Notre critique artistique flibustière a rendu visite à Fantin-Latour au musée du Luxembourg.
Les noirs de Fantin
L'ambiance est feutrée, quelques anglo-saxons, un groupe de retraités, conditions idéales de visite. Les parisiens semblent en effet bouder l’exposition Henri Fantin-Latour. Coincé entre La Mort de Sardanapale et Olympia, voilà un peintre sans coup d’éclat, austère, exigeant, pas vraiment fun !
On a retenu de lui ses grands portraits rassemblant les artistes de son temps à qui l’on faisait des moustaches dans manuels d’histoires, ses natures mortes pour vieilles dames anglaises, ses rêveries wagnériennes à remiser illico au placard du kitsch. C’est trop bien peint, trop lisse, trop sage. Bref, Fantin-Latour n’est pas à la mode. Il ne l’était pas déjà au salon de 1860 !
Voilà donc deux très bonnes raisons d’aller lui rendre une petite visite au Musée du Luxembourg et vous ne serez pas déçu. Allez contempler ses grands portraits intimistes, peinture de la pensée intérieure et du silence, baignés d’une belle lumière du Nord. Allez admirer ses noirs variés à l'infini (par exemple un bouton noir sur le revers d’une manche de drap noir, sublime), ses subtiles recherches chromatiques très influencées par son ami Whistler et qui vaudraient à ses tableaux des sous titres comme Harmonie en noir et jaune, bleu et jaune, noir et gris, gris et bleu ... avec toujours un détail éclatant comme un châle rouge vif ou la tranche neigeuse d’un livre pour faire vibrer l’ensemble.
Allez jubiler devant ces bouquets traités comme des portraits de fleurs, esquisses, sauvageonnes, sculpturales sur des fonds mordorés qui leur donne un air japonisant. Pas besoin de vos lunettes 3D : la précision teutonique, la vigueur coloriste, le savant jeu de la lumière les rendent palpables, vivantes.
Allez vous rincez l’œil devant sa collection de photos de nues (oui, oui vous avez bien lu) qui lui servaient de modèles pour ses études d’atelier. Cet homme-là n’aimait manifestement pas que les fleurs.
Enfin, allez découvrir une belle série d’autoportraits peint au début de sa carrière. Ce sont surtout les dessins qui sont les plus audacieux : introspection en noir et blanc où les variations de la lumière déforment les traits, où l’ombre absorbe le visage et le ronge. C’est sans doute dans l’Autoportrait dessinant (1860, Musée d’Orsay) que l’on atteint le mieux la vérité de Fantin: son regard concentré dans un œil unique est celui d’un «voyant».
Tiraillé entre son désir de réalisme et ses aspirations oniriques, déçu par le laisser aller de ses amis impressionnistes, Fantin-Latour a tracé son sillon sans mollir. Indépendant et inclassable, il est lui-même et singulier.