" L'élite politique redoute le référendum. C'est un instrument imprévisible de gouvernement, qui transfère le pouvoir de décision des partis vers le peuple, dépersonnalise les débats et laisse s'exprimer les clivages de l'opinion. (...) C'est sous couvert de sa légitimité, reçue par la sanction populaire, que le gouvernement élu prétend gouverner au nom du peuple. Le référendum, en ce sens, conteste cette légitimité. Il procède de l'idée que les gouvernements représentent imparfaitement l'opinion publique. (...) La méfiance à l'égard du référendum tient aussi à la crainte qu'il ne suscite des excès de populisme, on envisage mal que des foules peu instruites de l'enjeu du débat, influencées par des groupes factieux, tranchent des questions complexes. " (Marc Chevrier, politologue canadien).
Le 2 octobre 2016 ont eu lieu deux référendums où le "non" l'a emporté, sur des sujets très différents. En Colombie, il était question de l'accord de paix avec les FARC. En Hongrie, c'était l'accueil des réfugiés qui était le sujet central.
Dans sa volonté de protester contre la politique des "quotas" de migrants que l'Union Européenne voudrait imposer à la Hongrie, soutenu par une population de plus en plus portée sur le repli identitaire, le Premier Ministre hongrois Viktor Orban a organisé dans son pays un référendum le 2 octobre 2016 en posant cette question au peuple : "Voulez-vous que l'Union Européenne puisse prescrire l'installation obligatoire en Hongrie de citoyens non hongrois sans l'approbation de l'Assemblée Nationale ?".
Cette question ne donne donc pas explicitement l'occasion de dire si l'on est pour ou contre l'installation des réfugiés, mais sur la méthode qui viserait à l'imposer à la Hongrie sans son approbation parlementaire. Tous les traités européens doivent être ratifiés par les parlements de chaque État membre, si bien que les parlementaires hongrois ont ratifié le Traité de Lisbonne qui prévoie justement une majorité qualifiée pour ce type de sujet.
La Cour suprême hongroise (l'équivalent de la cour de cassation) a cependant validé le 5 mai 2016 le principe de ce référendum, considérant que cette décision européenne touchait à la souveraineté nationale du pays. Le Ministre hongrois de la Justice (depuis le 6 juin 2014), Laszlo Trocsanyi, spécialiste en droit constitutionnel et en droit européen (ancien ambassadeur de Hongrie en France de 2010 à 2014), a considéré que l'Union Européenne n'avait pas de mandat pour relocaliser des personnes.
Quel est le sujet ? La relocalisation des réfugiés arrivés en Grèce et en Italie pour demander l'asile politique en Europe, fuyant la guerre civile en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Le 22 septembre 2015, le Conseil Européen a décidé, à la majorité qualifiée, de relocaliser 120 000 demandeurs d'asile selon une clef de répartition (appelé improprement "quotas") qui a pris en compte la taille du pays selon plusieurs critères (un peu plus tard, il fut question de relocaliser 160 000 personnes). Cette décision a entraîné une demande à la Hongrie d'accueillir 1 294 réfugiés, ce qui est très faible par rapport à sa population totale de 10 millions d'habitants (soit 0,01% !).
Pour justifier le référendum annoncé le 24 février 2016 au cours d'une conférence de presse, Viktor Orban a expliqué que cette politique de relocalisation " redessinerait l'aspect culturel et ethnique de la Hongrie ". L'argument aurait été valable avec une forte proportion de réfugiés, mais il faudrait être bien fragile avec son identité culturelle et même ethnique (que vient faire "l'aspect ethnique" ?) pour croire qu'un réfugié pour 10 000 citoyens hongrois irait remettre en cause la longue histoire de la Hongrie.
Même si le référendum ne portait pas explicitement sur l'accord ou le désaccord concernant cette politique de relocalisation (comme je l'ai indiqué plus haut), Viktor Orban n'a pas caché ses arrière-pensées puisqu'il s'agissait pour lui de s'opposer à l'Union Européenne par ce moyen-là : " Ce n'est pas un secret que le gouvernement refuse les "quotas" obligatoires. ".
Cette nouvelle provocation, car c'en est une, a évidemment des visées de politique intérieure et ce qui est assez pitoyable, c'est que les dirigeants européens semblent tomber dans son piège. Pourquoi ? Parce que Viktor Orban est plus un opportuniste qu'un militant d'une droite dure identitaire (qui est aussi fustigé dans son pays par le "vrai" parti d'extrême droite, Jobbick).
Pour preuve, son premier gouvernement qui était d'essence libérale et pas conservatrice. Viktor Orban serait plutôt à comparer à un Nicolas Sarkozy hongrois qui veut montrer ses muscles, sa fermeté souverainiste pour des raisons très électoralistes. Il avait même proposé récemment de rouvrir le débat sur le rétablissement de la peine de mort en Hongrie, que les traités internationaux avaient pourtant abolie définitivement.
C'est certes irresponsable de souffler sur des braises alors que le sujet de l'identité est très sensible en Europe (on le voit aussi en Allemagne, en France et même au Royaume-Uni), mais cela peut se comprendre, d'autant plus que pas un dirigeant d'un État membre ne prend ses décisions indépendamment de ses propres préoccupations de politique intérieure.
Par conséquent, la volonté de vouloir mettre à l'index Viktor Orban, et même, pourquoi pas ? son pays tout entier, la Hongrie, est non seulement contreproductive (les Hongrois ont alors raison de montrer leur indépendance) mais c'est inconséquent car cela ne fait que remettre de l'huile sur le feu dans les relations entre la Hongrie et ses partenaires européens.
La palme de la stupidité revient probablement au Luxembourg, qui, par la voie de son Ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn, dans une interview au quotidien allemand "Die Welt" le 13 septembre 2016, a fait fort en demandant carrément l'exclusion de la Hongrie de l'Union Européenne !
Il faut dire que le ministre luxembourgeois avait réagi contre la barrière que la Hongrie a fait construire entre le 6 juillet 2015 (date de l'approbation par les députés hongrois) et le 15 octobre 2015 à ses frontières avec la Serbie et la Croatie, composée de rouleaux de fil barbelé coupant. Pour un responsable qui a introduit les racines chrétiennes dans sa Loi fondamentale, ce n'est pas très ... chrétien.
Cette barrière contrevient à la réglementation internationale concernant le droit d'asile. C'est d'autant plus curieux que la plupart des réfugiés ne franchissent la frontière hongroise que pour en ressortir, car leur lieu de destination est plutôt l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, pas dans un pays qui a montré très clairement qu'il ne voulait pas les accueillir. Notons que Donald Trump propose un mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique pour empêcher l'immigration mexicaine. Les vieilles ficelles populistes se déclinent selon les pays.
Lorsque le Président français François Hollande explique qu'il faudrait envisager de poser la question de la présence de la Hongrie au sein de l'Union Européenne, il n'est pas plus responsable que le ministre luxembourgeois et va à l'encontre des intérêts de l'Europe renforçant le sentiment national des Hongrois. La polarisation entre les États et l'Union Européenne est de plus en plus accentuée par diverses provocations d'un côté comme de l'autre.
Jean-Claude Juncker a déclaré fort malhabilement l'été dernier : " Si des référendums sont organisés sur chaque décision des ministres et du Parlement Européen, l'autorité de la loi est en danger. ". Le Commissaire européen chargé des migrations, le Grec Dimitris Avramopoulos, a déclaré bien avant le scrutin que ce référendum n'avait aucune valeur juridique : " Les États membres ont la responsabilité légale d'appliquer les décisions prises. ".
Si ce constat (aucune valeur juridique) est vrai, le dire accrédite l'idée que les peuples européens n'auraient pas droit à la parole concernant les affaires européennes, et cette idée ne va pas le sens d'un renforcement de la construction européenne. Au contraire, ce sont des paroles qui hystérise et qui font fuir le sentiment européen. C'est un vieux débat entre doxa et vérité qu'avait initié ...Socrate, au prix de sa propre vie ( lire dans quelques jours ici).
Car ce n'est pas parce qu'un référendum n'a pas de valeur juridique (le droit européen l'emportant sur le droit national, c'est la base du droit international), qu'il n'a pas de valeur politique, et c'est ce pari qu'a fait Viktor Orban avec ce référendum du 2 octobre 2016.
Cependant, les résultats n'ont pas été à la hauteur de ses attentes. Il était convenu que le peuple hongrois était majoritairement défavorable au plan de relocalisation des réfugiés.
Comment un national peut-il accepter qu'une instance internationale puisse imposer une mesure à sa nation sans que celle-ci ne l'approuve ? La question du référendum était donc posée pour que la réponse soit donc très largement majoritaire pour le "non".
Toutefois, l'opposition à Viktor Orban, au lieu de tomber dans le piège et de faire campagne pour le "oui" qui lui aurait donné une connotation particulièrement antipatriotique, a habilement fait campagne pour l'abstention ou le vote nul. L'ancien député UMP Christian Vanneste a constaté effectivement : " Beaucoup de socialistes allant aux urnes auraient sans doute voté "non" comme la majorité des électeurs. En s'abstenant, ils ont contré Viktor Orban sans voter pour l'accueil des migrants imposés par l'UE. " (4 octobre 2016).
En Hongrie, pour qu'un référendum soit (juridiquement !) validé (au sens de l'article 8 de la Constitution du 1 er janvier 2012), il faut que l'ensemble des suffrages exprimés représente au moins 50% des électeurs inscrits. Or, seulement 40,7% des électeurs inscrits se sont exprimés avec un vote valide, c'est-à-dire qui ne soit pas nul ni blanc.
Mais le juridique est une chose et le politique une autre. Car dans les suffrages exprimés, c'est une immense majorité (sans surprise) qui a voté "non", 3 309 706 suffrages sur les 8 272 :625 électeurs inscrits, soit 98,3% des suffrages exprimés et 40,0% des électeurs inscrits. Quant au vote "non", il ne représente qu'une infime minorité, 55 961 votes, soit 1,7% des suffrages exprimés.
Évidemment, la double lecture permet des conclusions différentes.
La lecture juridique permet à l'opposition hongroise d'annoncer la défaite de Viktor Orban qui a provoqué un référendum boomerang. Ainsi, le journal d'opposition "Nepszava" a parlé d'un échec à 48,7 millions d'euros, le coût colossal de la campagne référendaire du gouvernement Viktor Orban qui a affiché plusieurs mensonges odieux et scandaleux pour les victimes des attentats en France en 2015 et 2016.
Dans les rues de Szeged, une ville hongroise de 165 000 habitants du sud-est, près de la frontière serbe et de la frontière roumaine, on peut lire, par exemple, en août 2016, ces deux affiches. La première : " Le saviez-vous ? Depuis le début de la crise migratoire, il y a eu en Europe plus de 300 morts dans des attentats terroristes. ". La seconde : " Les attentats de Paris ont été commis par des immigrants. ". On peut comprendre pourquoi la France et la Belgique sont en colère contre le ton de cette campagne référendaire.
L'historien Paul Gradvohl a fait remarquer : " Le résultat constitue un grave échec pour Viktor Orban (...). Une grande partie des électeurs du Fidesz [le parti présidé par Viktor Orban] ne sont pas allés voter. Ce sont en grande majorité des électeurs d'extrême droite qui se sont déplacés (...). Dans les grandes villes, comme Budapest, le nombre de bulletins invalides a atteint 11%. À l'échelle nationale, le pourcentage atteint 6,27%. En 2003 [le 12 avril 2003], lorsque les citoyens avaient validé leur entrée dans l'Union Européenne, le nombre de bulletins invalides étaient seulement de 0,49%. " ("Le Monde" du 3 octobre 2016).
Pourtant, la lecture politique permet au contraire à Viktor Orban de dire à l'Europe que tout son peuple est derrière lui sur la question de l'accueil des réfugiés (je précise que la question ne porte cependant pas sur l'accueil mais sur la manière de les accueillir). Ainsi Viktor Orban s'est permis de parader : " Bruxelles ou Budapest, telle était la question, et nous avons dit Budapest. (...) [L'Europe] ne pourra pas imposer sa volonté à la Hongrie. ".
Il a même décidé le 4 octobre 2016 d'engager une révision constitutionnelle pour mettre les questions migratoires dans les prérogatives des parlementaires hongrois, considérant qu'une personne non européenne ne pourrait pas être accueillie en Hongrie sans sa propre demande qui devra être " examinée individuellement par les autorités hongroises et sur décision légale prise selon la procédure définie par une loi instaurée par l'Assemblée Nationale ".
L'échec de Viktor Orban est donc très relatif. Il a mobilisé quand même plus de 3 millions de voix, ce qui est à peu près le total des voix du Fidesz (2 264 780 voix) et du parti d'extrême droite Jobbik (1 020 476 voix) lors des élections législatives du 6 avril 2014 où le parti de Viktor Orban avait obtenu 133 sièges de députés sur 199, soit 66,8%, au-delà des deux tiers qui permettent les révisions constitutionnelles sans négociations avec d'autres partis. La perspective des élections du printemps de 2018 ne fera qu'exacerber pendant ces prochains dix-huit mois le discours de Viktor Orban dans les relations entre la Hongrie et l'Union Européenne.
Car l'autre grand perdant de ce référendum, c'est bien sûr l'Union Européenne qui, après le Brexit, doit faire face à des protestations sur son fonctionnement et sa gouvernance provenant des pays d'Europe centrale et orientale, et les résultats de ce référendum ne font que confirmer cette situation plus générale.
Dans tous les cas, il est insensé de vouloir imposer aux peuples, de l'extérieur, l'installation de réfugiés si ces peuples n'en veulent pas, car cela ne pourrait créer que des graves troubles de part et d'autre. La Hongrie n'est en effet pas la seule à refuser cette politique de relocalisation. La Slovaquie, la République tchèque et la Roumanie avaient aussi voté contre ce projet, lors du Conseil Européen du 22 septembre 2015, et la Finlande s'est abstenue, tandis que la France a relocalisé 1 952 réfugiés sur les quelque 27 000 prévus par le plan (sur les 160 000 qu'il est censé relocaliser dans toute l'Europe).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 octobre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le référendum du 2 octobre 2016 en Hongrie.
La Hongrie de Viktor Orban.
La Hongrie d'Imre Pozsgay.
La Hongrie d'Arpad Goncz.
György Ligeti.
Angela Merkel.
Jean-Claude Juncker.
La crise des réfugiés.
Populismes.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161002-hongrie-orban.html
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/referendum-hongrois-sur-les-185308
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/10/10/34421932.html