
Histrion. Au forum, la frime et la testostérone. À l’autel, l’inauthentique et l’artefact intellectuel. Dieu pour les âmes, l’argent pour les corps… Nicoléon fut l’incarnation de l’histrion déculturé. L’Histoire avec un grand H: décontextualisée. La Culture avec un grand C: dévitalisée. Nous sommes toujours dans cette séquence d’appauvrissement et de communication moderne. Prenez l’Histoire, par exemple, passez-la dans le tamis identitaire, et vous obtenez la restauration d’un grand récit national, aussi absurde soit-il, même si la nation française ne remonte pas à la nuit des temps, même si son unité est récente, même si la France n’a pas d’«âme». La politique mémorielle de Nicoléon, que partagent ses successeurs à droite (Fillon n’a rien à lui envier), reste une politique bling-bling, pipolisée, ethnocentrée, qui n’aboutit qu’à un récit désarticulé de l’histoire nationale, indifférente aux contextes, composé d’éléments éparpillés, misant plus sur l’émotion que sur la raison, brandissant des icônes (Jaurès, Môquet, etc.) sans leur conférer la moindre survie politique… Résultat? Jamais depuis la fin de la guerre d’Algérie l’État français n’avait à ce point engendré une logique de bouc émissaire, jusqu’à désenclaver les thèses lepénistes… Quant à la Culture, comme emblème de toutes les déstructurations, parlons-en! Lors de ses vœux aux artistes et aux professionnels de la profession, le prince-président avait un jour affirmé, en forme d’aveu: «Plus on va à la culture, plus on a envie d’y retourner.» Un concept s’est dès lors imposé comme l’alpha et l’oméga: celui de la «culture pour chacun» versus la «culture pour tous», opposant la prétendue culture d’une élite à celle du peuple. Du bon côté, ceux qui disposent de la fortune et pour lesquels tous les accès mis sous cloche sont facilités; du mauvais côté, la masse inculte pour laquelle une sous-culture se diffuse lors des prime times télévisés… Et à quoi sert une «guerre culturelle»? À instrumentaliser l’Histoire, donc la politique. Regardons bien devant nous : les fossoyeurs de l’égalité – de toutes les égalités – sont toujours là. Ils ont juste changé de visages.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 25 novembre 2016.]