Ce soir a lieu au Bourg la remise du Prix de Poésie décerné deux années sur trois par la Fondation Pierrette Micheloud. Ce prix récompense un recueil de poésie paru dans l'année précédant l'attribution. Cette année, le lauréat est Nimrod, pour Sur les berges du Chari. Nimrod est un poète tchadien qui, tout jeune, a découvert la poésie et adopté le français.
Jean-Pierre Vallotton, à la fois membre du conseil de la Fondation et président du Jury, reçoit Nimrod. Il commence par le présenter avec beaucoup de subtilité et de finesse, évoquant son oeuvre de poète, mais aussi de romancier, avant de lui demander de le rejoindre pour s'entretenir avec lui, afin de le faire connaître, ou de le mieux connaître.
Sur les berges du Chari comprend un sous-titre: District nord de la beauté. Bien qu'une des cinq parties de son recueil s'intitule L'enragement, dans laquelle il exprime sa colère (il rend hommage aux mineurs sud-africains fusillés en 2012 et aux étudiants tchadiens réprimés en 2005), Nimrod se veut poète de la célébration plutôt que de la dénonciation.
En effet il y a, pour lui, comme un hiatus avec la dénonciation. Il ne voit pas pourquoi les dominés peuvent avoir la prétention d'être des purs par le simple fait qu'ils sont dominés ou l'ont été. D'aucuns ont d'ailleurs compris, de par l'attitude de Nelson Mandela à l'égard des blancs, qu'il fallait savoir pardonner pour savoir vivre.
Déjà Léopold Sédar Senghor était raillé parce qu'il était lui aussi, avant tout, un poète célébrant la beauté, tandis qu'Aimé Césaire était plutôt celui de la dénonciation. C'est pourtant le même Césaire - Nimrod lui a rendu visite en Martinique - qui disait: il n'y a de négritude que de dominés; elle n'existe plus quand ils deviennent dominateurs...
Dans la première partie du recueil, les poèmes de Nimrod sont courts, presque aphoristiques, dit volontiers Jean-Pierre Vallotton. Nimrod confesse avoir été influencé par un poète japonais, du début du XXe siècle, mort à seulement vingt-six ans, Takuboku. Cela donne, par exemple, ce poème concis qui n'en ouvre pas moins des perspectives:
Dans le chambranle de la lumière, je ravauderai la porte.
La peinture, à l'instar de Charles Baudelaire, a eu une grande influence sur Nimrod. A défaut d'être peintre des couleurs, il s'est fait peintre des mots. Quoi qu'il en soit, contempler une peinture fait jaillir spontanément les mots en lui. Dans son dernier recueil il est cependant parvenu à se départir de cette inspiration picturale, parce qu'il ne voulait pas en être prisonnier.
Nimrod et Jean-Pierre Vallotton
Une autre source d'inspiration pour Nimrod, c'est... l'eau. Il est né dedans, si l'on peut dire, puisqu'il est issu d'une tribu de marins-pêcheurs. Ce soir, il dit que l'eau est son élément, singulièrement celle du Chari; il ne dit pas, tout professeur de philosophie qu'il est, que, pour lui, l'eau n'est que l'un des quatre éléments du monde ici-bas:
Le ciel en octobre raconte le grand fleuve.
Il fait encore chaud pour la rentrée des classes.
Ruissellent les jours les heures.
On y pêche un ciel en attente. L'ange
Les nuages les pensées, l'abandon.
L'eau raconte le grand fleuve
Sous la paille sous les mimosas.
Aujourd'hui professeur en France, à Amiens, il a enseigné naguère, pendant deux semestres à l'université du Michigan, à Ann Arbor, comme professeur visiteur. Il a pu faire des comparaisons entre l'étudiant américain et l'étudiant français. Le premier est ouvert et ne cache pas son ignorance; le second est fermé et la dissimule. Il va de soi qu'avec le premier on peut aller plus loin...
Olivier Engler, Nimrod et Jean-Pierre Vallotton
Olivier Engler est président du conseil de la Fondation. C'est à lui que revient l'honneur de remettre le Prix de Poésie. Il se fait un devoir de lire les oeuvres qui sont récompensées par la Fondation, même s'il reconnaît ne pas toujours comprendre ce qu'il lit. Pour illustrer son propos de ce soir, il lit un poème très clair au contraire, tiré du recueil, intitulé Le suffisant, et qui commence ainsi:
Son oeil disait qu'il était directeur
Sa parole fusillait ou assommait
C'est selon.
La tendresse il en avait fait
Le deuil tant il s'était habitué
A sabrer dicter rabrouer
Sa jouissance, quelle misère!
Il voulait qu'on l'aime,
Il s'y prenait très mal.
Le métier d'intelligence
Étouffait en lui l'émotion,
Cette émotion
Sans aplomb
Sans armure.
(...)
Francis Richard
Sur les berges du Chari, district nord de la beauté, Nimrod, Éditions Bruno Doucey