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Le syndrome de la légitimité #PourQuiJeMePrends#3

Publié le 26 septembre 2016 par Montaigu

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La petite voix qui chantonne « Pour qui je me prends ?» conduit presque inévitablement  à la question suivante : « Suis-je légitime » ?

Suite du feuilleton autour de #PourQuiJeMePrends? , cher lecteur. 

Légitimité ! Combien de fois ce mot émaille-t-il réflexions et pensées de manière quasiment automatique ? Aussi exprime-t-on à propos d’un nouveau poste : « Je peux le prendre en charge car je suis légitime » ; d’un livre : « Ma légitimité d’auteur est assurée par mon expérience professionnelle de professeur d’université, de journaliste, de sociologue, d’historien » ; d’un prêt à la banque : « J’ai l’âge, les revenus suffisants et ma capacité d’emprunt est optimale, j’ai toute légitimité aux yeux de mon banquier ». En bref : « Tel machin crée ma légitimité ».

La légitimité est une spécificité culturelle bien française, issue en droite ligne de l’adoubement de l’écuyer comme chevalier ou de la réception d’un compagnon comme maître dans les corporations. De par son étymologie, elle signifie « conformité à la loi ». Son sens initial s’étend à la justice, la raison ou à des règles et traditions établies. La légitimité permet de recevoir le consentement, la confiance, la considération, la reconnaissance d’un groupe : entreprise, syndicat, association, ou d’une personne : recruteur, client, éditeur, banquier. Les critères de sa détermination sont variés : compétences, âge, genre, connaissances, expérience, diplômes. Ne pas être légitime ou reconnu comme tel indique que l’on ne peut prétendre faire ou réaliser quelque chose. L’absence de légitimité sonne le glas d’aspirations aussi bien personnelles que professionnelles. En termes plus triviaux, la légitimité proclame, en déroulant le tapis rouge : « bienvenue au club ! ».

Nous entretenons avec la légitimité une relation très profonde qui perdure à tous les stades de notre vie. Cela démarre dès l’enfance. Dans un passé pas si lointain, l’épithète « illégitime » marquait à jamais le front des bébés nés hors mariage. Au sein des fratries, certains membres, pourtant bien légitimes à l’égard de la loi, le sont moins aux yeux de leurs frères et sœurs pour mériter l’affection de leurs parents ou hériter de la maison familiale. À l’école, les bonnes notes (surtout en maths) constituent le sésame indispensable pour passer légitimement dans la classe supérieure. Puis examens et concours, auxquels « on est reçu », sont les points de passage obligatoires pour intégrer des écoles prestigieuses, espoirs légitimes d’une belle carrière pour laquelle on chiade CV et présentation, afin de répondre en tous points aux exigences d’un emploi. A contrario, les retraités, femmes au foyer ou chômeurs, qui ne peuvent se prévaloir d’une activité rémunérée, et donc d’une quelconque utilité sociale, se retrouvent privés de l’adoubement de la société.

Dans le vocabulaire actuel traînent les mots visibilité, expertise, notoriété, références, ancienneté, qui justifient l’adhésion et donc l’obtention de cette légitimité si chère à nos yeux. On spéculera sur elle quand elle manque, quand elle fait défaut, quand elle est remise en cause ou quand on déroge. Il n’est pas si inhabituel d’en faire les frais, ce qui nous plonge alors dans le syndrome de l’imposture.

Tout projet qui nous éloigne d’un itinéraire bien tracé, nous précipite souvent dans les affres de « Suis-je cap ? », « En ai-je le droit ? ». D’autant que nous sommes de moins en moins figés dans une carrière monolithique notre vie durant. Finis les parcours linéaires à la grand-papa, quand on exerçait le même métier pendant 35 ans dans la même entreprise, attendant la retraite pour enfin s’adonner à ses hobbies. Désormais, on exprime des souhaits, des motivations différentes et l’envie d’explorer d’autres territoires nous assaille. Sur le point d’envisager tout nouveau défi, que décider, alors que germe sournoisement « Pour qui je me prends » ? Surtout quand l’ombre du renoncement nous arrache les tripes. Cet horizon qu’on appelle de son âme n’est plus la simple tentation d’une herbe plus verte, mais symbolise bel et bien une exigence fondamentale pour soi. « Que deviendra ma vie si je laisse tomber, si j’abandonne ? ». À coup sûr, ce sera un échec que l'on se reprochera souvent, une lâcheté de sa part dont on se relèvera difficilement. Comment alors mettre en musique ce vouloir quand on est que perplexité sur ses aptitudes et donc sur son juste pouvoir à faire ? En cherchant en soi les moyens de se conforter dans cette « légitimité » naissante, en « se prenant pour » ce qu’on n’est pas encore mais qu’on deviendra, en incarnant pleinement cette intention. En transcendant ses peurs, en transgressant un cadre, en faisant exploser ses limites.

"Pour qui je me prends? ou les tribulations d'un apprenti auteur

Hélène de Montaigu


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