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Noël Mamère : « Nous ne pouvons plus être dans la main du PS »

Publié le 30 octobre 2016 par Blanchemanche
#NoëlMamère #écologie

L’ancien candidat écologiste à la présidentielle vient de publier Les Mots verts avec la linguiste Stéphanie Bonnefille, un plaidoyer pour une "écologie du langage". Il analyse les échecs de EELV et les perspectives d’une écologie de gauche.

Les mots verts


Entretien par Pierre Jacquemain | 30 octobre 2016

Regards. Quels sont ces mots verts, ces mots porteurs de désir et d’espoir que vous appelez de vos vœux et que l’écologie n’a manifestement pas encore trouvés ?Noël Mamère. Nous devons trouver les mots qui ne suscitent pas la peur et l’angoisse. Qu’est-ce que c’est que l’écologie ? C’est un projet de libération et d’émancipation individuelle et collective. Les urgences écologiques sont nombreuses, et toute la difficulté réside dans l’articulation entre les mots pour dire et qualifier les grandes mutations de la société – une société de progrès coûteuse pour l’homme, coûteuse en énergie, en injustice, en empreinte écologique –, et la trajectoire pour aller vers une société soutenable.Le contexte n’est pas propice aux bonnes nouvelles…Pendant des décennies, les écologistes ont été considérés comme des marchands de catastrophe. Cela a freiné et pénalisé l’influence de notre mouvement et, au final, notre poids politique. Dans le même temps, nous avons contribué à ce que nos idées infusent, comme le thé, dans la société. Les catastrophes de Tchernobyl ou plus récemment de Fukushima ont montré, malheureusement, que nous avons eu raison très tôt. Pour autant, nous ne sommes pas condamnés à ce que le ciel nous tombe sur la tête. Les mots que l’on utilise sont importants. Mais l’écologie, ça n’est pas la guerre, comme le rappelle Stéphanie Bonnefille. L’écologie porte l’ambition d’une transformation de la société avec les moyens de la démocratie.

« La grande arnaque, c’est de faire croire aux Français que l’écologie est à la fois à droite et à gauche. »

Tout le monde (ou presque) se revendique de l’écologie politique. C’est quoi, c’est qui l’écologie aujourd’hui ?Que tout le monde en parle et que tout le monde s’en revendique constitue déjà une petite victoire. Mais il y a ce que l’on dit, les mots que l’on prononce, et les actes. Quand je vois le groupe Bayer qui rachète Monsanto pour mettre la main sur l’agriculture mondiale en nous expliquant que c’est pour le bien de l’humanité, dans une logique durable, on a de quoi douter de la sincérité de l’engagement écologique. C’est comme le lobby nucléaire qui nous parle de "nucléaire propre" ou le lobby automobile qui fait la promotion de "l’automobile propre". Ça n’existe pas. Le capitalisme est plastique. Il récupère les mots pour mieux justifier sa logique de prédateur.Ça vaut aussi dans le champ politique ?La grande arnaque, c’est de faire croire aux Français que l’écologie est à la fois à droite et à gauche. Quand Maud Fontenoy, aux côtés de Nicolas Sarkozy, défend l’exploitation du gaz de schiste ou le nucléaire tout en se revendiquant "écologiste", c’est de la pure schizophrénie. L’écologie ne peut pas être confondue avec ceux qui défendent la croissance à tout prix.Hollande, Valls, Royal sont des écologistes selon vous ?Royal, je ne sais pas. Mais s’agissant des autres, on est à la limite de l’imposture. Voire de l’arnaque politique. On est face à un gouvernement qui revendique l’excellence écologique alors qu’on en est très loin. Hollande s’était engagé à inscrire dans le projet de loi de finances un prix plancher du carbone, pour taxer le charbon en France. Le ministre du Budget, Christian Eckert, vient d’annoncer qu’il y renonçait afin de préserver les 5.000 emplois des six centrales à charbon qui existent encore sur notre territoire. Non seulement ce renoncement majeur témoigne de l’absence de volonté politique, mais il confirme l’abandon d’un autre engagement fondamental du candidat Hollande : celui de la transition énergétique, qui n’aura donc pas lieu.

« L’échec de Cécile Duflot est le symbole d’un lent délitement de l’écologie politique dont nous sommes tous responsables. »

Vous mettez ça sur le dos de l’impuissance politique ?C’est surtout le résultat de l’autoritarisme du premier ministre. C’est lui qui décide, malgré les oppositions, que je salue, de sa ministre de l’Environnement. Et puis il y a le pouvoir technocratique qui verrouille l’action politique. Cette surpuissance de la technocratie n’est pas nouvelle. Elle est un héritage du gaullisme. Le succès du nucléaire résulte d’ailleurs de l’alliance de la technocratie et du politique.Emmanuelle Cosse, Jean-Vincent Placé et Barbara Pompilli sont-ils crédibles pour défendre l’écologie dans un gouvernement, qui – comme vous le dites – a renoncé à engager la transition énergétique ? A quoi servent-ils et qui servent-ils ?Ceux d’entre nous qui ont choisi d’entrer dans un gouvernement dont on ne compte plus les reniements en matière d’écologie y ont perdu leur âme et leur crédibilité. Ils ont aussi porté un coup dur à l’écologie politique, ainsi réduite à sa caricature politicienne. Les petites intrigues ne font pas un programme ! Ils sont réduits au statut de porteurs d’eau et contribuent à délégitimer la parole politique. Ils font ainsi croire que l’écologie pourrait être politiquement biodégradable. Il faut vite les oublier et nous montrer à la hauteur du projet que nous prétendons défendre. C’est le seul antidote possible.
Le maire de Grenoble, Éric Piolle, est accusé d’avoir renoncé au programme écologiste qui l’a fait élire pour appliquer une politique d’austérité. Est-ce que l’exercice du pouvoir compromet l’écologie politique ?
Non. On oublie par exemple que Marie-Christine Blandin a été une grande présidente de région, écologiste. D’autres exemples, comme le maire de Loos-en-Gohelle, Jean-François Caron, ont montré notamment dans des collectivités en crise – ici face à la désindustrialisation de la région du Nord-Pas-de-Calais – que les écologistes sont de bons gestionnaires. Éric Piolle a été confronté à un héritage difficile. À cela s’est ajouté le désengagement de l’État. C’est vrai qu’il a été obligé de prendre des dispositions qui vont à l’encontre de ce qu’il avait annoncé. Mais plus généralement, où qu’ils soient, les écologistes élus font un travail remarquable. Mais personne ne le sait.

« Celui qui est en mesure de porter un coup à gauche tout en étant un acteur majeur de la reconstruction demain, c’est Jean-Luc Mélenchon. »

Qu’est-ce qui se joue dans le second tour de la primaire EELV ?Rien. Il ne se joue rien du tout. Michèle Rivasi et Yannick Jadot ont le même projet. Le fait marquant de cette primaire, c’est l’échec de Cécile Duflot, symbole d’un lent délitement de l’écologie politique dont nous sommes tous responsables. Mais je l’avais prévenue. Elle ne pouvait pas changer son image politicienne en si peu de temps. Par ailleurs, je crois que les militants et sympathisants n’ont pas compris son départ du gouvernement ; les écologistes sont plus légitimistes qu’on ne le croit. Quant à l’appareil écolo, il n’a rien fait pour se dépasser. Et je ne suis pas surpris que les deux finalistes de cette primaire soient issus de la société civile.Vous souhaitez que les écologistes retrouvent leur autonomie, à gauche. Il n’y a plus d’alliance possible ?Nous devons porter l’ambition d’être majoritaires. Mais nous ne le serons jamais tout seuls. L’autonomie ne veut pas dire l’isolement. Je suis favorable à des alliances de construction et non de soumission, à la condition de lier la question sociale à l’urgence écologique. En revanche, s’agissant des législatives, nous ne pouvons plus être dans la main du PS. Les accords de circonstances que nous avons eus par le passé avec le PS ont contribué à nous disqualifier, à nous décrédibiliser. Nous devons donc prendre le risque de partir seuls aux législatives.En 2015 à Montpellier, vous aviez fait meeting commun avec la gauche radicale pour soutenir le candidat Gérard Onesta aux régionales. L’avenir est dans l’alliance rouge-verte ?Cela dépend de qui l’on met dans la gauche radicale, parce que subsistent aujourd’hui encore des désaccords avec les communistes sur la question du nucléaire, sur le productivisme ou sur Notre-Dame-des-Landes. Du côté des Insoumis, je dois dire que Jean-Luc Mélenchon à très bien intégré la dimension écologique. Mais je ne suis pas d’accord avec sa vision soviétique de la planification. C’est un désaccord important. Et puis, il y a des sujets comme l’Europe, l’Allemagne, le souverainisme… qui méritent un éclaircissement. Je ne sais pas très bien dans quelle direction il avance. Pour autant, celui qui est en mesure de porter un coup à gauche tout en étant un acteur majeur de la reconstruction demain, c’est lui. Mais ce qui m’importe aujourd’hui, c’est l’après 2017. Je pense au jour d’après. Comment pouvons-nous, en tant qu’écologistes, poser les bases d’une position crédible dans la recomposition de la gauche et des écologistes ?

« Ceux d’entre nous qui ont choisi d’entrer au gouvernement y ont perdu leur âme et leur crédibilité. Ils sont réduits au statut de porteurs d’eau et contribuent à délégitimer la parole politique. »

Justement, il se passe quoi "le jour d’après" ?Il faudra reconstruire. Il faudra "retrouver société", comme je l’ai déjà écrit par le passé. Cette reconstruction ne pourra pas passer par les appareils politiques. Il faut du "bottom-up" [action du bas vers le haut]. Il faut que les appareils se fassent déborder. Bien sûr, les partis politiques seront toujours nécessaires pour organiser le débat, mais il faudra tout réinventer, à commencer par les pratiques militantes.Un peu comme Nuit debout a tenté de le faire ?Contrairement à ce que les commentateurs ont pu dire, Nuit debout n’a pas été un événement éphémère. Il nous faudra nous en inspirer pour reconstruire. Il ne faut pas oublier qu’en Espagne, Podemos n’est devenue une force politique majeure que deux ans après les mouvements des indignés.Vous croyez à la thèse de Manuel Valls sur les deux gauches irréconciliables ?Est-ce que Manuel Valls est de gauche ? Il est l’un des flambeaux du néoconservatisme. Son pari à lui, c’est de construire un parti démocrate à la Matteo Renzi. Et l’on sait ce que cela a donné à gauche.François Hollande aussi est favorable au dépassement du PS…Oui, c’est vrai. Il a surtout fait de la gauche un champ de ruines. Dans le même temps, le PS s’est balkanisé. Le social-libéralisme n’est pas ma conception de la gauche. Il y a eu dans ce quinquennat trop de renoncements, trop de lâchetés, trop de complaisance. Mais tous les militants et dirigeants du Parti socialiste ne sont pas condamnés à rester sur cette logique libérale qu’incarnent Valls et Hollande. Nous devrons travailler avec tous ceux-là après les échéances de 2017.Alors que vous prépariez votre succession au Parlement en proposant la candidature de votre suppléante Naïma Charaï (socialiste), François Hollande est à la manœuvre pour imposer son conseiller chargé des relations avec les élus, Vincent Feltesse. Vieille politique ou vengeance ?Je connais bien Vincent Feltesse. C’est un garçon intelligent. Il est l’un des rares élus socialistes qui a su se montrer ouvert aux écologistes sur le plan local. Après sa cuisante défaite à la mairie de Bordeaux, il a été nommé au palais de l’Élysée auprès du président de la République. Nous ne l’avons plus vu depuis. Il se comporte comme un enfant gâté. Ces méthodes doivent cesser. Elles tuent la politique. Et s’il devait être imposé par l’appareil socialiste, bien que les socialistes locaux n’en veulent pas, je me présenterai contre lui.http://www.regards.fr/web/article/noel-mamere-nous-ne-pouvons-plus-etre-dans-la-main-du-ps
Noël Mamère : « Nous ne pouvons plus être dans la main du PS »
Les Mots verts. Pour une écologie du langage, Noël Mamère. Entretiens avec Stéphanie Bonnefille, éditions de l’aube, 20 euros.

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