Hier devait être une belle journée, marquant la fin d'une abominable campagne présidentielle dont personne ne voulait plus entendre parler. Et j'étais encore plus content de ne pas avoir à parler du sujet sur le blog. Mais alors que la soirée avançait, l'improbable a fini par se produire, comme vous le savez tous, rendant difficile le fait d'éviter le sujet :
L'évolution des probabilités avec le superbe outil de FiveThirtyEight, qui s'était trompé comme tout le monde
Vers 23h Pacifique, quand Trump était annoncé gagnant en Pennsylvanie, j'ai abandonné et suis allé me coucher, avec un sentiment partagé par beaucoup de monde : Mais comment est-ce possible ?
Parce que d'un point de vue strictement humain (et non politique), avoir une once d'appréciation pour ce type est quand même difficilement concevable, après tout ce qu'il a dit et fait. Je ne vois pas comment quelqu'un pourrait penser : "Ce type est formidable, c'est le leader dont on a besoin, je pense tout comme lui". Je veux dire, merde, quand même quoi :
J'ai cru mourir de rire sur certains... "Because of my genius!"
Mais c'est arrivé. Et je ne voulais pas en parler, mais vraiment pas, parce que je m'attends à une déferlante de commentaires en tout genre, et que vraiment, on a tous eu notre overdose de campagne ces derniers mois.
Et devant les messages à droite et à gauche, du style "on pense bien fort à vous", et des journalistes Français qui me demandent mon avis "quelle est l'ambiance à Sacramento ?", je me suis dit qu'il serait intéressant d'en parler malgré tout, car on touche à un domaine qui m'intéresse bien plus que la politique : Le décalage culturel.
Et puis, après tout, il n'y a pas mort d'homme, et comme chez le psy, le fait d'en parler me permettra peut-être d'accepter ou comprendre, en tous cas de mieux me sentir à la fin de cet article. Car je savais très bien ce qui se passerait aujourd'hui.
Toute la journée, j'ai tendu l'oreille pour espionner la moindre conversation, essayer de trouver un quelconque indice, une réaction. Et comme durant ces longs mois de campagne, rien. Le néant. J'ai vu des dizaines de personnes au bureau, le midi devant CNN dans une salle de restaurant, et personne n'en parle. Même pas entendu le mot Trump ou Clinton de la journéé. Rares sont ceux qui tournaient même la tête vers l'écran de TV qui ne parlait pourtant que de ça.
Alors que je suis convaincu que tout le monde ne parle que de ça en Europe, ici, c'est un jour comme tous les autres. Comme hier. Comme avant-hier. Comme demain. Je pense qu'il y a deux raisons à cela :
1) Le sujet est chaud bouillant et les Américains détestent le conflit, a fortiori au bureau. Donc on n'en parle pas.
2) Ok, Trump est élu, et alors ? Ce qui est fait est fait, inutile de palabrer des heures sur le sujet, car ça n'y change rien. Les Américains ne sont pas du genre à critiquer ou débattre juste pour le plaisir, c'est une spécialité française. Une décision a été prise, maintenant il faut vivre avec, point.
Pragmatique. Voilà pour l'ambiance. Maintenant, et après avoir médité ça toute la nuit et une bonne partie de la journée (et oui, je ne suis pas encore Américain, donc je me torture l'esprit pour rien), il faut bien avoir en tête que le gouvernement US est non-interventionniste, a fortiori les républicains qui sont les plus conservateurs. L'idée générale est vraiment de laisser faire et ne légiférer que si il n'y a pas d'autre option.
Et surtout, les véritables lois qui impactent le quotidien de tout un chacun sont décidées par chaque état, indépendamment du gouvernement fédéral. L'exemple typique d'hier, c'est la légalisation de la marijuana à usage récréationnel en Californie, une décision aux antipodes de l'opinion de Trump sur le sujet, qui ne pourra rien y faire ou y changer.
Les états Américains sont souverains, et le gouvernement fédéral ne gère vraiment que la constitution, la politique étrangére, l'immigration, les taxes fédérales et ne se risque que rarement dans les lois "du quotidien".
United we stand... or not.
C'est sûr que Trump qui gèrerait la France, quand on a la santé, le SMIC, le chômage, les aides sociales, la retraite qui repose sur les épaules du gouvernement, ça aurait de quoi faire peur, car le type pourrait tout jeter à la poubelle, et le ferait certainement.
Et cela explique probablement les réactions de la presse et de nos amis en France. Mais ici, dites vous bien qu'il ne gère rien de tout ça, et que la seule récente tentative du gouvernement fédéral de réduire cet espace de liberté des Américains (l'Obamacare), et bien Trump va se faire un plaisir de le supprimer, et cela ne va pas occasionner de grands émois.
Car les Américains, globalement, n'ont pas aimé qu'on leur force la main en matière d'assurance santé. Mon premier employé ici m'a dit : "Une assurance santé ? La dernière fois que je suis allé chez le docteur, c'etait en 2007. Pourquoi est-ce que je paierais une assurance pour ça ? J'en ai pas besoin". Et c'est un type qui vivait chez ses parents parce qu'il n'avait pas les moyens de payer un loyer en Californie.
Il faut bien comprendre que les mentalités et les gouvernements sont différents, ce qui explique grandement la différence de perception. Et je n'exprime pas ici une opinion personnelle, juste un constat en la matière.
Son programme sur l'immigration
Du coup, je suis arrivé à la conclusion que si Trump applique son programme (que j'ai parcouru dans les grandes lignes ce matin sur son site web), la vraie différence concrète et visible est que nous devrions payer moins d'impôts sur le revenu.
D'ailleurs, selon comment on interprète son programme concernant l'immigration, on pourrait même ne plus en payer du tout, si Trump décidait que les Français font partie de ces indésirables aux USA :
"Suspendre temporairement l'immigration de régions qui exportent du terrorisme" - quand interrogé sur la France et l'Allemagne, Trump n'avait pas l'air très chaud cet été
Il faut ceci dit mentionner que son programme parait plus soft sur le papier que dans son expression orale durant la campagne.
Et puis il y a son dixième commandement sur l'immigration, qui pourrait être vu comme une fermeture des portes, pour peu qu'elles soient considérées comme ouvertes en premier lieu :
"conserver les taux d'immigration dans des normes historiques"
Pour en finir avec le sujet (et je peux vous assurer que je n'en parlerai plus), j'ai également trouvé du récomfort dans le fait que 59,6 millions d'Américains ont voté pour Trump.
Dans un pays de 320 millions d'habitants, cela fait à peine 18,6% de la population. Autrement dit, 81,4% des personnes vivant aux Etats-Unis n'ont pas voté pour ce président.
Et si vous me dites : Oui mais tout le monde n'a pas le droit de voter (pas en âge ou pas citoyen), alors cela devient : 75,7% des personnes pouvant voter n'ont pas voté pour Trump. Ce qui est énorme.
C'est une façon comme une autre de se dire que la notion de majorité est toute relative, et que la significance du résultat est vraiment limitée à une petite portion des gens qui vivent ici (un sur cinq), donc inutile de tirer des conclusions généralistes sur "la mentalité américaine" quand 80% de la population n'a pas fait ce choix.
Dans tous les cas, on verra bien ce qui se passe à l'avenir. J'ai décidé d'être confiant, car merde, c'est l'Amérique après tout, mais ce serait quand même cool que la carte verte arrive avant la fin de l'année, juste au cas où, hein !
Note finale : Je n'ai vraiment, mais alors vraiment pas envie de me battre avec les commentaires sur cet article. Selon mon humeur (et la vôtre), il est probable que je n'en publie aucun, tous, ou bien 18,6%, ce qui est une option jugée comme acceptable dans une démocratie moderne, okay ? :-)