En réponse à une lettre de Sainte-Beuve
Ne m'aimez pas !... je veux pouvoir prier pour vous,
Comme pour les amis dont le soir, à genoux,
Je me souviens, afin qu'éloignant la tempête,
Dieu leur donne un ciel pur pour abriter leur tête.
Je veux de vos bonheurs prendre tout haut une part,
Le front calme et serein, sans craindre aucun regard ;
Je veux, quand vous entrez, vous donner un sourire,
Trouver doux de vous voir, en osant vous le dire.
Je veux, si vous souffrez, partageant vos destins,
Vous dire : Qu'avez-vous ? et vous tendre les mains.
Je veux si, par hasard, votre raison chancelle,
Vous réserver l'appui de l'amitié fidèle,
Et qu'entraîné par moi dans le sentier du bien,
Votre pas soit guidé par la trace du mien,
Je veux, si je me blesse aux buissons de la route,
Vous chercher du regard, et sans crainte, sans doute,
Murmurer à voix basse : ami, protégez-moi !
Et prenant votre bras, m'y pencher sans effroi.
Je veux qu'en nos vieux jours, au déclin de la vie,
Nous détournant pour voir la route… alors finie,
Nos yeux en parcourant le long sillon tracé,
Ne trouvent nul remords dans les champs du passé.
Laissez les sentiments qu'on brise et qu'on oublie ;
Gardons notre amitié, que ce soit pour la vie !
Votre soeur, chaque jour, vous suivra pas à pas...
Oh ! je vous en conjure, ami, ne m'aimez pas !...
Sophie d'Arbouville
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