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Une critique matérialisme de la philosophie contemporaine

Publié le 11 novembre 2016 par Les Lettres Françaises

Le travail d’Yvon Quiniou recèle assurément une grande cohérence, de ses recherches sur Nietzsche, sur Marx jusqu’à celles sur la religion. On y trouve à chaque fois un grand souci de rigueur dans l’argumentation ainsi qu’une langue claire évitant les coquetteries de langage ou les obscurités qu’il refuse explicitement. On y trouve aussi surtout une défense raisonnée du matérialisme en philosophie. Il ne s’agit pas à strictement parler du matérialisme d’un Epicure ou d’un Holbach car c’est un matérialisme qui s’est enrichi des avancées d’un Marx, d’un Darwin ou d’un Freud, mais aussi de toutes les avancées des sciences expérimentales contemporaines, dont Yvon Quiniou est un bon connaisseur.

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Dans son dernier ouvrage, Misère de la philosophie contemporaine au regard du matérialisme, Yvon Quiniou se fait le critique de tout un pan de la pensée philosophique du XXe siècle, que cette pensée soit étiquetée « de droite », comme celle de Heidegger, ou « de gauche » comme celle de Foucault ou de Deleuze. Quelles que soient les inclinaisons politiques ou les propositions théoriques des penseurs susnommés, ils afficheraient un trait commun : un refus assumé ou non, explicite ou inconscient de ce que signifie le matérialisme en philosophie. Et le matérialisme en philosophie implique d’admettre d’emblée que la science est intellectuellement contraignante et que ses avancées ne peuvent être aucune ignorées. La philosophie a un objectif – la vérité – et un référent – le réel. Ni cet objectif, ni ce référent ne peuvent être envisagés sans prendre en compte ce que nous dit la science.

Or, il y a une forme de « dérive littéraire » chez les penseurs susnommés qui peut se concrétiser par une expression souvent obscure, truffée d’invention linguistique dont Yvon Quiniou interroge la pertinence. Les lecteurs d’un Heidegger ou d’un Deleuze en savent quelque chose. Il s’agit d’une manière, sans doute involontaire, de rendre la confrontation avec leurs thèses difficile. Mais cela renvoie aussi à une forme de conception de fond : la philosophie y a perdu son objectif originel, présent tant dans chez les philosophes grecs que chez Descartes ou Spinoza. Elle ne projette plus d’« être un système dogmatique, au sens premier et non péjoratif du terme, d’une prétention, justifiée théoriquement à ses yeux d’avoir atteint la vérité ». Mais elle ne fait pas non plus sienne l’impératif de prendre en compte les acquêts scientifiques contemporains et notamment la conception que l’on peut se faire de l’homme à partir des découvertes sur le cerveau et sur le mécanisme qui produit de la pensée. Elle ne peut accepter le monisme ontologique de la matière confirmé par la recherche scientifique actuelle. Elle ne peut se résoudre à se vouloir une « philosophie scientifique » selon l’expression que propose de manière un peu provocatrice Yvon Quiniou et à accepter les fondements du rationalisme, soit « l’infinité d’un réel infiniment intelligible ».

Yvon Quiniou, après avoir présenté clairement et scrupuleusement les principes d’une philosophie scientifique dont il se revendique, passe à la déconstruction de quatre des figures clés de la philosophie contemporaine. Il en reste peu de choses de concluant. Au final, Heidegger, outre ses options politiques d’extrême-droite détestables, apparaît comme un penseur traçant un chemin qui ne mène nul part après qu’il eut refusé la matérialité du monde, la dimension évolutive de l’Être et de voir tout aspect positif à la technique au profit d’un pessimisme foncier et contemplatif. Michel Foucault, bien que politiquement plus présentable, ne sort pas mieux de l’épreuve de la critique : son scepticisme devant toute théorie systématique, ses incohérences sur la question de la morale, son refus sur le fond de prendre au sérieux ce qu’a à nous dire Marx, son escamotage des macro-pouvoirs au profit des micro-pouvoirs… tout ceci amène un verdict franchement négatif. À chaque fois, la critique d’Yvon Quiniou s’avère très fondée philologiquement. Tout juste pourrait-on lui reprocher de ne pas s’aventurer franchement sur le contenu des allégations sur l’histoire de Foucault où son dilettantisme a souvent été pointé (ce qu’il signale toutefois). Deleuze lui est plus sympathique, ne serait-ce que parce qu’il fut un critique constant du capitalisme et qu’il ne témoigna aucune désinvolture envers Marx. Mais le refus de toute conception claire de la matière chez Deleuze au profit du fugitif, de l’instable et de la déviation, son obscurité conceptuelle qui lui fait glisser de l’ontologie au « chaosmos »… tout ceci ne le réhabilite pas aux yeux d’Yvon Quiniou.

On voit qu’Yvon Quiniou se moque des modes et des foucades intellectuelles et qu’il pratique une forme d’irrévérence philosophique envers certains grands noms qui déplaira peut-être à certains. Toutefois il ne s’agit nullement chez lui du goût de provoquer pour provoquer ou d’une posture avantageuse, mais d’une exigence intellectuelle qui se veut à la hauteur de la conception qu’il se fait de la philosophie et des tâches du philosophe.

Baptiste Eychart


Yvon Quiniou, Misère de la philosophie contemporaine. 
Heidegger, Husserl, Foucault, Deleuze. 
L’Harmattan, 260 pages, 26,50 €.


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