3 octobre 2016 / Marie Astier (Reporterre)
Un agriculteur qui veut planter du maïs ne peut qu’acheter des semences « hybrides », propriété des semenciers. Mais une alternative existe maintenant : le programme « l’Aquitaine cultive la biodiversité » développe les maïs paysans — dits « population » - et sans brevet... Le Change (Dordogne), reportageSolidement planté devant l’enfilade de rangées de maïs, Bertrand Lassaigne est intarissable. Chaque maïs a son petit nom, son histoire. « Le ruffec, c’est un agriculteur charentais qui nous l’a apporté », commente-t-il devant un alignement de plants. De petits panneaux indiquent le nom et décrivent les variétés. « Le coussarin, il vient du Périgord, poursuit-il. Et le lavergne, c’est moi qui l’ai créé. En 2003, j’ai planté un mélange de variétés qui me plaisaient. Puis, d’année en année, j’ai sélectionné les meilleurs épis. Aujourd’hui, il s’adapte à beaucoup de régions, résiste bien à la sécheresse et donne des rendements constants. »
- Près de soixante-dix personnes ont participé à la visite.
« En quinze ans plus de mille agriculteurs ont reçu des semences grâce au programme »
La récolte aura lieu dans un ou deux mois et on peut observer les épis déjà formés. En les libérant de leur épaisse enveloppe de feuilles, on découvre des grains de toutes les couleurs, allant du jaune classique au rouge, noir, ou même blanc. Ce printemps, une soixantaine de variétés ont été semées, chacune sur quelques rangées. Les tailles et stades de maturité se mélangent dans les 5.000 mètres carrés du champ. Beaucoup de feuilles ont jauni, d’autres ont été couchées par le dernier coup de vent. Il faut bien le reconnaître, les maïs n’ont pas revêtu leurs meilleurs atours pour accueillir les visiteurs. « Il a beaucoup plu au printemps, et depuis, plus rien ! » rappelle Bertrand. Puis, l’orage de la semaine précédente a violemment rompu la période de sécheresse.« La récolte ne sera pas extraordinaire, mais je m’attendais à pire », relativise Bertrand. « On n’a pas irrigué, on pourra ainsi sélectionner les maïs les plus résistants à la sécheresse. »- Bertrand Lassaigne est allé au Guatemala à la recherche de semences libres.
« Avec les maïs population, je n’ai jamais vu une parcelle cramer entièrement sur un coup de sec »
Dans l’assistance, certains sont des habitués, d’autres des curieux. Michel, par exemple, n’a encore jamais semé de maïs population. « Mais mon voisin en sème depuis longtemps, explique-t-il. J’me dis que je pourrais essayer. Les consommateurs, ils sont attentifs à çà. Et il paraît qu’en apportant juste un peu d’azote, les rendements sont équivalents. » Un autre, l’air un peu perdu, avoue ne connaître personne. « J’ai vu l’annonce dans le journal, j’suis venu voir. » Lui aussi est en conventionnel. « Mais quand on voit les charges qui augmentent sans cesse, et le prix de vente qui n’augmente pas, on se dit y’a pas le choix, il faut diminuer les dépenses. » Frédéric, lui, avoue ne pas s’en sortir. Il a pris un boulot à mi-temps en plus de ses champs, qu’il aimerait passer en bio.« Quand on achète les semences hybrides sur catalogue, c’est 120 euros l’hectare, note-t-il. Quand on les fait soi-même, c’est du travail, mais au moins on apprend à sélectionner. Et en plus, avec les maïs population, je n’ai jamais vu une parcelle cramer entièrement sur un coup de sec. On a parfois moins, parfois plus qu’avec les hybrides, et ça motive pour continuer les recherches ! »Chez Agrobio Périgord, on confirme que les maïs population ne sont pas qu’une affaire de bio : environ 40 % des agriculteurs inscrits dans le programme sont en conventionnel. Les semences peuvent d’ailleurs être un premier pas vers une évolution...Pour le repas, des tables ont été dressées sous un barnum, les paysans s’attablent alors que la cuisinière, Laurence Dessimoulie, s’active. Au menu, bien sûr, du maïs : polenta en plat, gâteau courge-maïs en dessert. « J’ai testé beaucoup de variétés de maïs population, explique-t-elle. Les saveurs sont plus fines, plus âpres ou plus grasses, la texture plus moelleuse, et puis, ils contiennent aussi plus de nutriments. Chacune s’exprime différemment au niveau texture, goût, couleur. J’ai passé beaucoup de temps avec les paysans qui sélectionnent : eux sont à l’écoute dans le champ, et moi, c’est pareil en cuisine ! »- Laurence Dessimoulie.
« Toute cette ressource génétique est à la disposition des paysans »
Deuxième invité de la journée, le sélectionneur suisse de semences bio Peter Kunz. Le scientifique a voulu « ouvrir la génétique privatisée par les grandes maisons semencières ». À partir de 20 variétés de maïs hybride qu’il a « craquées », il a créé une variété de maïs population. « Son rendement est le même que celui des maïs hybrides utilisés pour la constituer, dit-il. Et désormais, toute cette ressource génétique est à la disposition des paysans et de tous ceux qui voudraient la sélectionner, l’adapter à un climat ou un terroir. »Car, tous le reconnaissent : la recherche sur les maïs population et leur adaptation a encore du chemin à faire. « J’ai choisi cette voie, je sais que c’est la bonne, mais on a encore des progrès à faire », commente un paysan. Depuis quinze ans que l’aventure du maïs population a commencé dans cette ferme, elle a essaimé avec des groupes de recherche participative en Pays de la Loire, Rhône-Alpes ou encore Poitou-Charentes. Reste que l’association a toujours du mal à défendre son action, dépendante des subventions publiques. Elle a dû faire un audit pour prouver l’utilité de son activité. Bilan : « On fait déjà beaucoup avec ce qu’on a, et on aurait pu faire beaucoup plus si on avait eu plus ! » se félicite Élodie Gras. Pourtant, « il va falloir mettre la pression pour que le programme continue. »Vous avez aimé cet article ? Soutenez Reporterre.
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Source : Marie Astier pour ReporterrePhotos : © Marie Astier/Reporterrehttps://reporterre.net/Pour-se-liberer-des-semenciers-des-agriculteurs-redecouvrent-le-mais-population