En Tunisie, la situation économique ne fait que se dégrader, rendant ainsi davantage pénible le quotidien du citoyen lambda. Le gouvernement actuel, s’efforçant de prouver sa capacité à faire face à la crise, vient de prendre la décision de geler les salaires. Cette mesure a été accueillie par un refus ferme de la part des différents acteurs sociaux. Que faut-il donc faire pour qu’une telle mesure impopulaire, mais nécessaire, soit légitime et acceptée par les Tunisiens ?
Une réaction justifiable ?
Dans un communiqué rendu public le 17 octobre 2016, l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT), a appelé à se mobiliser pour faire obstacle au gel des salaires, considérant que le gouvernement viole ainsi son engagement à initier les réformes nécessaires, et à assumer sa part dans les sacrifices, lequel étant énoncé par « l’accord de Carthage », en vertu duquel Youssef Chahed s’est vu nommé Chef du gouvernement. Toujours selon la même source, la décision en question a été prise unilatéralement par le gouvernement, lequel n’a pas cherché à solliciter l’avis des parties concernées. L’UGTT y voit, en effet, une preuve de plus que l’approche participative était une vitrine, plutôt qu’un choix stratégique.
La nécessaire réforme globale de l’Etat.
La non-évolution des salaires, toute seule, n’est clairement pas de nature à résoudre le problème. D’où la nécessité de prendre des mesures d’accompagnement. Ainsi, sur le court terme, des mesures d’amortissement du choc du gel des salaires, semblent à la fois être nécessaires et utiles. A titre indicatif, il serait opportun, par exemple, d’alléger la pression fiscale qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises, surtout lorsque l’on sait que le taux de pression fiscale en Tunisie est parmi les plus élevés au monde. Il est estimé à 21%. Cette pression fiscale freine les investissements et pénalise le pouvoir d’achat. Et quand on sait que la consommation constitue 54% du PIB en Tunisie, il n’est pas farfelu d’appeler à une réduction du taux de la TVA, du moins sur les produits de base ou encore d’alléger l’impôt sur les revenus, ce qui permettra de sauvegarder le pouvoir d’achat des Tunisiens.
De même il est aussi possible d’envisager une suppression ou du moins une suspension des taxes douanières qui gonflent artificiellement les prix des produits importés. Cela permettrait de baisser les prix automatiquement, ce qui impacterait positivement le pouvoir d’achat des salaires en compensant leur gel. Ces compensations fiscales quoique temporaires sont primordiales, car un gel des salaires tout en gardant la même pression fiscale et avec un taux d’inflation de 5%, impliquerait une érosion du pouvoir d’achat des Tunisiens, ce qui se traduirait par moins de consommation, laquelle ralentirait la croissance, avec in fine moins de recettes pour l’Etat qui serait obligé de nouveau de les réduire. Un véritable cercle vicieux !
Comme tout un chacun sait il n’y a pas des impôts, il n’y a que des dépenses. Dès lors, les autorités tunisiennes ne doivent pas oublier que c’est la réforme structurelle de l’Etat menant à la rationalisation des dépenses publiques, qui lui évitera, à l’avenir, d’opérer ce genre de mesures brutales. Car si aujourd’hui le gouvernement est acculé à geler les salaires des fonctionnaires c’est parce qu’il manque de ressources, qui souvent sont dilapidées.
Dans ce sens, il faudrait redéfinir les missions de l’Etat, et prévoir une nouvelle division de travail entre le secteur public et le secteur privé sur la base du principe d’efficience. Ce qui peut être mieux accompli par l’Etat doit rester dans son giron, sinon il serait préférable de déléguer ces missions au secteur privé. De même, à l’intérieur de l’appareil étatique, il sera indispensable de faire la chasse aux gaspillages des deniers publics liés au millefeuille administratif. L’idée est de laisser aux échelons les plus locaux, les plus proches du terrain, le pouvoir de décider et d’agir afin de prévenir la fuite et le détournement des fonds publics liés à la gestion centralisée.
Dans le même ordre d’idées, le ciblage des transferts sociaux, notamment les subventions des produits de base doit être une priorité pour que les fonds publics cessent de subventionner ceux qui ne sont pas dans le besoin au détriment des nécessiteux et des plus démunis. Le système généralisé aveugle des subventions n’est ni juste ni efficace. Il ne fait que gaspiller les deniers publics fragilisant les finances de l’Etat surtout que les subventions ont englouti 5% du PIB en 2015.
Les investissements publics doivent être également rationalisés en rompant avec la logique politicienne présidant à leur affectation. En effet, les responsables décident de la répartition du budget d’investissement entre les projets souvent sur la base de leur impact politique (amadouer les électeurs, rallier des soutiens et des alliances politiques, etc.). Or, pour un meilleur usage des investissements publics, ils doivent être gérés selon une logique d’efficience économique avec en priorité l’impact en termes de rentabilité et de création d’emplois. C’est le seul moyen, non seulement d’économiser les deniers publics, mais aussi d’apporter de nouvelles recettes surtout lorsque l’on sait qu’une partie de ces investissements sont souvent financés par l’endettement qui a atteint 52% du PIB en 2015. Les procédures d’affectation des investissements et des marchés publics doivent être encadrés de manière stricte afin d’éviter ces détournements et afin de limiter les opportunités de corruption et de rente synonymes de fuite de fonds publics. Sans oublier de miser sur les partenariats public-privé afin d’apporter de nouveaux financements mais aussi d’introduire plus de rigueur dans la gestion des projets.
Enfin, il faudrait songer à réformer la fonction publique pour rationaliser la masse salariale qui représente la moitié des dépenses publiques et près de 14% du PIB, soit largement au-dessus du seuil toléré. Cela passe par la redéfinition des différents postes existants dans le sens de l’efficacité et de la performance. Il est besoin plus que jamais d’introduire la culture du résultat dans l’administration tunisienne pour qu’elle devienne un acteur de développement au lieu d’un boulet pour les contribuables tunisiens. Bien évidemment, en échange d’une amélioration des conditions du travail et de la rémunération, ce qui enlèvera aux fonctionnaires toute excuse de ne pas être performants.
Somme toute, le gel des salaires seul, ne peut être ni légitime ni efficace pour répondre à la problématique des finances publiques qui sont au rouge. Dès lors, le gouvernement tunisien ferait bien de renoncer à la tentation de la facilité en s’attaquant à la racine du mal : le caractère pléthorique de la bureaucratie et l’excès d’interventionnisme de l’Etat. Faute de quoi, il ne fera que reporter l’échéance de réformes plus douloureuses et encore plus impopulaires.
Amir Mastouri, étudiant en Droit à l’Université Toulouse 1 Capitole. Le 16 novembre 2016.