
Croire. Tout y passe. Les héros. La différence entre «la politique» et «le politique», sachant que «la» politique nous cache «le» politique. Les idées. Les injustices. L’art. Les erreurs tragiques de la construction européenne et son contresens symbolique. L’histoire progressiste. Et même le progrès rétrograde. «Sans la République romaine, pas de Révolution française, écrit Debray, sans “93” pas de Commune de Paris, sans la Commune pas d’Octobre à Moscou, etc.» L’histoire est censée nous découvrir la réalité des choses: à condition de la regarder dans les yeux, sans fausses croyances. «Maintenir en vie ce que notre héritage a de moins animal ne sera donc pas une mince affaire», prévient-il. D’autant que le philosophe nous invite à réhabiliter le verbe «croire», qui recouvre des notions non exclusives aux seules religions. Puisque nous avons besoin «d’un nuancier pour aborder en géographe le continent croyance et ne pas s’y perdre», Régis Debray est là. Pour lui, «l’incroyance absolue est un luxe de légume, on aurait tort d’en abuser, sauf à vouloir sécher sur pied». Une croyance «fait respirer le temps, desserre l’étau du présent». Croire donne donc de l’attente, conjugue les verbes au futur, comme Clemenceau le reprochait tant à Jaurès. Et Debray insiste: «Qui est doué pour la croyance est doué pour l’amour, voyez Aragon, Éluard, Apollinaire. Il est doué pour le relationnel, l’effusion, le coude à coude. (…) Croire, c’est se mettre en mouvement. Sortir de la passivité et de la résignation (…), s’abstraire de son environnement, s’affranchir de son milieu.» Dénonçant ce qu’il appelle la «dérégulation anarchisante», Debray réclame de l’espérance, qui mobilise et galvanise: «On peut d’ailleurs observer que lorsque les idéologies politiques n’ont plus rien de religieux, les croyances religieuses redeviennent politiques.» À méditer. [BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 28 octobre 2016.]