimes sans victimes (2) – L’attaque du pain mutant pas bio

Publié le 20 septembre 2016 par H16

Il y a peu de choses plus sacrées en France que la nourriture, et à ce chapitre, peu de choses plus importantes qu’un bon pain. C’est donc en toute logique qu’Alain Bourgeois et sa femme, un couple de Liomer dans la Somme, ont décidé de s’atteler à la réalisation d’un pain aussi exceptionnel que possible, incorporant dans sa composition les ingrédients qu’ils jugent les meilleurs, et de le faire savoir. Grossière erreur.

Il faut dire qu’en France, faire de la publicité pour un produit répond à des normes, des règlementations précises et des usages catalogués dont toute déviation peut entraîner des poursuites. L’un de ces écarts consisterait par exemple à faire passer un produit pour un autre, ou à l’affubler d’un label dont il ne dispose pas vraiment.

Et c’est là que les choses deviennent intéressantes.

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Dans le cas qui nous occupe, le couple Bourgeois fabrique donc du pain au levain (Alain, même s’il fait le même travail qu’un boulanger, n’en a pas le titre officiel), et utilise pour ce faire de la farine labellisée « bio ». Pour eux, cette farine, produite chez un agriculteur biologique installé à quinze kilomètres du couple, mérite amplement d’être promue. Du reste, il paraît logique d’indiquer, dans un souci de transparence, les éléments constitutifs du pain qu’ils vendent essentiellement aux AMAP locales, indication qu’ils fournissent donc sur un panneau d’affichage précisant donc « pain au levain de farine bio moulue sur meule de pierre, cuit au feu de bois ».

Difficile de faire plus précis et plus clair.

Malheureusement, comme je l’ai dit en introduction, en France, la nourriture, c’est sacré et à ce sujet, l’administration est particulièrement tatillonne. Suite à un premier contrôle en février 2014 de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) — instance apparemment indispensable à la population du département pour se protéger contre les attaques de pain mutant, semble-t-il récurrentes dans le coin — les Bourgeois recueillent plusieurs remarques dont l’une porte sur la mention « bio » présente sur leur panneau. Un nouveau contrôle en octobre 2014 confirmera que le contrôleur veut absolument voir disparaître toute mention du « bio » sur le panneau, cette dernière pouvant laisser faire croire au consommateur, ruminant placide mais un peu bête il faut bien l’avouer, que le pain serait lui-même touché de l’onction « bio » dès lors qu’il est constitué d’une farine du même label.

Or, il n’en est rien : si un produit doit devenir bio, il le sera après être passé par tous les contrôles et tous les cerfas dûment certifiés par l’administration seule détentrice du droit de certifier bio ou pas.

D’un autre côté, il apparaît pourtant clair que, tant sur le tableau que dans l’esprit des Bourgeois, seule la farine dispose du label « bio » et qu’il n’est pas question de faire passer leur pain pour bio. Et ce d’autant plus qu’ils font tout pour que ce soit bien le label « Nature et Progrès » qui leur échoie plutôt que ce label bio dont ils ne se réclament pas.

Malheureusement, l’administration ne veut rien entendre. Après quelques mois, ils reçoivent une citation à prévenu par voie d’huissier pour avoir « présenté des produits (pains) en faisant croire qu’ils bénéficiaient de la qualité de produits de l’agriculture biologique », ce qui est une infraction passible d’une amende de 300.000 euros et d’une peine de prison de deux ans, si la fraude est reconnue.

Ah, ça, vraiment, pas de doute : il était temps que l’administration agisse et traîne au tribunal ces dangereux fraudeurs ! Les plaintes des consommateurs s’accumulaient évidemment alors que se multipliaient les abominations (depuis les indigestions jusqu’aux mutations abominables entraînant la pousse de bras et de jambes surnuméraires, ainsi qu’un ou deux cas de yeux devenus pédonculaires) provoquées par l’ingestion inopinée de ce pain faussement bio et … Oh pardon, on me souffle qu’aucune plainte n’a jamais été déposée par aucun consommateur ni aucune AMAP pour ces pains au levain, qu’aucun consommateur ne s’est jamais offusqué d’avoir cru acheter du pain « bio » alors qu’il n’était en réalité que fabriqué à partir d’ingrédients bio clairement indiqués sur le panneau, pas plus qu’il n’y a eu le moindre problème ni avec le pain, ni avec le fait qu’Alain en produise dans le cadre légal.

Autrement dit, nous nous retrouvons dans un nouveau cas de non-crime sans victime, auquel notre efficace administration, probablement pas trop débordée par les affaires courantes, aura rapidement répondu : le parquet, sentant bien toute l’abomination de l’affaire, aura promptement requis 8000 euros d’amende dont 5000 avec sursis pour ces abominations dignes d’un autre âge.

chaton youpi encore une mission réussie

Pour les ardents défenseurs de la Loi, Dure Loi, l’affaire est entendue : aucune ambiguïté ne peut régner pour le consommateur et celui-ci doit être informé sans qu’il puisse imaginer une seule seconde consommer un pain bio alors qu’il ne s’agit que d’un pain au levain de farine bio. Restera à ces ardents défenseurs de la Loi, Dure Loi, d’expliquer comment faire savoir au consommateur qu’il consomme un pain au levain issu de farine bio sans exprimer le fait que la farine est bio. Cela promet quelques moments de syntaxe française consternante.

Et si l’on oublie bien vite les petits parangons de la Loi, Dure Loi, remarquons encore une fois que le nombre de victimes, dans cette affaire, suit exactement le trajet inverse qu’on entend pourtant lui faire suivre dans un état de droit normalement constitué : normalement, crime il y a, victime(s) il y a, la justice passe et les victimes sont (au moins en partie) compensées pour leurs dommages et les criminels punis. Ici, point de tout cela.

Sans l’intervention insistante et pernicieuse de la DDPP, le couple aurait continué son activité (qui, je le rappelle, n’est pas de vendre de la drogue, de fabriquer des faux billets, de produire du meth dans sa cave, de passer des armes en fraude ou de placer des filles sur les trottoirs de Liomer). Passée cette intervention, le couple risque bel et bien de perdre son activité, la région de perdre un couple de boulangers (sinon dans le titre, au moins dans la pratique), les consommateurs de perdre du pain « au levain de farine bio » qu’ils affectionnaient, l’État de perdre des contribuables probablement plus honnêtes que bien des ministres. Pas de doute : la société, avec toutes ces pertes, aura largement gagné en vivrensemble ou sur le plan financier. L’administration et les tribunaux de justice, pas du tout engorgés, auront eu à traiter une affaire de la plus haute importance et le temps passé sur ces affolantes broutilles, celui du contrôleur probablement imbibé de l’importance de sa charge, ne sera jamais remboursé au contribuable qui, encore une fois, se fait dindon d’une farce de moins en moins drôle.

Aucune victime avant, tout plein après ? Décidément, la vie en République du Bisounoursland est pleine de surprise…

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