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Israël à la recherche de toujours plus d’espace

Publié le 30 septembre 2016 par Blanchemanche

Par Béatrice Giblin , Géographe, directrice de «Hérodote», revue de géographie et de géopolitique — 

Shimon Pérès n’a jamais remis en cause ce pilier de la géostratégie israélienne : conquérir toujours plus de territoire.

Les territoires palestiniens depuis 1949. Cartes BIG
Avec la mort de Shimon Pérès, l’espoir de voir deux Etats juif israélien et palestinien s’amenuise encore un peu plus. Les commentateurs ont rappelé que dans sa jeunesse il avait été un farouche partisan de l’armement d’Israël (trouvant un solide appui auprès de la France), alors très petit territoire menacé par des armées arabes beaucoup plus puissantes. Mais après la guerre des Six Jours, en 1967, le rapport de force avec les armées arabes n’était plus le même, il était devenu nettement plus favorable à Israël et encore un peu plus en 1973 après la guerre de Kippour. Ce n’est que dans les années 90, avec les accords d’Oslo, que Shimon Pérès prit cette stature d’homme d’Etat, consacrée peu après, en 1994, par un prix Nobel de la paix. Mais aucun des grands responsables politiques, même officiellement partisans d’une paix avec les Palestiniens - Shimon Pérès compris -, n’a jamais remis en question la géostratégie d’Israël de conquérir toujours plus d’espace. La destruction des colonies du Sinaï par décision d’Ariel Sharon en 1982 - prix de la paix avec l’Egypte - et de Gaza en 2005 ne s’est nullement accompagnée d’un arrêt du développement des colonies en Cisjordanie, qui comptent 450 000 habitants aujourd’hui.Pour les colons religieux les plus extrémistes, la terre promise, dont parle la Bible, s’étend de la Méditerranée à l’Euphrate et au Nil. Les colons religieux qui le sont moins limitent le Grand Israël de la Méditerranée au Jourdain. Mais, tous étant persuadés de leur mission divine, ils appliquent sans états d’âme la stratégie des avant-postes mise en œuvre dès le tout début du sionisme : une installation très limitée en terre hostile, au cœur de la Cisjordanie, puis son renforcement par l’installation, toujours illégale, de quelques familles et enfin, avec le temps et le poids des partis religieux qui ne fait que se renforcer, la reconnaissance plus ou moins officielle de la colonie par l’Etat israélien. Le choix des lieux est non seulement fait en référence à la Bible mais aussi pour mailler la Cisjordanie de points d’ancrage juifs installés sur le haut d’une colline afin de dominer l’espace (à la différence des villages palestiniens qui sont sur les versants) et en prendre le contrôle peu à peu en s’appropriant par la force les terres agricoles des paysans palestiniens.Moins chers.Dans une vision optimiste de l’avenir on se dit que ces colonies religieuses peu peuplées seront peut-être démantelées si Israéliens et Palestiniens arrivent à un accord. Mais on peut douter de la destruction des grandes colonies construites près de Tel-Aviv ou de Jérusalem peuplées d’Israéliens non religieux à la recherche de logements agréables et moins chers et ce, d’autant plus qu’ils sont subventionnés par l’Etat. Par ses aménagements routiers (autoroutes, tunnels et autres ponts, réservés aux seuls Israéliens), ce dernier réussit à donner l’illusion de la continuité du territoire national, ce qui permet aux colons de se croire en Israël, donc de ne pas se penser comme colons et encore moins de se voir comme des occupants illégaux - ce qu’ils sont au regard du droit international. Comment pourrait-il en être autrement quand, en quelques minutes de voiture et à vive allure, ils sont à Jérusalem ou Tel-Aviv, quand les Palestiniens circulent sur des routes étroites, tortueuses, contraintes de contourner les colonies israéliennes ce qui allonge encore le temps des trajets.Au temps des croisades.Cette géostratégie israélienne peut continuer à se développer car elle n’a pas contre elle une géostratégie palestinienne aussi construite, à cause des divisions politiques qui marquent l’histoire des Palestiniens depuis 1948. Divisions d’autant plus malheureuses et difficilement compréhensibles que ces colonies menacent l’existence même de leur pays. A cause aussi de cette représentation longtemps partagée par les populations arabes que la présence juive ne serait que temporaire, comme le fut celle des Francs au temps des croisades. Ajoutons encore la faiblesse des investissements en Cisjordanie de la riche diaspora palestinienne (souvent chrétienne). Quand celle-ci investit, comme à Rawabi, ville nouvelle proche de Ramallah, elle construit une ville sur le modèle occidental, en quelque sorte «hors sol», presque totalement inoccupée. S’unir et savoir penser l’espace aussi efficacement que les Israéliens pour résister à la colonisation est un objectif qui semble pour le moment impossible (encore faudrait-il qu’ils y pensent), la colonisation israélienne a donc encore de l’avenir.Béatrice Giblin Géographe, directrice de «Hérodote», revue de géographie et de géopolitiquehttp://www.liberation.fr/planete/2016/09/28/israel-a-la-recherche-de-toujours-plus-d-espace_1513845

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