En présence de la princesse Reema bint Bandar bin Sultan Al Saud, vice-présidente pour les Affaires féminines à la toute nouvelle Autorité générale du sport, YouTube a célébré lundi dernier, à Riyad, le lancement d’une nouvelle chaîne. Batala (« héroïne ») propose une sélection de vidéos produites exclusivement par des femmes et en arabe. La plate-forme propose déjà une centaine de Youtubeuses (le mot est désormais passé en arabe : يوتيوبرز), créatrices d’un bon millier de vidéos. En plus d’une sélection des succès du mois, ces vidéos sont classées selon huit catégories, en majorité assez traditionnellement « féminines » : journaux personnels, beauté et mode, éducation pour les enfants, comédies, santé et développement personnel, cuisine et recettes, critique de films et comédies, chanson et musique.
Ont été invitées lors du lancement quelques-unes des stars du YouTube féminin arabe au Royaume des hommes et des pays du Golfe (comme on s’en doute, aucune n’est venue du Yémen, soumis depuis des mois à un strict blocus dans le cadre de la « Tempête décisive », qui pourrait bien tourner fort mal pour les agresseurs). C’est par centaines de milliers que se comptent les abonnés des « chaînes » les plus célèbres (800 000 abonnés pour la Saoudienne Njoud al-Shammari par exemple). À l’image de ce qu’elles montrent dans leur production, certaines sont apparues en public à visage découvert, quand d’autres ont choisi de masquer plus ou moins intégralement leur visage. Une décision qui ne signifie par pour autant le choix d’un véritable anonymat puisque la femme masquée sur la photo en haut de ce billet n’est autre que l’Omanaise Aswak al-Maskari, une Youtubeuse qui se donne pour objectif, précisément, de prouver qu’on peut parfaitement être présente sur YouTube sans rompre avec le code de bienséance en vigueur (en rigueur?) pour les femmes dans la Péninsule arabe.
On remarque que, chez YouTube, c’est une équipe féminine (et arabe) qui gère un programme soutenant l’émancipation des femmes et valorisant leur rôle dans la société, tout en enrichissant le contenu arabe sur internet. Afin de ne pas effaroucher les secteurs les plus traditonnels de la société, les promotrices et actrices de cette plate-forme soulignent néanmoins combien un soutien paternel ou fraternel a été important au début de leur nouvelle activité, laquelle, bien entendu, n’a pas pour but de remettre en cause les structures sociales existantes, à commencer par la famille (voir cet article du Hayat en arabe).
Par ailleurs, l’initiative est tout sauf une opération de bienfaisance. Au contraire, il s’agit bien évidemment pour la société américaine de surfer sur l’essor toujours aussi impressionnant d’internet dans le monde arabe. Le communiqué de presse du lancement de Batala souligne ainsi que la demande pour un contenu intéressant les femmes a fait un bond de 50 % durant l’année 2015 (1/3 des visionnages est ainsi effectué en Arabie saoudite, pays phare de l’utilisation de cette application pour des raisons que vous découvrirez en faisant quelques recherches sur ce blog).
Capture de la page d’accueil de Batala.Centrée sur les pays du Golfe et lancée à Riyadh, pour des raisons économiques et commerciales évidentes, Batala n’en est pas moins une opération « panarabe » : les contributrices viennent de tous les horizons du monde arabe (y compris du Maghreb bien entendu) et toutes les femmes sont appelées à y participer, pour peu qu’elles s’expriment en arabe. Une telle opération, prévue pour durer puisque des « surprises » sont déjà annoncées pour l’année 2017, confirme, s’il en était besoin, que les femmes arabes ne sont peut-être pas les « héroïnes » du Net mais en tout cas des actrices à part entière. En moins de deux décennies, leur présence est devenue majoritaire dans certains secteurs (selon une étude citée par les promoteurs de Batala, elles fourniraient 60 % du contenu de l’information en langue arabe).
Une vraie révolution, sans aucun doute, de par les conséquences sociales et culturelles qu’elle ne peut manquer d’entraîner. Attention tout de même : comme on l’a appris depuis les soulèvements de l’année 2011, la dynamique des réseaux sociaux ne fait pas à elle seule le « printemps »! Et se réjouir de voir apparaître une plate-forme telle que Batala ne doit pas faire oublier que d’autres voix dans le monde arabe ne reçoivent pas un accueil aussi chaleureux sur internet et les réseaux sociaux. Le jour même où était annoncé le lancement de Batala, on apprenait aussi que la santé du blogueur saoudien Raif Badawi s’était améliorée, et qu’il allait donc pouvoir continuer à recevoir sa peine prononcée fin 2014 (voir ce billet) : dix ans de prison et 1000 coups de fouets, pour avoir trop parlé des droits de l’homme…
La vidéo de promotion, déjà visonnée plus d’un million de fois (et par combien de femmes arabes ?)
Quelques liens : en anglais
http://english.alarabiya.net/en/media/digital/2016/10/19/Arab-women-YouTubers-get-exclusive-platform-in-new-Batala-channel.html
http://www.arabnews.com/node/999456/saudi-arabia
et en arabe
http://www.alhayat.com/Articles/18009190/
http://news.utdcom.com/130601.html
http://filkhbr.com/saudi/639148.html
http://akhbarelyom.com/news/575284