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Le Ceta, un traité inconstitutionnel

Publié le 29 octobre 2016 par Blanchemanche
#Ceta #Unioneuropéenne #Canada
Par Dominique Rousseau, Professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne — 

L’accord économique entre l’Union européenne et le Canada, qui devait être signé ce jeudi, contient des dispositions qui portent atteinte à la Constitution française. Le but n’est pas d’empêcher le commerce international mais de le cadrer selon nos principes démocratiques.

L’Union européenne et le Canada ont récemment conclu un accord économique et commercial global (dit AECG ou Ceta) de grande ampleur. De nature mixte, c’est-à-dire intervenant à la fois dans le champ de compétence de l’Union et dans le domaine des Etats, cet accord doit d’abord être adopté au niveau européen, puis doit obligatoirement être ratifié par les Parlements nationaux.Pour la France, cette obligation résulte de l’article 53 de la Constitution : «Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui modifient les dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi.» A l’occasion de cette ratification, le Conseil constitutionnel peut être saisi pour vérifier que les stipulations du traité ne contiennent pas de clauses contraires à la Constitution. Et si tel est le cas, précise l’article 54 de la Constitution, «l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution». Autrement dit, le traité Ceta ne peut intégrer l’ordre juridique français s’il n’est pas pleinement conforme aux règles et aux principes posés par la Constitution. Or, la lecture de cet imposant traité laisse apparaître de nombreuses dispositions qui portent manifestement atteinte à la Constitution, en particulier sur trois points : le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats (1), la coopération en matière réglementaire (2), l’absence de mesures propres à garantir le respect du principe de précaution (3).
  1. 1) «L’atteinte au droit à un égal accès à un juge indépendant»La section «F» du chapitre VIII du traité Ceta prévoit un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats (dit «RDIE») qui crée une inégalité entre les investisseurs français et les investisseurs étrangers - en l’occurrence, canadiens - puisque seuls ces derniers sont recevables à exercer une action à l’encontre d’un Etat qui méconnaîtrait les stipulations de l’accord. Pour les autres, étant des «nationaux», seules les voies de recours prévues par le droit français sont recevables. Il s’agit là d’une application classique du principe de «territorialité» consacré notamment par le code civil. Cette situation crée, paradoxalement, une sorte de privilège offert aux investisseurs internationaux au détriment des investisseurs nationaux que ne justifie aucun intérêt général. D’autre part, l’article 8.27 du traité prévoit «que les membres du tribunal sont nommés pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois». Or, le non-renouvellement du mandat est une des caractéristiques essentielles des principes d’indépendance et d’impartialité, indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles.2) «L’atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté»Le chapitre XXI du traité impose aux parties de «permettre l’ouverture à la participation d’autres partenaires commerciaux internationaux», de «prévenir et éliminer les obstacles inutiles au commerce et à l’investissement», d’échanger «périodiquement des informations sur les projets de réglementations prévus». Le traité prévoit également la création d’un comité mixte, qui réunit des représentants du Canada et de l’Union européenne mais pas des représentants des Etats membres, doté d’un pouvoir décisionnel important qui interfère directement dans l’exercice du pouvoir législatif et réglementaire des Etats membres et des instances de l’Union européenne. Autant d’éléments nouveaux qui, en imposant au législateur français un certain nombre d’obligations, portent atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.3) «L’atteinte au principe de précaution»Alors que le traité Ceta intervient dans de nombreux domaines relatifs à l’environnement, à l’alimentation et à la santé, le mot «précaution» n’est pas prononcé dans les 1 500 pages du traité ! Ce silence des parties, cette inertie, est donc en totale contradiction avec l’article 5 de la charte de l’environnement qui impose aux autorités publiques d’aménager préventivement des mécanismes et des mesures de contrôle. L’évocation de ces principes constitutionnels n’a pas pour objet de bloquer le développement des échanges internationaux ; seulement de rappeler qu’il doit s’inscrire dans le cadre d’un droit démocratique.
Dominique Rousseau Professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonnehttp://www.liberation.fr/debats/2016/10/26/le-ceta-un-traite-inconstitutionnel_1524486
Frédéric VIALEhttps://www.facebook.com/frederic.viale.31?fref=nf&pnref=story
CETA-AECG : les médias ont l'air de croire que tout est plié et que le Parlement wallon a capitulé en rase campagne. C'est beaucoup plus complexe que cela. La Belgique a fait une déclaration hier qui mérite d'être analysée et comprise : en réalité, au terme d'un rude combat, le mouvement social a emporté une victoire, politiquement la plus importante, celle de l'opinion. Mais la Commission ne plie pas, ni les thuriféraires du libre-échange. Le combat continue.
Pour y voir plus clair, je vous propose l'analyse ci-dessous.
Déclaration Belge du 27 octobre 2016 :
L'objet de la déclaration est annoncée par son titre : il s'agit de clarifier la position de la Belgique concernant la signature du CETA au regard des procédures constitutionnelles qui lui sont propres.
1- La Belgique ne dit pas qu'elle refuse de signer le CETA mais elle précise à quelles conditions pourra éventuellement être prononcé un refus définitif (point A).
Elle rappelle qu'elle est un Etat fédéral mais que celui-ci a une spécificité : ordinairement les Etats fédérés délèguent leur compétences de manière pérenne au pouvoir fédéral (le plus souvent sous contrôle d'une cour suprême, parfois de parlements), ici les compétences s'exercent par les Etats fédérés qui décident au coup par coup de déléguer leur signature ou pas à chaque fois que l'Etat fédéral est appelé à se prononcer.
En l'occurrence, la Belgique rappelle que les Parlements régionaux doivent se prononcer sur le texte et donc peuvent le bloquer s'ils l'estiment nécessaire, y compris de manière définitive.
Actuellement, la Belgique ne bloque pas l'accord de manière définitive.
Par ailleurs, la Belgique annonce qu'elle s'autorise que les entités régionales procèdent «à intervalles réguliers à une évaluation des effets socio-économiques et environnementaux de l’application provisoire du CETA. »
Cela veut dire que la Belgique ne renonce pas à l'application provisoire mais qu'elle se réserve le droit de mettre fin à l'expérience selon les critères qui lui seront propres, en suivant la procédure qui est la sienne (notification au gouvernement fédéral belge qui aura un an pour notifier aux autorités de l'UE). La Belgique considère que le Conseil a bien dit que chaque Etat membre peut mettre un terme à l'application provisoire (point B).
Donc, la Belgique ne renonce pas à l'application provisoire mais la conditionne.
Concernant l'arbitrage (l'ICS), la Belgique estime que le Conseil des ministres a retiré l'ICS de l'éventuelle application provisoire, et en prend acte.
Par ailleurs, et c'est la première fois que cela arrive, la Belgique demandera un avis à la Cour de justice de l'Union européenne sur la compatibilité de l'ICS avec les textes de l'UE. Il n'est pas assuré que la Cour de justice accepte ce concurrent que serait pour elle cet organisme d'arbitrage présenté comme un « Tribunal » par le texte, ce que au demeurant il n'est pas.
De plus, la Belgique informe le reste des Etats membres que cinq des ses régions ou communautés linguistiques n'ont pas donné leur accord pour ratifier l'accord avec le mécanisme d'ICS « tel qu’il existe » actuellement (sous réserve d'un revirement de position des parlements régionaux). Cela veut dire deux choses :
1- tant que les parlements régionaux conservent leur position actuelle la Belgique n'accepte pas l'ICS ;
2- la Belgique pourrait accepter si s'ouvre une nouvelle négociations avec le Canada ou si d'une manière ou d'une autre, l'ICS est modifié ou supprimé.
Donc, rien de définitif mais pour le moins une prise de position sérieuse de la Belgique qui bloque et annonce continuer de bloquer tant que l'ICS n'est pas modifié.
La phrase suivante mérite une attention particulière :
« La Région flamande, la Communauté flamande et la Région de Bruxelles-Capitale saluent en particulier la déclaration conjointe de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne à propos de l’Investment Court System. »
On remarque qu'il est question de trois entités linguistiquement flamandes dont on connaît l'opposition politique avec les entités francophones, qui se donnent la peine de saluer la déclaration interprétative sur l'ICS. De quoi s'agit-il ?
Il s'agit d'une déclaration faite par le Canada et l'Union européenne qui porte sur l'interprétation du CETA. C'est assez courant en droit international qui autorise les parties d'un traité à se mettre d'accord a priori sur la façon dont à l'avenir l'accord doit être interprété. Cela n'a pas exactement la même valeur juridique qu'une réserve mais dans la mesure où ce texte serait annexé à l'accord et/ou les parties se mettent d'accord, elle a un valeur contraignante quasi-équivalente aux réserves dans la pratique.
Le document joint montre une déclaration assez générale dans ses énoncés mais qui comporte en fin une table qui croise les articles du CETA avec les points d'interprétation. L’existence même de cette table donne à cette déclaration une précision qui peut lui conférer une réelle force restrictive.
Toutefois, dans le point 6 « salué » par les communautés flamandes, les précisions apportées souffrent d’ambiguïtés. C'est le cas notamment du point 6-b et c qui reprend exactement les mêmes ambiguïtés de l'article 8-9 sur le droit à réguler. Comme dans l'article 8-9 du CETA, le traitement national et celui de la nation la plus favorisée ne sont pas exclus, ce qui n'interdit pas à ce titre les entreprises de réclamer une indemnisation devant des arbitres si elles estiment que les « attentes légitimes » sont trahies (ce qui ouvre la voie aux indemnisations abusives dont l'arbitrage international est coutumier).
A ce stade cela veut dire que :
1- l'ICS n'est pas rejeté par toute la Belgique, et pas par la Belgique flamande ;
2- l'ICS n'est pas accepté par toute la Belgique, et pas par la Belgique francophone ;
3- seuls les Belges savent s'ils se sortiront de cette contradiction ou s'ils la laissent en l'état. S'ils la laissent en l'état, l'ICS tel qu'il est est mort.
Concernant la coopération réglementaire, le point C est intéressant.
Il indique que, dans l'hypothèse où l'accord serait adopté, la Belgique ne laissera pas se dérouler le processus de coopération réglementaire loin de ses parlements dès lors que ce dont il serait question relèverait de la compétence de l'Etat belge et ainsi de celle, même partielle, de ses parlements régionaux.
Cela veut dire que :
1- la Belgique n'interviendrait pas sur les décision de l'UE, notamment celle de participation au processus de coopération réglementaire concernant ses compétences propres ;
2- elle interviendra et se prononcera par vote pour ce qui relève de ses compétences.
J'ignore à quoi ont pensé les rédacteurs de cette déclaration. Les compétences dans le domaine réglementaire sont tellement enchevêtrées que les conséquences pratiques sont difficilement démêlables. Cela peut vouloir dire que la Belgique entend intervenir sur toutes les décisions de coopération réglementaire en validant par un vote.
Quelques énonciations intéressantes sur l'agriculture : la Belgique entend pouvoir activer une clause de sauvegarde dans le cas où l'application de l'accord déséquilibre le marché y compris d'un seul produit. Elle entend de surcroît définir les critères de définition d'un déséquilibre de marché.
Sur les OGM (précisément sur « l’autorisation, la mise sur le marché, la croissance et l’étiquetage des OGM et des produits obtenus par les nouvelles technologies de reproduction »), la Belgique comprend que le principe de précaution n'est pas atteint par l'accord et entend donc que les Etats membres conservent le droit, à ce titre, de les interdire.
Conclusion
Ce texte est intéressant à plus d'un titre :
1- il laisse du temps : les conditions posées par la Belgique sont fermes sur l'ICS, et la situation interne de la Belgique d'une part et de l'UE d'autre part laissent penser qu'une réforme de l'ICS ou sa substantielle « amélioration » ne sont pas acquises ;
2- il n'est pas le communiqué de victoire des pro-Tafta, ni le nôtre. Quoiqu'il en soit, ce texte met un réel grain de sable dans le mécanisme.
Frédéric VIALE
Déclaration du Royaume de Belgique relative aux conditions de pleins pouvoirs par l’Etat fédéral et les Entités fédérées pour la signature du CETA
Publié : 27/10/2016 |
Déclaration du Royaume de Belgique relative aux conditions de pleins pouvoirs par l’Etat fédéral et les Entités fédérées pour la signature du CETA
A.
La Belgique précise que, conformément à son droit constitutionnel, le constat que le processus de ratification du CETA a échoué de manière permanente et définitive au sens de la déclaration du Conseil du 18/10/16, peut résulter des procédures d’assentiment engagées tant au niveau du Parlement fédéral qu’au niveau de chacune des assemblées parlementaires des Régions et des Communautés.
Les autorités concernées procéderont, chacune pour ce qui les concerne, à intervalles réguliers à une évaluation des effets socio-économiques et environnementaux de l’application provisoire du CETA.
Au cas où l’une des entités fédérées informerait l’Etat fédéral de sa décision définitive et permanente de ne pas ratifier le CETA, l’Etat fédéral notifiera au Conseil au plus tard dans un délai d’un an à compter de la notification par ladite entité de l’impossibilité définitive et permanente pour la Belgique de ratifier le CETA. Les dispositions nécessaires seront prises conformément aux procédures de l’UE.
B.
La Belgique a pris acte de ce que l’application provisoire du CETA ne s’étend pas à diverses dispositions du CETA, notamment en matière de protection d’investissement et de règlement des différends (ICS), conformément à la décision du Conseil relative à l’application provisoire du CETA.
Elle a en outre pris acte du droit de chaque partie à mettre fin à l’application provisoire du CETA conformément à son article 30.7
La Belgique demandera un avis à la Cour Européenne de Justice concernant la compatibilité de l’ICS avec les traités européens, notamment à la lumière de l’Avis 1/94.
Sauf décision contraire de leurs Parlements respectifs, la Région wallonne, la Communauté française, la Communauté germanophone, la Commission communautaire francophone et la Région de Bruxelles-Capitale n’entendent pas ratifier le CETA sur la base du système de règlement des différends entre investisseurs et Parties, prévu au chapitre 8 du CETA, tel qu’il existe au jour de la signature du CETA.
La Région flamande, la Communauté flamande et la Région de Bruxelles-Capitale saluent en particulier la déclaration conjointe de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne à propos de l’Investment Court System.
C.
La déclaration du Conseil et des Etats membres traitant des décisions du Comité conjoint du CETA en matière de coopération réglementaire pour des compétences relevant des Etats membres confirme que ces décisions devront être prises de commun accord par le Conseil et ses Etats-membres.
Dans ce contexte, les gouvernements des entités fédérées indiquent que, pour les matières relevant de leurs compétences exclusives ou partielles au sein du système constitutionnel belge, elles entendent soumettre toute coopération en matière de réglementation à l’accord préalable de leur Parlement, et informer de toute décision réglementaire qui en découlerait.
D.
L’Etat fédéral ou une entité fédérée compétente en matière agricole se réserve le droit d’activer la clause de sauvegarde en cas de déséquilibre de marché, y compris lorsque ce déséquilibre est identifié pour un seul produit.
Des seuils précis seront déterminés endéans les 12 mois qui suivent la signature du CETA déterminant ce que l’on entend par déséquilibre de marché. La Belgique défendra les seuils ainsi déterminés dans le cadre du processus de décision européen.
La Belgique réaffirme que le CETA n’affectera pas la législation de l’Union européenne concernant l’autorisation, la mise sur le marché, la croissance et l’étiquetage des OGM et des produits obtenus par les nouvelles technologies de reproduction, et en particulier la possibilité des Etats membres de restreindre ou d’interdire la culture d’OGM sur leur territoire. En outre, la Belgique réaffirme que le CETA n’empêchera pas de garantir l’application du principe de précaution dans l’Union européenne tel que défini dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, en particulier, le principe de précaution énoncé à l’article 191 et pris en compte à l’article 168, paragraphe 1, et à l’article 169, paragraphes 1 et 2, du TFEU.
En cas de demande concernant les indications géographiques (AOP et IGP) d’une des entités fédérées, le gouvernement fédéral s’engage à la relayer sans délai à l’Union européenne.

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