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[FNC 2016] Jour 1 – Retour vers le Futur

Par Julien Leray @Hallu_Cine

C’est un véritable voyage à travers le temps qui m’a été proposé aujourd’hui. Un aperçu du futur pour commencer, en dépit de nombreux écueils à éviter s’il veut ne serait-ce qu’exister, et une vision du passé, à ma grande surprise, toujours d’une très grande modernité.

Je n’avais jusqu’alors jamais vu L’Aurore de F. W. Murnau. De ce dernier, je ne connaissais que Nosferatu, probablement l’un de mes films préférés, sans verser, rassurez-vous, dans le lyrisme du critique aux goûts engoncés. La projection de ce classique de 1927 dans le cadre du FNC, soutenue qui plus est par la musique live d’Olivier Mellano, était donc trop belle de rattraper un retard qui confinait au manque culturel.

Nous sommes entre nous, je vais être franc : je n’y partais pourtant pas du tout gagnant. Les chefs-d’œuvre unanimement encensés, en particulier par les chantres du « c’était mieux avant » qui ont décidément bien du mal à aller de l’avant, j’ai fortement tendance à m’en méfier.

Et puis, et puis : force m’est aussi d’avouer que le charme a totalement opéré !

Grâce à un effet de surprise exacerbé ? Possible. En raison d’une qualité intrinsèque toujours d’actualité ? Plus probable.

Pas un seul instant je n’ai pu me dire que ce film avait tout juste quatre-vingt dix ans. Plus vieux que mes grands-parents ! Et pourtant…

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Voir L’Aurore aujourd’hui, c’est accepter de faire preuve d’une certaine humilité. Humilité dont beaucoup de cinéastes actuels devraient d’ailleurs s’inspirer. Car au vu de cette lumière irradiant le film qui n’a pas pris la moindre ride, de ces effets de mise en scène et de ce sens du cadre qui pourraient en remontrer à une flopée de productions contemporaines, il est incroyable de se dire qu’un film certes fondateur, mais plus vraiment de la première fraîcheur, arrive à se montrer encore et toujours à la hauteur.

Et que dire de ce muet parfaitement géré, les acteurs déployant des trésors de jeu pour rendre la moindre émotion tangible, le moindre enjeu crédible. Qu’on se le tienne pour dit : le muet, décrié, désavoué, soit-disant dépassé (malgré The Artist couronné), a encore de beaux jours devant lui.

Enfin, cerise sur le gâteau : n’ayant pas vu le film avec son accompagnement original, je me garderai bien de toutes comparaisons, mais la musique d’Olivier Mellano, à quelques rares fausses notes près, a largement fait le boulot. Chapeau !

Une vision du passé, donc, que ferait bien d’assimiler la réalité virtuelle vitesse grand V si elle souhaite réussir à se démocratiser.

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Car quelques heures avant L’Aurore, j’ai eu l’occasion de découvrir sept oeuvres de VR qui seront présentées à compter du 8 octobre au Complexe Desjardins de Montréal. Sept oeuvres  donc, à la qualité très variable, du franchement raté au renversant de beauté.

Sans entrer dans le détail de chacune d’entre elles (dont vous pourrez trouver le descriptif ici), sachez cependant que si The Rose and I et I am Ewa m’ont totalement laissé de marbre, Notes on Blindness et Virtual Oddity, elles, m’auront réellement subjugué. Par leur audace, leur prise de risque, et surtout, leur utilisation très intelligente des spécificités de la VR.

Le second, par exemple, se propose ainsi de composer nous-mêmes les arrangements de Space Oddity de David Bowie, selon un procédé simple, mais d’une terrible efficacité.

Imaginez une pièce carrée plongée dans l’obscurité. Face à vous, un poste de télévision tendance « rétro » avec le clip original en train de jouer. Tournez maintenant la tête, à gauche, puis à droite, et même derrière vous : à chaque endroit, un autre chanteur, une autre interprète, chantant Space Oddity en même temps que David Bowie, jouant d’un instrument, lorsque la guitare de ce dernier se déploie, pour chacun différent .

Tout ça pourrait déboucher sur une triste cacophonie : c’est là qu’intervient la magie !

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Car en tournant la tête alternativement vers l’une ou l’autre des chanteuses, vers le chanteur, les tonalités, la couleur de la chanson changent et s’harmonisent en temps réel, agençant une version unique de la mouture originelle, que vous avez d’ailleurs toute liberté d’apprécier telle quelle, si la créativité n’est pas votre tasse de thé. En jouant habilement sur les accéléromètres du Samsung Gear VR, donc sur les outils technologiques à sa disposition, tout en y ajoutant la maitrise du rythme et du son, Virtual Oddity nous permet de créer, in fine, notre propre narration.

Dans un tout autre registre, Notes on Blindness, quant à lui, nous place dans la peau de John Hull, professeur de théologie britannique devenu lentement aveugle jusqu’à être frappé d’une totale cécité en 1981, et qui aura au fur et à mesure enregistré sur cassette audio ses pensées, ses sensations, ses sentiments quant à un mal qui le gagnait progressivement. Ce sont précisément ces enregistrements que Notes on Blindness se propose de partager, en nous immergeant d’un même tenant au sein de l’univers mental, dans les projections formelles, dans la quête mystique de John Hull.

Envie de savoir à quoi ressemble la représentation visuelle proposée ? Pour résumer, ce serait grossièrement un croisement entre Flower de Jenova Chen, et l’onirisme de Kubo et l’armure magique, avec à la clé, une séquence « jouable » directement inspirée du premier cité. On a connu sources d’inspirations moins inspirées, pour un résultat absolument saisissant, en sus d’être bouleversant.

Deux œuvres hautement recommandables donc, à ceci près néanmoins que l’on ne parle plus dans ce cas-là de cinéma.

Notes on Blindness et Virtual Oddity se rapprochant davantage d’expériences interactives proches du jeu vidéo, que du cinéma tel qu’on le conçoit. Si elles restent des créations narratives fortes, leur narration ne peut être sans interactivité, imposée pour progresser.

Rien n’est bien sûr encore figé : il suffit d’un exemple frappant pour voir la donne changer. Après tout, L’Aurore est bien née trente ans après les premières créations de Méliès.

Mais pour l’heure, ce n’est sûrement pas avec The Rose and I, I am Ewa, ou encore Invisible (percutant politiquement, moins pertinent technologiquement) que la Réalité Virtuelle saura me convaincre qu’elle peut s’appliquer à l’univers du ciné.

N’est pas Murnau qui vieux.



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