Gwenael Bourdon|07 novembre 2016
Saint-Denis, avril 2016. Les habitants de la cité Paul-Eluard s’étaient mobilisés contre le trafic. L'office HLM Plaine-Commune va attaquer l'Etat devant le tribunal administratif pour « rupture d’égalité républicaine », en raison de l’insuffisance des moyens dévolus à la police en Seine-Saint-Denis.LP/ ARNAUD JOURNOIS)
Un bailleur social qui attaque l’Etat en justice pour cause d’insécurité. La démarche est inédite. C’est pourtant ce qu’a décidé de faire l’office public Plaine Commune habitat, qui gère 18 000 logements sociaux dans 7 villes de Seine-Saint-Denis. Confronté à une « explosion des actes locaux de violences », son président Stéphane Peu (élu PC de Saint-Denis), avait en septembre dernier, mis en demeure le préfet Pierre-André Durand de renforcer les effectifs de police à Saint-Denis (pour les porter à 500 fonctionnaires rattachés au commissariat) et dans les communes alentour.
Stéphane Peu, le président de Plaine Commune. (Yann Mambert)«Rupture d'égalité républicaine»
« Son absence de réponse équivaut à un refus implicite. C’est ce refus que nous attaquons devant le tribunal administratif», indique Stéphane Peu. L’élu, qui tient une conférence de presse ce mardi pour présenter sa démarche, dénonce une « rupture d’égalité républicaine », et l’insuffisance des moyens dévolus à la police en Seine-Saint-Denis.À l’entendre, il y a urgence : « On constate une dégradation, liée à l’emprise exercée sur certains quartiers de bandes liées au trafic. Il y a dix ans, 80 % des courriers de locataires que je recevais portaient sur des problèmes techniques. Aujourd’hui, 80 % portent sur l’insécurité. » Et de rappeler qu’en août dernier, deux enfants de 9 ans et 12 ans ont été blessés par une balle perdue, en traversant la rue, dans la cité Neruda à Saint-Denis.
« Des habitants qui sortent tard du travail préfèrent aller dormir chez des amis plutôt que rentrer chez eux », note encore Stéphane Peu, qui estime que l’office a fait tout ce qu’il pouvait en la matière : résidentialisation des immeubles, vidéosurveillance, sécurisation des parkings, création d’un service dédié à la tranquillité résidentielle… « On ne peut pas recourir massivement à des sociétés de sécurité privée, comme on nous a parfois suggéré de le faire… »
«Notre objectif est d'obtenir une réaction»
La requête de Plaine Commune Habitat a-t-elle des chances d’aboutir ? « Notre objectif n’est pas de faire du contentieux pour le plaisir du contentieux, mais d’obtenir une réaction », souligne Me Didier Seban, avocat de l’office.La démarche rappelle celle du maire PC de La Courneuve, Gilles Poux, qui avait saisi la Halde en 2009, dénonçant une « discrimination territoriale » dont souffraient ses administrés en matière d’emploi, de logement… En février, les avocats en grève de Bobigny avaient envisagé d’attaquer l’Etat, pointant un « déni de justice » lié au manque de moyens.
Au cabinet du préfet de Bobigny, on estime en tout cas que la requête « n’a pas de fondement juridique sérieux », et l’on conteste les ratios police-habitants utilisés par le président de Plaine Commune Habitat. Si la préfecture admet que la circonscription de Saint-Denis est bien « confrontée à une délinquance significative », elle affirme que celle-ci est « bien prise en compte par la préfecture de police » : « C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, cette circonscription, considérée comme prioritaire, a bénéficié de l’arrivée fin octobre de plusieurs dizaines de nouveaux gardiens de la paix ».
Repères18 000 locataires dépendent de Plaine Commune Habitat, dans 7 communes du 93 (Saint-Denis, Aubervilliers, L’Ile-Saint-Denis, Pierrefitte, Villetaneuse, Épinay, La Courneuve).2011 : l’office recense 15 agressions commises à l’encontre de son personnel, « dont 6 sur le seul mois d’octobre ».Juin 2013 : une famille de la cité Gabriel Péri (Saint-Denis), dont le fils avait été arrêté pour trafic de drogue en 2011, est expulsée de son logement, suite à une décision du tribunal d’instance. C’est une première.Juin 2014 : un gardien de La Courneuve est violemment agressé par un locataire (tentative d’étranglement, entaille du bras à l’arme blanche). L’agresseur est jugé en comparution immédiate et condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis.Octobre 2015 :le DRH de Plaine Commune Habitat est agressé à la cité du Franc-Moisin, à Saint-Denis.Avril 2016 :les habitants de la cité Paul-Eluard se mobilisent en soirée pour occuper l’espace public et protester contre le trafic et ses nuisances.Août 2016 : deux enfants de 9 et 12 ans sont blessés par une balle perdue à la cité Pablo-Neruda (Saint-Denis). leparisien.fr