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Journal décalé d'icelui qui vit sa vie en noir

Publié le 28 novembre 2016 par Francisrichard @francisrichard
La nuit obscure

La nuit obscure

6 novembre 2016

Hier, c'était le 33e anniversaire de la mort de mon père, Robert Richard, que j'ai tant aimé et admiré. J'ai donc vécu un peu plus de temps sur Terre sans lui qu'avec lui. Cela me donne le vertige parce que notre belle complicité ne me semble pas aussi lointaine.

Mon amour et mon admiration pour lui étaient telles que je ne pouvais rien lui refuser. Aussi quand, alors que j'ai tout juste quatorze ans, il me demande de décider si je veux prendre sa suite à la tête de l'entreprise familiale, n'est-il pas question pour moi de refuser.

Un dimanche de juin 1965, en conséquence, nous allons voir le proviseur du lycée Henri IV que mon père connaît par le Rotary. Le lendemain, sans préparation aucune, je passe avec succès les épreuves très sélectives d'admission au célèbre lycée parisien.

Mai 1968 prend un sens tout particulier pour moi: mon père, craignant que son fils rebelle à toutes formes d'embrigadement ne connaisse en France un mauvais sort, l'envoie faire ses études supérieures en Suisse, où il intègre l'EPUL qui deviendra l'EPFL.

Depuis mon oui, il s'est passé dix ans, service militaire compris, quand je rejoins l'entreprise familiale en septembre 1975. Très vite je me rends compte que ce n'est pas ce que je croyais. Au même moment, Robert Hersant me fait proposer de rejoindre l'équipe du Figaro...

Robert le Diable a en effet eu connaissance de mes écrits helvétiques... Et la tentation est forte pour moi de lui dire oui. Mais je suis foncièrement timide, et je n'ose pas dire à mon père que je renonce, préférant contrarier ma nature littéraire plutôt que de le contrarier lui.

Une page se tourne. Il y en aura ainsi beaucoup d'autres du même genre dans ma vie de timide, qui vient du verbe latin timere... Et je les tournerai avec moins de bonheur que celles des livres que je lis et dans lesquels je cherche toujours à trouver quelque substantifique moelle.

Aujourd'hui je croise lors d'un événement annoncé par un réseau social la personne, que je me sais, depuis le 21 octobre, incapable d'aborder si elle ne m'a pas fait signe ou qu'elle ne me voit pas. A moins de deux mètres d'elle, mon coeur bat la chamade. Je m'esquive...

Sur la place où j'ai parqué ma voiture, je lui envoie un message pour lui signaler que je viens de la voir et que je la salue. Puis, les larmes de pluie se substituent à celles qui ne me viennent pas aux yeux, et je m'en vais l'âme en peine, aussi noire que la couleur du ciel.

Le dernier album de Leonard Cohen

Le dernier album de Leonard Cohen

13 novembre 2016

Je suis à Paris, au plus près des lieux où s'est déroulée la nuit barbare il y a un an. Et j'ai honte de me sentir d'humeur aussi noire alors que je ne suis pas touché par de tels malheurs. J'ai l'impression d'être un enfant gâté par la vie et qui refuse obstinément de lui sourire.

Le 7 novembre dernier, j'ai reçu vers midi un message de la personne que j'ai saluée la veille par message, n'ayant pas osé l'aborder par timidité. Elle trouve que c'est fou ça que je ne lui aie pas dit bonjour lors de l'événement de la veille. Je lui réponds le soir-même:

Quand j'ai le sentiment que quelqu'un n'a pas plus envie que ça de me voir, il m'intimide, je me sens insignifiant et préfère ne pas lui imposer ma présence, ne serait-ce que pour dire bonjour...

Pauvre de moi! Je m'étonne après ça de ne pas recevoir de réponse d'elle... Mais ce silence, que j'ai bien mérité, me blesse, me fait sombrer, c'est-à-dire que plus le temps passe, plus je deviens sombre et coule, conscient de mon insignifiance et de ma nullité.

Le 10 novembre, j'apprends la mort de Leonard Cohen, survenue trois jours plus tôt. La mort de cet aîné qui m'est semblable me touche à un point que je n'aurais pas imaginé. Son dernier album, You want it darker, est noir d'ailleurs comme ce que je broie en ce moment.

Leonard Cohen dit ainsi au Seigneur qu'il est prêt, I am ready, my Lord, et, venant de perdre sa muse lointaine, il Lui chante notamment ceci, qui me touche et qui, dans le même temps, me berce parce que sa voix est bien chaude avec ses accents graves:

There is a lover in the story

But the story's still the same

There's a lullaby for suffering

And a paradox to blame

But it's written in the scriptures

And it's not some idle claim

You want it darker

We kill the flame

... Hier soir, j'ai cru bon d'envoyer un long message pour développer celui du 7 novembre, espérant naïvement que je recevrais cette fois une réponse, que ce message serait compris comme un cri de détresse. Mais je n'y ai pas cru un instant et ai sombré davantage...

Dans Une saison en enfer, que j'ai relu dans la nuit, Arthur Rimbaud, dit qu'il parvint à faire s'évanouir dans [son] esprit toute l'espérance humaine. Je n'en suis pas là. Encore qu'il faille le dire très vite. Ce que je fais toutefois, pour ne pas m'assombrir encore plus...

Isabelle Falconnier, lors de l'inauguration officielle de Lausan'noir, le 18 novembre 2016

Isabelle Falconnier, lors de l'inauguration officielle de Lausan'noir, le 18 novembre 2016

Le 20 novembre 2016

Pendant toute la sainte journée de ce dimanche je lis, transporté dans le temps, celui de la Renaissance, et dans l'espace, celui de l'Écosse. Je continue à remonter la pente que je descendais allègrement, si je puis dire. Car, ces temps, je vis et vois ma vie en noir.

Puisque le noir est mis dans mon existence, j'ai dit oui à l'invitation d'assister à l'inauguration officielle de Lausan'noir, le festival du polar. Cet événement a lieu à l'Espace Arlaud, place de la Riponne. Je m'y rends à pied depuis Ouchy et passe par le Grand-Pont.

Sur le Grand-Pont, je m'arrête et me penche. Mais ma nature a horreur du vide et je me redresse vivement, pour ne pas y sauter... Trois choses de toute façon m'attachent Ici-Bas: la béquille de l'écriture, le plaisir de la lecture et le liquide amniotique des piscines...

Dieu, dont j'ai une connaissance purement intuitive et pas du tout raisonnée, pascalienne en somme, me laisse entièrement libre et je lui en sais gré. Mais, à son égard, je suis également timide. À mon tréfonds, je l'aime tant et si bien que je crains de lui déplaire à lui aussi...

Au festival du polar, je fais des rencontres, avec des femmes et des hommes que j'aime. Bien que je souffre d'une violente névralgie au bras, de leur parler me donne le sentiment d'exister. Aussi, quand, au retour, je repasse sur le Grand-Pont, n'ai-je pas même l'idée de me pencher...

Hier matin, ragaillardi, je reprends suffisamment confiance en moi pour envoyer un message à la personne qui m'a rendu à ma timidité (et qui d'ailleurs n'a pas répondu à mon long message). Je lui dis que je me réjouis du projet personnel dont elle a fait part sur un réseau social.

Cette fois, cette personne me répond laconiquement, et me remercie: le reste de ma journée en est éclairé... Comme quoi il suffit vraiment de peu de chose pour que mon humeur chagrine ne le soit plus et pour que la lumière remplace les ténèbres dans mon esprit.

La rue Saint-François, à Lausanne, le 27 novembre 2016

La rue Saint-François, à Lausanne, le 27 novembre 2016

27 novembre 2016

Hier j'ai passé une excellente journée à l'hôtel Alpha-Palmiers, où avait lieu la Journée libérale romande 2016, consacrée au système de santé suisse, qui n'est pas si libéral que ça et qui ne le deviendra pas de sitôt, de sombres nouvelles menaces étatiques pesant sur lui.

J'ai passé une excellente journée parce que j'ai fait des rencontres avec des femmes et des hommes que j'aime. Bien que je souffre d'une violente névralgie au bras, de leur parler me donne le sentiment d'exister. Tiens, cela me rappelle quelque chose... Je bégaie...

Aujourd'hui je vais au théâtre, en fin d'après-midi. Le spectacle n'est pas réjouissant, mais il est édifiant, et peut-être cela m'aidera-t-il à cesser de me livrer à un égotisme doloriste. Ma douleur physique dans le bras devrait amplement suffire à mon contentement.

Alors que je quitte la salle, assise à l'autre bout du premier rang, je vois la personne que je n'ose aborder depuis trois semaines par timidité. Quand je passe à moins d'un mètre d'elle, elle ne me voit pas: je dois être transparent ou l'ombre de moi-même (j'ai encore perdu du poids)...

Cette fois encore je me suis esquivé, je suis rentré chez moi la mort dans l'âme, me traitant de tous les noms. J'ai eu recours à la béquille de l'écriture et ai retrouvé mon équilibre. Je n'ai pas résisté à la tentation de lui envoyer un message pour lui dire que je l'avais croisée.

Dans sa réponse, elle me dit que j'aurais dû lui dire bonjour, elle me dit encore qu'elle avait pensé à moi et qu'elle avait donc dû ressentir ma présence... Ma vie de timide est pleine d'occasions manquées et doit susciter chez les autres bien des désappointements. 

Francis Richard


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