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Sur la route de la folie, avec Fabienne Cabord

Publié le 07 décembre 2016 par Aicasc @aica_sc

Exposition individuelle de Fabienne Cabord

 Sur la route de la folie

Centre culturel Gérard Nouvet

Du 15 au 23 décembre 2016

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Caducus acrylique sur métal,38×105 cm 2016

Engagée dans la culture de par sa profession, Fabienne Cabord – Heinrich a mené à titre personnel  plusieurs actions originales en faveur des artistes. L’Art-péritif et le Soussou’ art sont les plus marquantes. Ces deux opérations favorisaient non seulement le contact entre amateurs et artistes mais également  les ventes d’oeuvres. L’Art-péritif réunissait régulièrement des amateurs autour d’un artiste qui commentait ses oeuvres dans un contexte convivial ; la rencontre s’achevait souvent par quelques acquisitions.

En s’inscrivant au Soussou’art, il était possible d’acquérir une oeuvre d’art en versant une quote-part mensuelle pendant une année avant d’aller choisir l’oeuvre dans l’atelier de l’artiste. Tout en garantissant un revenu assuré au plasticien, le Soussou’art  contribuait par ses visites d’atelier aux échanges entre collectionneurs et artistes. Fabienne est  également depuis des années un amateur d’art  et un collectionneur  éclairé et passionné.

Par ailleurs, Fabienne  développe aussi depuis longtemps  une pratique personnelle et discrète que cette exposition  permet  enfin de découvrir et d’apprécier.

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Popée acrylique et encre sur papier, 53x68cm 2015

 Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour exposer ?

L’envie de réaliser une exposition personnelle n’est pas venue d’emblée. Je peux même dire que je n’en éprouvais pas vraiment le besoin. Créer est pour moi plus important que montrer. Une rencontre fortuite avec Christian Bertin m’a amenée à me lancer, sur la proposition de cet artiste pour qui j’ai un grand respect.

La perspective de cette exposition m’a amené à réfléchir sur ma pratique et je me suis rendue compte que plusieurs dessins avaient pour titre « Route de la folie » et que ce lieu m’inspirait et d’une certaine manière m’obsédait.

J’ai conçu cette exposition comme un projet interrogeant ce lieu spécial que j’appelle la « Route de la folie ».

Route de la folie c’est l’endroit où je travaille. Cette route qui monte tout le temps, permet de quitter le centre-ville de Fort-de-France. Le nom intrigue, pourquoi route de la folie ? Même si je n’ai pas la réponse, je ne m’arrête pas simplement à cette route, car c’est tout le quartier qui m’intéresse, tout ce qu’il y a autour : le marché, le Géant Casino, le parking, le bar, la petite bijouterie, le cordonnier, les coiffeurs, la supérette, le dispensaire Calmet, les petites rues, le restaurant Le laurier, les pâtisseries, les pharmacies etc.

Tout cela constitue un lieu particulier, riche et fascinant, dans lequel je suis immergée depuis plusieurs années.

Route de la folie c’est un lieu de vie, de rencontres, un lieu où les gens travaillent beaucoup quand d’autres sont désœuvrés, où certains travaillent dans des bureaux climatisés et d’autres sur le trottoir. Tous ces gens se croisent du matin au soir, l’employée, le sdf, le pharmacien, la marchande, le gardien de parking et moi parmi eux.

Dans cette exposition qui est ma première exposition personnelle, j’essaye de raconter l’histoire de ce lieu, de faire transparaître l’âme de ce lieu particulier, où les gens sont omniprésents, vieux, fatigués, pressés, blasés, fourbus, désabusés.

Il y a des routes de la folie dans toutes les villes et elles sont le reflet du monde actuel et de ses échecs. J’ai envie de continuer ce travail, au-delà  de cette exposition, et de parcourir ainsi les non-sens de la société, à travers d’autres « routes de la folie ».

Vous travaillez sur une multiplicité de supports, souvent supports de récupération: caisses de bois, casques de chantier, sacs d’emballage, panneaux de chantier, étagères délaissées, petits bancs traditionnels. Quel est votre rapport à tous ces matériaux? Qu’apporte leur diversité à votre production artistique? Le principe de création est-il toujours le même ou change – t- il en fonction du support?

Au-delà de la dimension écologique de la récupération d’objets qui est importante pour moi, tous ces supports m’apportent leur visuel, leur identité, leur histoire.

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Série Ich man ban acrylique sur bois 2016

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Série Ich man ban acrylique sur bois 2016

C’est le contraire d’une page blanche, on ne part pas de rien, on doit inventer à partir d’un objet qui en lui-même raconte déjà une histoire.

Par exemple, les casques de chantier ont inspiré une série « Quand le casque se fait masque ».

Le casque est un objet assez brut où la solidité et le confort priment sur l’aspect esthétique. Mais en le détournant, en le transformant on peut raconter autre chose. Parmi toutes les idées qui me sont venues à l’esprit en travaillant sur ces casques, il y a des réflexions liées à des sujets d’actualité et le grand événement de 2014, la commémoration de la grande guerre.

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Motodidacte encre sur métal 2016

Le casque est prétexte à évoquer tous ces sujets. Le graphisme, la couleur et les jeux de mots se combinent pour délivrer une histoire, qu’il faut parfois décrypter.

 La diversité des supports stimule mon imagination, ce sont des matériaux supplémentaires à ma disposition.

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Bad bed acrylique et encre sur papier,56x45cm 2015

Le processus de création reste le même, ce qui peut changer ce sont les contraintes techniques en fonction du support utilisé, bois, métal, plastique, papier etc. Le temps de préparation de l’objet peut être plus ou moins long avant de démarrer le travail de création.

Vous associez graphisme et couleurs. Y a- t – il une hiérarchie dans l’organisation de la mise en oeuvre?

En règle générale, le graphisme précède la couleur. Il s’agit pour moi, dans un premier temps, de poser quelques éléments de dessin qui constituent une première trame à partir de laquelle je vais construire la composition finale.

Il semble qu’il y ait une part de structuration comme un schéma d’ensemble et une part d’improvisation et d’automatisme  dans la réalisation?

Dans un premier temps quelques éléments de dessin, souvent improvisés. C’est une étape où je travaille en privilégiant la rapidité, la spontanéité.

Dans un deuxième temps, la réflexion s’organise autour d’un objectif assez simple qui est de créer l’image finale. Pour moi, créer des dessins, des peintures, c’est d’abord créer des images. C’est inscrire dans le monde réel une part de mon imaginaire. Parmi la profusion d’images que nous absorbons en permanence,  pouvoir inscrire mes propres représentations c’est une chance, ce n’est pas anodin.

Dans cette phase,  j’alterne improvisation, recherche d’effets et recherche de sens.

 Vous vivez et travaillez au contact de nombreux artistes, vous participez à la conception de leurs expositions y en a t – il qui vous influencent?

En fait, on subit diverses influences, tout le temps. Quand on est curieux, quand on aime la culture, on est forcément influencé par ce qu’on voit, par les textes, par la musique etc. Je ne m’inspire pas de tel ou tel artiste, mais j’ai forcément été influencée.

J’ai beaucoup discuté avec les artistes, j’ai passé beaucoup de temps dans les expositions, les ateliers etc. Raymond Médélice, Henri Guédon, Luz Sévérino, Thierry Jarrin… tous ces artistes m’ont forcément influencée. En tout cas, c’est eux qui m’ont donné envie de peindre.

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Route de la folie ordinaire Encre sur métal,105x38cm 2016

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Route de la folie 2 Encre sur métal, 81x26cm 2016

 Vous dites que par intuition, vous sentez lorsqu’une oeuvre est achevée, comment cela se passe t-il ?

C’est l’oeil, tout simplement. La vision de quelque chose d’achevée. Parfois c’est évident et d’autres moins.

L’écriture en peinture après une éclipse réapparaît discrètement avec Raoul Dufy peignant des affiches dans un paysage urbain, puis surtout avec Braque et Picasso en 1911. Quelle est la fonction des mots dans vos  créations ?

Je trouve que l‘écriture et le dessin vont de pair, ces deux formes d’expression sont liées. J’ai toujours gribouillé, dessiné  sur des feuilles ou des morceaux de papier sur lesquels j’écrivais des choses utiles comme la liste des courses, les rendez-vous chez le médecin, et même les notes prises lors de réunions. Tous mes cours d’étudiante sont décorés de ces dessins. Je pense que mon travail est le reflet et le résultat de tout cela. Ce qui change, c’est que l’acte de créer est clairement assumé et que les formats sont plus grands.

Aujourd’hui encore, j’essaie de privilégier cette manière de dessiner, rapide et spontanée. Parfois, je me mets volontairement en situation de dessiner, en téléphonant ou en regardant la télé. Cette pratique laisse la place libre à mon instinct.

La fonction des mots dans mes créations est purement plastique, les textes, les mots et plus récemment les lettres, sont des matériaux plastiques. Ils ont un impact visuel fort qui rappelle les livres, les journaux, les slogans inscrits sur les murs. « Votez Pulvar » peut-on encore lire sur un immeuble désaffecté de Fort-de-France. Ces deux simples mots évoquent un personnage, une époque, une Martinique militante, des combats politiques… Tout cela avec juste ces deux mots.

Les mots attirent le regard et permettent de jouer avec le futur regardant.

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Une bonne presse, ça urge acrylique et encre sur papier, 65x50cm 2016

Le texte vient souligner quelque chose, une idée, un concept, ou créer la confusion. J’aime bien brouiller les pistes et je me sers parfois du texte pour cela.

Je n’aime pas les messages explicites, je préfère le langage codé.

 Cette écriture en peinture intervient – elle après les collages où vous  associez pages de journaux imprimées et peinture ? Dans ces collages, qu’apporte la page imprimée ? Sont – elles choisies au hasard ou en fonction de leur contenu ou encore de leur apparence graphique ?

L’écriture vient après le collage, comme une forme de réécriture personnelle.

J’aime le collage, c’est une alchimie entre les mondes  de l’écriture et de la peinture. J’ai la même fascination pour les écrivains et les artistes.

De tous temps, les écrivains et les artistes n’ont eu de cesse de créer des ponts entre leurs disciplines.

 J’aime beaucoup le papier et surtout le papier journal. Les  journalistes sont des observateurs de la société, au même titre que les artistes.

L’utilisation des coupures de presse, c’est le rappel d’un matériau que j’affectionne particulièrement. Le collage c’est aussi un prétexte à découper, coller, superposer, se jouer des mots, des textes et même des images que l’on recouvre pudiquement.

Je sélectionne en fonction de plusieurs critères : si je veux de la couleur, ce sera des publicités ou des magazines. Parfois, je recherche des textes précis, par exemple, dans le cadre de mes réflexions sur la femme et son traitement dans la société, je recherche des  articles, des titres, des slogans publicitaires.

 Sinon, j’ai beaucoup utilisé le papier du Monde Diplomatique, c’est un beau papier que je prends plaisir à utiliser, d’autant plus que les articles sont souvent intelligents et déclenchent des choses intéressantes dans mon travail.

Je fais régulièrement des carnets d’artistes, avec des dessins, des textes, des messages intimes codés, des numéros de téléphones à ne pas oublier, des instants fixés sur le papier…

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Série Ich man ban acrylique sur bois 2016

Quelle est votre attitude de travail ? Travaillez – vous à l’horizontale ou à la verticale

Je travaille à l’horizontale. Ma production est un peu le reflet de mes conditions de travail. Le plus souvent sur une table dans mon atelier, mais parfois sur mes genoux dans une salle d’attente ou dans mon lit quand le silence est propice à la création.

Cette position horizontale oblige à tourner autour du support quand il s’agit d’un grand format. Ce qui explique effectivement que parfois, la composition peut fonctionner dans plus d’un sens.

Cela peut également s’expliquer par la composition elle-même, du fait du croisement des éléments, pseudo-personnages présentés têtes en bas, têtes bêches.

Décembre 2016

Entretien avec Dominique Brebion


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