Je l'appelle Moloch. Notre metteuse en scène nous a demandé de confectionner une "statue hideuse" qui aurait toute sa place dans notre acte II de "Brûler des Voitures", la formidable pièce de Matt Hartley que nous jouons en ce moment (prochaines programmations pour octobre : Bidache le 1er, Dax Atrium le 15 et Bordeaux Théâtre de La Pergola le 29), avec les collègues de scène nous sommes allés sur la plage au printemps et avons recueilli matière de la statue, corps, membres et viscères : cochonneries échouées sur le sable au sortir de l'hiver. L'océan est un gros vomisseur, tout le monde le sait, il avale et il rejette ce que nous sommes, ce que nous produisons, eaux et grèves sont saturées.
Je finis d'assembler aujourd'hui dans mon atelier celui que j'appelle désormais "Moloch". Moloch titre du formidable polar de Thierry Jonquet paru il y a quelques années chez Gallimard dans la collection mythique Série Noire. Moloch, Dieu tueur d'enfants dans l'Ancien Testament mais aussi à Carthage. Moloch, omniprésent de nos jours en Syrie, en Méditerranée du côté des plages de Lampedusa. Moloch force vivante dans plein d'autres endroits dévoreurs de mômes dans le monde, où la vie d'un enfant n'a aucun prix.
Moloch dans notre pièce où, là aussi, la vie d'un enfant - petit rom en cavale - compte peu ou prou devant la carrière et le fric, surtout si l'enfant en question, broyé par la voiture, n'est qu'une "menace encapuchonnée", fruit d'une "sous-culture de dégénérés". Un enfant qui, somme toute, ne valait rien.
Moloch a de beaux jours devant lui mais il trouvera toujours en face de lui des gens dressés, des gens qui lui diront d'aller se faire foutre, qui lui diront/montreront que même si son pouvoir est immense il y aura quelqu'un debout devant ses griffes et ses crocs, quelqu'un pour se battre, pour relever le défi. Se battre contre les dévoreurs d'enfants, se battre contre tous les Moloch du monde.