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Guyotat : au cœur de la langue française

Publié le 10 novembre 2016 par Les Lettres Françaises

guyotat-1Paraissent chez Gallimard coup sur coup, presque simultanément, deux ouvrages de Pierre Guyotat, Par la main dans les Enfers, deuxième volume de Joyeux animaux de la misère, et Humains par hasard, un livre d’entretiens avec Donatien Grau. Comme si désormais, à chaque écrit « littéraire » (terme que je mets entre guillemets tant l’intéressé semble ne guère vouloir l’utiliser pour qualifier ses livres, pas plus qu’il ne souhaite être qualifié d’« écrivain ») devait venir se superposer un ouvrage d’Explications (titre du livre d’entretiens de Guyotat avec Marianne Alphant) ou de théorie, d’interprétation de sa propre œuvre. Comme un calque qui, superposé à cette œuvre, parviendrait dans un effet de complétude par en révéler le sens.

Ainsi, en fait, se rejoignent deux courants de l’œuvre de l’auteur, celui qu’il aimerait assimiler à de la poésie épique – difficile pour ne pas dire illisible pour certains – et l’autre, « normatif », dans une langue dans laquelle se reconnaîtront les puristes, celle des premiers textes, Sur un cheval (1961) et Ashby (1964) pour, des années plus tard, s’exprimer dans Coma, Vivre, Formation, Arrière-fond… de caractère plus nettement autobiographique sans pour autant être du ressort du « souvenir d’enfance ». Mais dans un cas de figure comme dans l’autre Guyotat agit toujours au cœur de ses « leçons sur la langue française », sa préoccupation majeure.

Le cas de Pierre Guyotat (c’en est assurément un dans la mesure où il apparaît comme une figure unique dans l’univers des créateurs de langue) touche désormais à ce qui est de l’ordre du mythe. Un mythe autour duquel se développe forcément toute une littérature plus ou moins savante.

En début d’année, avant la parution des deux ouvrages de chez Gallimard, sortait un numéro spécial de la revue Critique entièrement à lui consacré et déjà conçu et animé par Donatien Grau qui souhaitait inviter à découvrir l’œuvre de l’auteur « jusque dans ses zones les moins fréquentées ». Avec en ouverture deux textes inédits, l’un, superbe, La Prison, achevé en 1963, comme en préfiguration de Tombeau pour cinq cent mille soldats qui éclatera en 1967, l’autre, Parlerie du rat, fragment d’un texte en cours d’élaboration, Géhenne. Excellente idée que d’avoir mis en regard ces deux textes conçus à plus d’une cinquantaine d’années de distance, et marquant on ne peut plus clairement leur écart de langue.
L’originalité du numéro consiste à avoir demandé à des écrivains, des philosophes, des philologues de parler d’un livre de leur choix. Passionnant kaléidoscope qui passe au tamis l’œuvre entière de Pierre Guyotat, et où l’on retrouve les témoignages – pour n’en citer que quelques-uns – d’Alain Badiou qualifiant l’auteur de « prince de la prose » (à propos de Tombeau pour cinq cent mille soldats) et surtout en en donnant l’explication, de Catherine Brun (Vivre) ou encore Emanuele Coccia (Progénitures)…

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Mais surtout on retiendra l’intervention de Michel Zink concernant « l’aura de l’oral » de Pierre Guyotat où est remarquablement évoqué et disséqué le premier volume de Joyeux animaux de la misère dont nous avons aujourd’hui la deuxième partie. Michel Zink est clair sur le sujet : pour lui Guyotat travaille « à la construction d’un équivalent écrit de l’oral ». Et d’affirmer que Joyeux animaux de la misère – le deuxième volume poursuit et confirme le premier – représente « une sorte de moment de synthèse de son œuvre ». Et il est vrai d’ailleurs que de Progénitures à ces derniers ouvrages existe une avancée, une clarté, nourrie sans doute par la parution des ouvrages de « langue normative », sachant que « dans la langue de Joyeux animaux de la misère toutes les langues apparaissent, de la plus ancienne à la futuriste, de l’archéologie à l’élaboration, des localismes à la francophonie. » Toutes les strates de la langue sont ainsi explorées.

Quelques mois après de numéro de revue paraissait un ouvrage intitulé Pierre Guyotat, la matière de nos œuvres, toujours conçu par le même Donatien Grau et qui faisait directement référence à l’œuvre graphique de Pierre Guyotat exposée à la Galerie Azzedine Alaïa à Paris. Voilà qui tombait plutôt bien pour celui qui « depuis longtemps, [je] pense que ce que j’écris est de l’art »… et qui affirme un peu plus loin que « l’art est une intervention musclée et souple sur ce qu’on appelle le réel »…
Le réel, le monde, il est bien question de cela dans le livre d’entretiens avec Donatien Grau, du sien recréé et peuplé de ce qu’il appelle des « figures », et qui « intègre tout à son champ de songe » comme l’indique Donatien Grau. Rien d’étonnant si le terme d’humains (au pluriel) apparaît très justement dans le titre de ce livre.

Jean-Pierre Han


Humains par hasard de Pierre Guyotat. Entretiens avec Donatien Grau. 
Gallimard (Arcades), 244 pages, 21 euros.

Par la main dans les Enfers de Pierre Guyotat 
Gallimard, 424 pages, 24 euros.

Revue Critique. N° 824-825, janvier-février 2016. 192 pages, 14 euros.
La matière de nos œuvres de Pierre Guyotat. Dir. par Donatien Grau. 
Actes Sud/Association Azzedine Alaïa, 198 pages, 36 euros.


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