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Quelle place pour la foi dans la société ? Par Roger Garaudy

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit

Nous devons [...] éviter maints écueils :

religion, ses rites et ses dogmes. Cette privatisation de la religion

porte sur les croyances et non sur la foi. Or la croyance

est une manière de pensée, la foi une manière d'agir. La tolérance

sera donc totale en ce qui concerne la croyance, mais il

est interdit à la foi d'agir sur les structures concrètes du

monde, selon les intérêts des individus et des groupes.

" comme à une commémoration, " " Assistez à la messe écoutez

" par votre rabbin, " la lecture de la Thora prosternez-vous ", derrière

votre imam, mais, à la sortie, insérez-vous docilement

Ayez toutes les idoles intellectuelles que vous voulez pourvu

que vous n'interveniez pas, au sortir du temple, pour changer

l'ordre établi par le libre jeu du monothéisme du marché, régissant,

dans la pratique, toutes les relations humaines.

A l'inverse, le totalitarisme prétend régner à la fois sur les

esprits et sur les corps, sur la foi et les actions qu'elle commande,

soit en érigeant l'Etat en une religion, soit en faisant

d'une religion particulière une religion d'État qui établira un

nécessaire dualisme politique et social. Qu'il s'agisse d'un

État juif, d'un État chrétien, ou d'un État islamique, celui qui

n'appartient pas à la religion officielle est un citoyen de seconde

De ce point de vue la prétention chrétienne d'être la religion

universelle est une forme typique de colonialisme spirituel,

inséparable du colonialisme tout court.

Quelle que soit la solution choisie la confusion de la croyance

religieuse et de la foi vivante et agissante à l'intérieur de

toutes les religions rend le problème insoluble par la résurgence

des intégrismes, qui consistent à prétendre que tous les

problèmes ont été résolus, et pour toujours, par leurs pères

Si Bouddha, Moïse, Jésus, Mohammed, ont apporté des

réponses et des solutions aux interrogations et aux problèmes

de leur temps, cela ne nous dispense en aucune manière de la

responsabilité de résoudre, à partir de leurs principes, les problèmes

de notre temps : aucun sutra bouddhiste, aucun verset

de la Bible ou du Coran, ne nous permet de résoudre, sans

une interprétation préalable, les problèmes posés par l'énergie

atomique, les multinationales, la spéculation boursière, le

colonialisme, ou autres, qui ne se posaient pas au temps des

prophètes. Nous pouvons seulement, à partir des principes

qu'ils ont apportés, prendre, à tout risque, la responsabilité de

les appliquer dans des situations historiques radicalement

Ceci n'implique aucun relativisme, ni éclectisme, ni syncrétisme.

Chaque religion a sécrété, autour des principes communs

à toute acceptation de la transcendance, des valeurs absolues,

des cultes avec leurs rites et leurs dogmes propres à chaque

culture pour tenter une approche de l'absolu. Il se peut que

cette liaison ou cette soumission à Dieu qui exige la participation

entière de notre être, y compris de notre corps, donne une

forme particulière à la prière et à l'adoration, qui vont ensuite

La tradition culturelle de chaque peuple peut ainsi s'exprimer

par une attitude particulière du corps, celle du yoga (joug)

soumission à Dieu, pour les uns, de la prosternation ou de

l'agenouillement pour d'autres.

L'essentiel est que cette posture du corps facilite la communication

avec Dieu ou avec la sagesse (de quelque nom qu'on les

désigne), et ne se dégrade pas en une gymnastique sans âme.

La diversité des religions, par la fécondation réciproque des

cultures qui les spécifie, est une richesse que l'on ne peut

détruire en imposant à l'autre la forme d'expression dont nous

sommes, avec notre culture, les héritiers.

Nous ne pouvons revendiquer le monopole des voies d'accès

à la transcendance, que nous l'appelions salut, libération,

Nous pouvons seulement, avec le plus grand respect du comportement

rituel des autres, et des symboles par lesquels ils

expriment leur foi, leur sagesse ou leur Dieu, nous enrichir de

leur expérience, gravissant, par des voies diverses, la même

cime, inaccessible peut être, qui nous fait rechercher le sens de

notre vie et de notre histoire, et les voies de son accomplissement.

En résumé, ce qu'il y a le plus précieux, ce n'est pas ce qu'un

homme dit de sa foi, mais ce que cette foi fait de cet homme.

Comment le libère-t-elle de ses aliénations ?

C'est-à-dire de ses ambitions personnelles réalisées par l'écrasement

des autres, de ses projets partiels, individuels ou

nationaux, qui ne tendent pas à la création d'une communauté

universelle, symphonique, fin suprême de la foi qui appelle

toutes les religions à la transcendance, au dépassement de

Une démystification spirituelle est d'abord nécessaire.

Il faut certes corriger l'erreur d'aiguillage commise à la

Renaissance lorsque l'on appela raison la seule science des

en la mutilant de son autre dimension fondamentale,

seule capable d'en mettre les merveilleuses découvertes au

service de l'épanouissement de l'homme et non de sa destruction:
la sagesse,qui est réflexion sur les Fins.

Mais, au delà, il faut en finir avec la pire perversion de la pensée

entre élus et exclus, accordant aux premiers le pouvoir de

droit divin de dominer, d'asservir ou même de massacrer tous

les autres, quels que soient ceux qui s'attribuent ce privilège,

qu'ils soient hébreux ou chrétiens d'Europe réclamant l'héritage

de l'élection pour persécuter les juifs qui s'en croyaient

détenteurs, puis les musulmans par les Croisades, puis le

monde par le colonialisme, jusqu'à ce qu'ils soient dépossédés

de ce mythique droit par le destin manifeste que se décernèrent

les États-Unis au détriment des Indiens, des Noirs,

puis du monde, sacralisant même la royauté du dollar en inscrivant,

sur chaque billet vert, que sa toute puissance était

d'essence divine : I n God We Trust.

Il faut d'abord en finir avec les lectures intégristes de la Bible

qui font d'elles la seule écriture sainte de l'humanité, alors que

chaque peuple, dans le monde, a vécu la préhistoire de son

humanité en créant les grands mythes qui balisent le parcours

millénaire de l'humanisation divine de l'homme. Tous les

peuples ont une histoire sainte : celle de l'homme à la

Les conséquences de ces affabulations sur un peuple élu, sans

autre fondement qu'un seul texte, sont aggravées par le fait

qu'un certain christianisme s'est prétendu l'héritier de cette

tradition, s'est approprié l'élection divine pour s'attribuer un

de domination du monde, en exerçant sur les droit divin non -

ses dominations, ses spoliations et ses massacres, au nom

de la même supériorité ontologique, théologique, sur les

Indiens d'Amérique, les esclaves déportés d'Afrique, et une

grande partie de l'Asie, de la guerre de l'opium à Hiroshima,

des destructions massives du Viet Nam à celles de l'Irak.

Nous avons aujourd'hui plus besoin de Prophètes que de

politiciens , plus besoin de Bouddha, de Jésus ou de Gandhi

que de César ou de Napoléon, car rien ne commence avec les

lois et les empires : tout commence dans l'esprit des hommes,

et d'abord dans la révision sévère des religions traditionnelles

qui, par leur dégénérescence intégriste, se sont transformées

en théologies de la domination. L'intégrisme, c'est cette prétention

de toute hiérarchie religieuse comme de tout pouvoir

politique (qui se sert de la première pour justifier sa pérennité)

de réduire la foi à la forme culturelle ou institutionnelle

qu'elle a pu revêtir à telle ou telle période antérieure de son

histoire : pour nous en tenir aux religions dominantes des

dominants, et aux religions dominantes des dominés : le

christianisme ne peut plus être ce que le fit Constantin : l'héritier

d'un Empire centralisé à Rome, prétendant imposer son

idéologie et ses hiérarchies à tout le reste du monde dont on

ignore ou veut ignorer les spiritualités autochtones.

Une telle religion divise. Elle fut le prétexte de tant de

guerres ! Alors que la foi unit dans un effort solidaire de

dépassement pour parvenir à cette certitude qui demeure toujours

un risque et un postulat :

- Aucun homme ne peut prétendre avoir la foi comme on possède

un trésor. L'homme de foi est toujours en route vers un

- Le monde n'est pas fait de choses mais de sources, de jaillissement

- Dieu n'est pas un être (comme les choses) mais un acte (celui

d'incessamment créer). C'est pourquoi il n'a pas besoin d'être

visible pour exister : il est ce mouvement qui est en nous sans

Ainsi, contre les prédicants d'une fin de l'histoire, l'histoire,

comme les fleuves, n'a pas d'autre embouchure que l'Océan.

Préparer politiquement cette mutation spirituelle universaliste ,

c'est d'abord mettre fin à la prétendue mondialisation qui est

le contraire de l'universalité : c'est une entreprise impériale de

nivellement ou d'anéantissement de la culture et de la foi de

tous les peuples pour leur imposer, avec les armes et les dol-

lars des États-Unis, l'inculture et le non-sens d'une religion

qui n'ose pas dire son nom : le monothéisme du marché qui

ne serait pas seulement la fin de l'histoire mais la mort de

l'homme et du Dieu qui est en lui.

Roger Garaudy . L'avenir mode d'emploi. Pages 186 à 192


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