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Journal un peu décalé d'un timide au franc coeur

Publié le 10 décembre 2016 par Francisrichard @francisrichard
Maison Fournaise, sur l'Île des Impressionnistes, à Chatou

Maison Fournaise, sur l'Île des Impressionnistes, à Chatou

5 décembre 2016

Ce soir je n'irai pas à la dernière rencontre de la saison de Tulalu!?. Si je ne l'étais pas déjà, j'en serais malade. Après une sombre parenthèse, je croyais en avoir fini avec les idées noires et retrouver toute ma joie de vivre, qui correspond mieux à ma nature ardente de perpétuel optimiste que le spleen baudelairien.

Avant-hier je n'ai pas résisté à aller me promener solitaire sur les berges de l'île de Chatou, aux abords de la Maison Fournaise, chez laquelle fréquentèrent Renoir et Maupassant. Cette lumière automnale reflétée par la Seine me donnait envie de jouer à nouveau du pinceau sur une toile...

Hier j'ai pris connaissance d'un premier message, envoyé la veille par la personne qui m'intimide, m'annonçant que notre amitié était compromise par le fait que - je schématise - ma situation avec elle ne m'apportait pas un réel équilibre et qu'il me fallait retrouver la sérénité. Alors j'ai tenté de m'expliquer.

La tentative était vouée à l'échec parce que ce premier message m'avait déstabilisé. Alors le timide que je suis a osé essayer de faire comprendre l'incompréhensible. En relisant mon message je me rends compte combien j'ai été maladroit en tentant d'expliquer pourquoi j'étais intimidé par elle et que je me dérobais parce qu'elle se dérobait.

Depuis des mois, cette personne me dit, message après message: à très bientôt ou à très vite. Elle sait que j'ai grande envie de la revoir: je le lui ai dit et ai certainement eu tort. En début d'année sa présence lumineuse et sa spontanéité m'avaient littéralement enchanté. Je lui laissais l'initiative de me faire signe quand elle voudrait.

Le lendemain de mon anniversaire avait été particulièrement enchanteur. Nous avions pris un verre au Musée Olympique, puis au White Horse. Cette rencontre m'avait tellement fait de bien que quelques jours plus tard je lui écrivais que sa compagnie ce jour-là avait certainement été le plus beau cadeau qui m'ait été fait cette année. J'ai sans doute trop reçu et pas assez donné...

J'ai tenté d'expliquer que j'avais souffert qu'elle ne me fasse jamais signe, alors qu'en début d'année nous nous étions vus plusieurs fois sans problème. J'ai tenté d'expliquer que je suis d'un naturel timide, ce que d'aucuns ont du mal à croire. Pourtant je ne me sens à l'aise qu'en tête à tête ou en petit comité.

Le fait de ne jamais me faire signe a fini par me faire douter qu'elle veuille vraiment me revoir et cela a commencé à m'intimider. Cette timidité qui étonne les autres remonte pourtant à ma petite enfance. Mes parents m'ont raconté que je n'avais pas dit un mot avant quatre ans. Une psy leur a expliqué que je craignais de m'exprimer mal et d'importuner les autres.

Quand j'ai appris que Patrick Modiano souffrait du même mal, qu'il était plus à l'aise à l'écrit qu'à l'oral, sans me comparer à lui j'ai été réconforté: je n'étais pas seul dans mon cas. Mais cela n'est pas toujours très confortable pour autant. Quelques semaines avant le dernier Salon du Livre de Genève, mon ami Max Lobe m'a proposé d'animer avec lui une rencontre et j'ai dû décliner.

Toujours est-il que mes explications n'ont pas été convaincantes puisque j'ai reçu pour toute réponse ce message laconique: L'amitié comme tu la conçois ne me convient pas. Et nos échanges s'arrêtent là. J'en ai eu le souffle coupé comme si j'avais reçu un coup au plexus. Vis-à-vis de mes proches j'ai réussi cependant à faire bonne figure.

N'ayant pas dormi la nuit qui suivait, je me suis rendu au bureau comme un zombie. A midi je suis même allé nager. Mais, juste après, j'ai commencé à ressentir de violentes douleurs au ventre. Je suis rentré chez moi, complètement choqué. Ma tête fonctionnait toujours, mais mon corps lâchait et mes jambes se sont mises à flageoler.

Quand ma soeur Chantal est morte début septembre, une douleur à l'omoplate s'est transformée en névralgie cervico-brachiale me faisant souffrir énormément. Cette rupture d'amitié de la part d'une personne à laquelle je tiens beaucoup, elle, m'a atteint aux tripes, provoquant même des saignements inquiétants... et une perte de poids: mon IMC (19.8) est limite...

Par ce message j'ai donc appris que j'avais une conception de l'amitié qui ne lui convenait pas, sans qu'elle me fasse connaître la sienne. Alors j'ai réfléchi à l'amitié et je crois comprendre que je n'ai effectivement pas la même conception de l'amitié que celle que je devine en elle: c'est quand un ami est au plus mal que je ne le laisse pas tomber.

Pour avoir cette conception de l'amitié, encore faut-il accepter les autres comme ils sont et tenter de les comprendre, surtout si, bien involontairement, on est quelque peu responsable de ce qui leur arrive; encore faut-il ne pas vouloir préserver à tout prix sa tranquillité, que pourrait troubler malencontreusement la détresse d'un ami.

Quand je suis ainsi considéré comme un moins que rien - comment expliquer autrement le vilain procédé utilisé pour me donner congé? - j'ai recours à la visualisation. Et je visualise souvent une scène parisienne: j'ai vingt-cinq ans; je suis présenté à une grande dame, qui me tend la main et ne me voit pas; je prends cette main; elle me la serre et me dit:

Je sens que vous êtes authentique.

Cette grande dame s'appelle Arletty. Et ce qu'elle me dit est le plus beau compliment qu'une femme m'ait jamais fait. Cette visualisation me console de tout. Plus rien ne peut alors m'atteindre. Je visualise aussi sa silhouette, qui est aussi élégante que sa personne, et je m'infuse de ce que sont la vérité, la beauté et la bonté d'âme.

Maintenant que j'ai été douché - et de quelle manière! - je sais que je peux croiser cette personne à laquelle je n'arrive pas à en vouloir et à laquelle je tiendrai jusqu'à mon dernier souffle - cela, rien ne pourra me l'ôter, même pas toi, lui ai-je répondu. Je peux la croiser sans qu'elle m'intimide: je ne crains plus de la décevoir et de l'importuner, c'est fait.

Pénitencier de Bochuz (photo parue dans la Tribune de Genève du 04.02.2014)

Pénitencier de Bochuz (photo parue dans la Tribune de Genève du 04.02.2014)

10 décembre 2016

Ce que je pensais le 5 décembre de la personne qui m'intimide était faux, complètement faux. Et je l'ai appris, peu de temps après, à ma grande honte: je suis assis, un livre à la main, ce qui ne surprendra personne; je sens une présence; elle est plantée devant moi; je lève les yeux et elle me parle. Elle m'a vu et elle est venue à moi, sans agressivité, pleine de tristesse.

En fait, quand elle m'a dit ne pas avoir la même conception que moi de l'amitié, elle voulait dire qu'elle n'aurait pas fui comme moi les deux fois où nous nous sommes croisés et, surtout, qu'elle n'aurait certainement pas raconté à tout le monde ce qui ne regardait que nous. Je suis resté bouche bée. Je ne pouvais dire mot.

Ou plutôt si, j'ai eu la possibilité de lui faire observer qu'elle n'était pas identifiable dans ce que j'avais publié, ce dont elle a convenu. Pour justifier qu'elle ne m'ait pas fait signe pendant tout ce temps, elle me dit que plein de choses étaient survenues dans sa vie, dont il n'est évidemment pas question que je dise quoi que ce soit ici.

Faisant les questions et les réponses, je n'ai donc pu placer qu'un mot. Puis elle est partie, parce qu'elle était pressée. Quand je l'ai revue de loin, un peu plus tard, je lui ai fait timidement un petit signe de la main, auquel elle a répondu par un petit signe de la main. Nos relations se sont arrêtées là, avec cet épilogue et cet échange de gestes lointains.

Elle et moi, nous ne nous reparlerons sans doute jamais. Elle m'a dit mon fait sans que je réplique. Je n'aime pas disputer. Et j'étais de toute façon trop timide même pour lui dire qu'elle avait raison. Puisse-t-elle seulement pardonner au timide que je suis de ne pas avoir su résister à son besoin vital de s'extravertir par l'écriture, qui ne peut être satisfait que publiquement.

Comme aujourd'hui je dois rendre visite à un détenu au pénitencier de Bochuz, les jours qui ont précédé je tente de me divertir de mes tourments. Je vais le 6 au Grand-Saconnex pour la soirée de soutien organisée par le Cosunam et j'assiste le 8 à une pièce au Théâtre des Trois-Quarts à Vevey. Il ne faut pas que je présente une face de Carême à un ami qui est dans la peine...

Dieu sait si l'on m'a mis en garde. En rendant visite à un condamné en vertu de l'article 64 du Code pénal suisse, je me compromets. Ce que de tels criminels ont commis est si grand qu'il leur vaut l'internement à vie. Mon ami est-il innocent ou coupable? Peu me chaut. Tous ses amis lui ont tourné le dos? S'il n'en reste qu'un, je serai celui-là... Je n'aurai jamais l'âme d'un juge, mais toujours celle d'un défenseur...

Les visites aux Etablissements de la plaine de l'Orbe ont lieu le samedi de 14:15 à 15:45. Il faut se présenter devant le portail au moins un quart d'heure avant. Il est 13:45 quand j'arrive. Seules deux voitures me précèdent. Je suis le seul Suisse parmi les visiteurs et je suis... le premier à qui l'on ouvre le portail, en m'indiquant de me parquer à gauche en entrant.

C'est la première fois que je vais en prison. Dans ma voiture j'ai laissé ma montre et mon smartphone. Je me présente à la réception. Je dois vider mes poches, enlever ma ceinture, ma parka, me déchausser et passer sous le portique. A Singapour, les pièces de monnaie qui se trouvaient dans ma poche de poitrine l'avaient fait sonner et j'avais senti tout soudain les canons de plusieurs pistolets-mitrailleurs s'appuyer sur mon torse...

De l'autre côté du portique on me rend mon portefeuille et mon porte-monnaie, mes chaussures, ma parka. Je laisse mon peigne, mon permis de circulation, mes clés de voiture et d'appartement, ma carte d'identité: tous ces objets seront mis de côté dans un tiroir portant mon numéro de visiteur; ils me seront rendus à la sortie. 

Les autres visiteurs m'ont rejoint. Ils doivent suivre le même rituel. Je comprends pourquoi il faut arriver en avance. Nous sommes moins d'une dizaine aujourd'hui et le quart d'heure d'avance n'est pas de trop. Après l'ouverture de la porte, nous traversons la cour, dans le froid. Des grillages hérissés de barbelés nous entourent. Nous pénétrons dans le bâtiment, qui fait face au portail et dont l'ouverture de la porte est commandée à distance.

Nous devons nous débarrasser de nos manteaux et parkas. Il y a encore trois portes à franchir avant que nous ne nous retrouvions dans le foyer familial, qui n'est pas très grand, une quarantaine de places assises tout au plus, avec une machine à café et des distributeurs de boissons et de friandises. Les tables de deux à quatre personnes sont attribuées: une carte porte le nom du détenu. Je m'installe à celle de mon détenu, qui est au bord de la fenêtre et qui donne sur un jour gris.

Cela fait bien longtemps que je n'aie revu cet ami, sept ans peut-être. Non seulement tous ses amis (Ce sont amis que vent emporte/ Et il ventait devant ma porte, poétisait Rutebeuf), mais tous ses proches n'ont plus voulu avoir à faire à lui. Ils n'ont pas cherché à savoir le pourquoi du comment. Puisque la justice humaine l'avait condamné, il était forcément coupable. D'ailleurs c'était écrit dans le journal, donc c'était vrai... Il me raconte son histoire d'innocent jugé coupable et je le crois...

Bizarrement le juge, l'avocat, qui lui a été commis d'office, n'ont pas tenu compte du document qui clairement l'innocente. Le visiteur de prison qui m'avait contacté pour m'informer de sa détention m'en avait parlé. Mais il n'était pas entré dans les détails au téléphone. Quand cet ami me dit de quoi il s'agit, je ne peux douter de son innocence et suis inquiet qu'il soit aussi facile d'interner à vie quelqu'un en Suisse...

Un des torts de mon ami est de ne pas avoir reconnu les faits, sinon il aurait déjà purgé sa peine... Un autre de ses torts est d'être Français: c'était un facteur aggravant dans son cas... Il est cependant vraisemblable qu'il ne restera pas en prison. Des procédures sont engagées pour le faire libérer et, en attendant, maintenant que je connais le chemin, il peut compter sur mes visites et mes prières pour le soutenir et lui montrer que tout le monde ne l'a pas abandonné.

Francis Richard


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