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Le bruit des langues percées, de Pascal Nordmann

Publié le 04 novembre 2016 par Francisrichard @francisrichard
Le bruit des langues percées, de Pascal Nordmann

Pourquoi vouloir toujours trouver un sens à tout? Pourquoi vouloir que tout soit sous contrôle? Les êtres humains, doués de raison, veulent - c'est bien naturel - en faire usage. Mais ils devraient plus souvent raison garder par devers eux et laisser libre cours à leurs petits délires. Car c'est le grain de folie qui donne son piment à l'existence.

Que ce grain de folie prenne la forme de fantasmes, de fantasmagories, de rêves aussi sots que grenus, peu importe après tout. Les hommes n'ont pas attendu le bon docteur Freud pour savoir qu'il est indispensable à leur équilibre mental; et cela, qu'il se manifeste alors qu'ils sont éveillés ou qu'ils se pelotonnent douillettement dans les bras de Morphée.

Pascal Nordmann, en tout cas, l'a bien compris. Le bruit des langues percées, titre quelque peu surréaliste, résonne ainsi pendant tout le déroulé de son récit déjanté. Le mot de déjanté convient bien à l'histoire puisqu'il s'agit du voyage d'un autocar jaune citron aux yeux d'insecte à travers la pulpe des choses, la pulpe cosmique, la pulpe amère de l'orange bleue.

Les êtres et les choses sont animés dans ce récit, comme des dessins peuvent l'être. Certes, au début, le lecteur peut s'étonner qu'un panneau de sens interdit engage la conversation avec un légionnaire, mais très vite il ne s'étonnera plus de rien, non pas parce qu'il sera saisi par l'habitude, mais parce qu'il se prendra au jeu et finira par s'en délecter.

L'auteur donne la parole, par exemple, à une mère de famille sans famille, à un cycliste sans son vélo, ou à trois vieilles femmes qui [ont] la clarinette à la bouche, mais il la donne aussi à un glacier de sexe féminin, à un livre d'école, à un biscuit, au plus-que-parfait, à un zébu, à une mouche du coche, à un boa, vêtu d'un veston gris qui lui allait bien, ou à une araignée

L'autocar jaune aux cinquante-sept sièges, aux lettres vertes et aux deux yeux ronds tournés vers la route,  a lui-même une âme. L'auteur le qualifie affectueusement de bien des noms de bateau: c'est un paquebot magnifique aux chromes étincelants, c'est la nef des nefs, que dis-je, c'est la grande barque à quatre roues, au moteur courageux et puissant, la lente galère.

Pour agrémenter ce livre, rien de tel que des soupçons d'intrigue policière: le meurtre de petites filles retrouvées la langue percée et la disparition d'une phrase qui figurait dans Les voix intérieures de Victor Hugo et qui parlait justement de ces petites filles; une nouvelle édition du recueil de poèmes sort, dotée d'un appareil critique corrigé, revu et annoté, et reliée de cuir véritable

L'auteur reconnaît qu'il perd par instants le contrôle de ce qu'il écrit. Il dit même à un moment donné: J'oubliais que j'étais l'auteur, je ne m'attendais pas à ce qui allait suivre. Je ne me méfiais pas, j'aurais dû!  Du coup, le lecteur s'attend à tout. Et il n'est pas déçu, par exemple, lorsque se déclenche la énième guerre entre absurde et logique qui se termine par la nécessaire paix des esprits... 

Francis Richard

Le bruit des langues percées, Pascal Nordmann, 228 pages éditions d'autre part


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