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Après.

Publié le 11 octobre 2016 par Elosya @elosyaviavia

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Il y a presque un mois, j’ai été agressée devant la porte de mon immeuble.

Comme tant d’autres vendredis, j’étais restée tard au boulot pour finir des travaux en cours avant le weekend et puis en soirée j’ai l’esprit plus clair pour bosser, il y a moins de monde dans les bureaux, le  téléphone s’arrête enfin de sonner.

Ce soir là, il y avait un spectacle. Lorsque celui-ci s’est terminé, je suis restée discuter avec mes collègues. Il y avait aussi des comédiens d’une ancienne compagnie ayant joué au théâtre qui étaient là. Plusieurs fois dans la soirée, j’ai dit que je partais, mais je suis restée  parce que j’aimais les discussions en cours et que la soirée était agréable. Je disais : j’ai acheté des pâtes et du fromage, il faut que je rentre me préparer tout ça.

Voyant l’heure tournée, je me suis dit qu’il était temps de prendre le métro pour rentrer chez moi et me préparer à manger.

Quelques jours après l’agression, parfois je me demandais ce qui se serait passé si j’étais partie plus tôt. Mais on ne refait pas le passé, ça ne se passe pas comme ça la vie.

J’ai pris un premier métro. Je frissonnais sur le quai. J’avais envie d’être au chaud chez moi. Puis le deuxième métro. J’arrive à ma station. Comme tant d’autres fois, je regarde les prochains passages de bus. Il y en a un dans pas longtemps, il fait froid, il pleut, je veux rentrer vite. Alors j’attends. Le bus arrive. Il y a un peu de monde, j’ai un moment de doute, est ce que je le prends ou est ce que j’attends le prochain ? Je le prends. Je rentre dans le bus et après un rapide coup d’oeil, je me dis que ça va, rien de notable. Il y a juste une bande de mecs qui chahutent entre eux.

Je descends à l’arrêt qui se situe à quelques mètres de chez moi. Je me sens tellement crevée, j’ai hâte d’être chez moi. Je marche dans la rue. Je m’arrête un instant pour traverser et je regarde si des voitures arrivent, je regarde si je suis seule.

Je suis seule.

Je traverse la rue.

Puis j’arrive devant ma porte d’immeuble. Je suis encombrée, j’ai un gros livre à la main que je range dans mon petit sac où se trouvent bouffe et tupperware, je remets la bride du sac qui glisse de mon épaule droite, machinalement comme tant de fois. J’ai mon sac à main en bandoulière et j’ai mon parapluie grand ouvert. Je farfouille dans mon sac pour trouver mes clés et puis là je ne sais pas pourquoi je relève la tête pour regarder en direction du début de la rue.

Rien. Personne.

Je farfouille à nouveau dans mon sac pour trouver mes clés et pareil une sensation qui me prend. je relève la tête et c’est là que je le vois. Il y a un homme debout au début de la rue. Il fait nuit, mais j’ai l’impression qu’il sourit. Qu’il me sourit.

Là je me souviens que je me suis dit : on dirait un diablotin sorti de sa boîte.

Je ne le sens pas, y a un truc, je sens pas la situation. Je tape le code de ma porte. Le mec arrive vers moi. Je crois que dans la panique j’ai mal tapé le code parce que la porte ne s’est pas ouverte tout de suite. Je retape le code, je pousse la porte, c’est à ce moment là que le mec passe juste derrière moi et qu’en riant il introduit sa main entre mes jambes et essaie de mettre ses doigts dans mon sexe.

A ce moment là, je me souviens que j’étais là sans être là, je suis passée dans un mode survie, je dirais. J’ai lâché la porte qui s’est refermée. J’ai eu un mouvement énervé de recul, je me retourne vers lui, j’ai encore mon parapluie à la main et j’essaie de lui mettre un coup avec.

Dans la foulée je hurle, sur le coup je me souviens m’être demandée d’où venait ce son. Un son guttural, profond, enragé. C’est bizarre, mais j’ai pas compris tout de suite que ça venait de moi, que c’était moi. Je hurle sur lui et il semble tellement surpris qu’il fait un bond. Je le vois à quelques mètres de moi il a la main au niveau de son cœur et il a l’air sidéré.

Après le son, je lui hurle des mots, je lui dis que CA VA PAS DANS TA PUTAIN DE TÊTE !!!! T’ES MALADE !!!!! CONNARD !!!!

Il me répond l’air affolé, que ça va, ça va, il a rien fait, il a rien fait.

J’enrage encore plus et je lui hurle QUE C’ÉTAIT QUOI TON GESTE AVEC TA PUTAIN DE MAIN !!!!!! PUTAIN DE CONNARD !!!! ENFOIRÉ  JE VAIS TE PETER LA GUEULE !!!!! CONNARD

Le mec s’en va. Tout en continuant de l’insulter, je tape mon code d’entrée. J’arrive dans mon hall d’immeuble et tout en essayant de refermer mon parapluie, je m’aperçois que je suis encore en train de l’insulter.

Là je me souviens que je me suis dit doucement, que c’était fini, que la porte était fermée et que je ne craignais plus rien. Je suis rentrée chez moi. Mon chat m’attendait. Je me souviens avoir replié le parapluie en tremblant puis d’avoir mis à manger à mon chat. Ensuite, je me suis sentie très confuse, j’ai arpenté mon appart et je sentais que je tremblais de tous mes membres. Je ne savais pas quoi faire. Je me sentais juste très énervée et choquée. Puis j’ai essayé de me dire que c’était pas grave ce qui venait de se passer, que c’était juste un sale type qui avait essayé de me mettre une main au cul, que je devais pas en faire un pataquès et puis d’abord qu’est ce que je foutais dehors si tard hein aussi et pourquoi j’avais pas été plus attentive et puis au bout d’un moment, j’ai buggué et je me suis sentie honteuse qu’un mec arrive à me toucher l’entrejambe comme ça.

J’ai essayé de manger, mais la bouffe me dégoûtait.

Je me suis mise en pyjama, je suis allée au lit et je me suis dit que si c’était grave et qu’il fallait que j’aille porter plainte. J’ai regardé l’adresse du commissariat le plus proche. J’ai éteint la lumière et je me suis endormie rapidement comme si j’avais pris un coup de massue.

Le lendemain, samedi, j’ai ressenti le besoin de le mettre sur Facebook, il fallait que je raconte cette histoire. Je m’étais fixée une heure pour aller au commissariat dans l’après midi. J’appréhendais tellement. Un ami a proposé de venir avec moi. Nous y sommes allés. Le policier de l’accueil et celui qui a pris ma plainte ont été très sympathiques, très bienveillants et à l’écoute. C’est lorsque j’ai raconté l’histoire au policier qui a pris ma plainte que je me suis mise à pleurer, je crois que c’est vraiment à ce moment là que j’ai compris la gravité de ce qui venait de se passer avant. Tout ce que je racontais, je l’avais vécu quelques heures avant.

Ensuite, nous sommes allés boire un verre avec mon ami. Il m’a ramené chez moi ensuite, au début je ne voulais pas, mais ensuite je n’ai rien dit, parce que j’ai senti que cela me réconfortait grandement.

Ce soir là, j’ai écrit un mail à la maire de ma commune pour lui parler de l’agression et aussi pour apporter une réflexion sur le fait qu’il serait intéressant de mettre en place des cours de self défense gratuits pour les femmes ainsi que des campagnes de sensibilisation pour les personnes agressées et pour les personnes assistant à une agression pour que les gens sachent ce qu’ils ont la possibilité de faire dans ces cas. De rendre plus visibles aussi les numéros d’aide suite à une agression sexuelle. Le secrétariat de la mairie m’a rappelée et j’ai rendez-vous avec la maire dans quelques semaines.

Le dimanche, je suis sortie avec cet ami et une autre amie. Puis je suis rentrée. C’est là que j’ai eu ma première angoisse de rentrer seule. Cela se calme un peu lorsqu’il fait jour. Mais dès que je rentre et qu’il fait nuit, je suis en totale flippe, je regarde partout, je suis aux aguets, je me sens très nerveuse, même si j’essaie de ne pas le montrer, mais je suis terriblement angoissée quand je rentre chez moi. Avant le bus c’était un peu le moment safe pour rentrer chez moi, mais depuis l’agression, je ne me sens pas bien dedans. Je ne sais pas à quel moment cet homme m’a repéré, peut-être m’a t’il aperçu dans le bus pris ce soir là ou peut-être était-il déjà dans la rue. Je ne sais pas, mais maintenant cette agression je l’associe à ce putain de bus.

Le lundi, je l’ai dit à mes collègues de travail. Je ne me voyais pas ne rien dire sur cet évènement. Je voyais ma psy le lundi soir, je lui ai aussi raconté. Je me suis accrochée toute la semaine pour aller bosser. J’étais fatiguée moralement et physiquement, mais intérieurement je sentais que si je lâchais, ne serait-ce qu’un jour, je n’étais pas sûre de pouvoir me relever le lendemain matin. Je suis allée à un stage de self défense une semaine après. Les femmes présentes étaient supers, très à l’écoute de ce qui était arrivé et nous avons beaucoup échangé.

J’ai beaucoup parlé de cette agression sexuelle dans les jours qui ont suivi. Auprès de gens proches ou moins proches, de ma famille, de personnes que je côtoie au quotidien dans mon cadre professionnel. J’avais besoin de le dire, de le crier que putain de merde un homme s’est octroyé le droit de porter atteinte à mon corps et que c’est dégueulasse, injuste et que je ne suis pas responsable. Je ne suis pas responsable.

J’ai aussi remis en place des gens qui maladroitement me disaient des choses en réaction à l’agression. Comme cette personne qui m’a dit que de toute façon, on lui a appris à réagir et que c’est ce qu’il faut faire et puis que comparé à d’autres types d’agressions c’est moins grave. Alors j’ai répondu que l’on réagit comme on peut, parfois on est dans la sidération, le choc, la peur et que l’on arrive pas à réagir comme on voudrait dans ce genre de situation et puis j’ai rajouté que tout de même il faut qu’elle imagine un inconnu qui arrive et qui lui met les doigts dans SA vulve par surprise, c’est grave. Ou ce pote qui s’étonnait que je paraisse si atteinte par cette agression quelques jours après, lui qui me connaissait très solide intérieurement. Je lui ai répondu que le fait d’être solide n’était pas incompatible avec le fait d’être très fragile et qu’encore heureux que je laisse transparaître que ça ne va pas. Je pense beaucoup à ces filles, femmes qui ont vécu une agression de ce type et qui ont été sidérées, choquées, n’ont pas pu réagir. Je me dis que l’on réagit vraiment comme on peut et que l’on ne peut pas culpabiliser les gens. Les mots que l’on vous adresse sont hyper importants. C’est ce qui donne aussi la force de se reconstruire.

J’ai aussi reçu beaucoup de bienveillance, de chaleur humaine, de gentillesse, des mots remplis d’encouragement et d’amour de la part de mes proches. Je me sens chanceuse d’être aussi bien entourée. J’ai reçu autant de sensations positives et de mots pleins de compassion et d’affection de la part d’autres personnes sur Facebook notamment, mais aussi en dehors des réseaux sociaux, je me suis sentie très touchée de lire que des personnes que je côtoie peu dans mon quotidien ait pris le temps de me dire de belles choses. Des personnes ont aussi partagé avec moi, des histoires similaires et cela m’a énormément chagriné à chaque fois. Et dans le même temps, j’avais envie d’apporter beaucoup de réconfort à ces personnes parce que c’est aussi de ça dont on a besoin dans ces cas là.

A côté de tout ça, il reste tout de même la peur. J’ai peur quand je rentre le soir (je rentre beaucoup, beaucoup plus tôt que ce que je pouvais faire avant, même si je ne perds pas espoir de revenir parfois à mes habitudes d’avant, mais progressivement). J’ai peur qu’une nouvelle agression se produise, j’ai peur de retomber par hasard sur cet homme dans la rue. J’ai peur. J’ai une putain de trouille de tout ce qui pourrait m’arriver. Je pleure aussi. D’un coup comme ça, un truc m’énerve, me rend triste et d’un seul coup j’ai besoin de pleurer.

Et en même temps je me dis que si par malchance, je devais retomber sur ce connard ou si quelqu’un essayait de me porter atteinte, je ferais comme la première fois, je mettrais toute ma rage à me défendre.

Je repense à l’agression aussi. Parfois je repense à son rire, au moment où il a fait son geste et je crois que c’est aussi cela qui m’a rendue complètement enragée. Que ce type prenne à la « rigolade » ce geste. Parfois aussi je repense au flot d’insultes que je lui ai hurlé dessus et de sa réaction apeurée. Surtout lorsque je lui disais que j’allais lui péter la gueule et rien que de repenser à son air sidéré et son envie pressante de fuir, je rigole.

J’ai beaucoup parlé avec ma psy de la suite.

J’avais très peur de la manière dont j’allais réagir. Est ce que j’allais péter un plomb, est ce que j’allais déprimer pendant des jours, des semaines, mois ou plus. Est ce que j’allais me laisser enterrer vivante par mes angoisses suite à l’agression. Moi qui suis déjà quelqu’un d’angoissée de base. Là je dois dire que je suis à un point culminant de stress. Et puis je lui ai confié mon énervement contre…la vie, merde pourquoi ça m’est arrivé à moi, comme si j’avais pas eu déjà mon lot d’évènements traumatisants dans ma vie, il faut que cela m’arrive à moi !!!!?????!!! POURQUOI PUTAIN POURQUOI ?????????

Je me suis interrogée avec elle de la manière dont cette réaction de rage a pu sortir avec autant de force. De où j’avais pu trouver les ressources pour insulter cet enfoiré. Je lui disais que je pensais beaucoup à ce que mes parents m’avaient enseigné depuis petite. Ils m’ont toujours dit de ne pas me laisser faire, jamais, de ne laisser personne me toucher, ça petite je m’en souviens et de rétorquer si quelqu’un me voulait du mal. C’est quelque chose que j’ai beaucoup entendu de leurs bouches à tous les deux. Et je les ai aussi beaucoup vu faire. Des ressources intérieures sur lesquelles j’ai pu compter au moment de l’agression et sur lesquelles je compterais pour l’après.

Après.

Oui l’après. Comme je disais à ma psy, je suis toujours étonnée de la manière dont le quotidien peut rapidement retrouver une place si on le laisse faire. J’ai vraiment été très attentive à moi, à ma fatigue morale, physique et j’ai été attentive à retrouver ma routine. Me lever à la même heure, manger les mêmes céréales, écrire le matin, méditer quand j’ai le temps, écouter de la musique, sortir, faire des trucs que j’aime, lire. Je me suis autorisée à sortir aussi de cette routine à prendre du temps pour moi lorsque j’étais vraiment à bout, à manger n’importe quoi quand l’envie me prenait, à faire selon mes envies, à sentir.

Pour me réveiller de ce long cauchemar, j’essaie d’être présente ici, maintenant et surtout à moi-même.


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