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L'autre Vaisseau fantôme: le Maudit des mers de Pierre-Louis Dietsch

Publié le 12 décembre 2016 par Luc-Henri Roger @munichandco

L'autre Vaisseau fantôme: le Maudit des mers de Pierre-Louis Dietsch

En 2013, le Palazzetto Bru Zane et les Musiciens du Louvre Grenoble de Marc Minkowski ressuscitaient Le Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers, l'opéra dont Pierre-Louis Dietsch avait reçu commande et qu'il composa à partir du scénario de Richard Wagner (et dont dont ce dernier avait cédé les droits à l'Opéra de Paris en 1840 pour la somme de 500 francs). C'est sur base de ce scénario que Paul Foucher et Henri Revoil en composèrent le livret qui s'éloigne cependant du scénario wagnérien car ses auteurs s'inspirèrent également du Pirate de Walter Scott et du P hantom Ship de Frederick Marryat ainsi que des écrits de Fenimore Cooper. Le Vaisseau fantôme de Dietsch, fut crée à Paris le 9 novembre 1842 ; deux mois plus tard, Der Fliegende Holländer de Wagner fut créé à Dresde le 2 janvier 1843. A noter que le thème du Vaisseau fantôme était connu du public français puisque en 1837 le Théâtre du Cirque Olympique montait Le Maudit des mers, drame en cinq actes par MM. Chabot et de Bouin. ( Voir sur Gallica la critique du Monde dramatique de 1837), un spectacle que Dietsch a pu voir ou dont il se peut qu'il ait entendu parler.

Le Vaisseau fantôme de Dietsch ne rencontra que peu de succès en 1842 à Paris, puisqu'il ne connut que onze représentations. la dernière représentation eut lieu fin janvier 1843. Un rapport de l'Académie Royale de Musique analysait alors les raisons de cet échec : " [.. ]la commission regrette d'avoir à déclarer que la représentation du Vaisseau Fantôme a trompé son attente : elle n'a trouvé ni dans les décors, ni dans les costumes et autres accessoires ce caractère de grandeur et de magnificence par lequel doit se signaler notre première scène lyrique et dont le sujet ne pouvait se passer. Le genre fantastique impose des conditions qu'on ne saurait se dispenser de remplir ". (Arch. Nat., F 21. 1069)

La réception du Vaisseau fantôme de Pierre-Louis Dietsch

Nous reprenons à Etienne Jardin, du Palazzetto Bru Zane les commentaires de la presse musicale parisienne au moment de la première de 1842:

"La musique de M. Dietsch est marquée au coin de l'étude et du savoir ; elle a un parfum de distinction, de bon goût, d'élégance, et ne manque pas de teintes vigoureusement touchées. Les cantilènes mélancoliques et vaporeuses s'y mêlent à des chœurs pleins d'énergie." ( Revue et Gazette musicale, 13 novembre 1842.)

"M. Dietsch [...] s'est acquitté de sa tâche avec talent et n'a pas failli à sa spécialité musicale. Son instrumentation a de l'ampleur, et ses mélodies ont une certaine teinte religieuse parfaitement appropriée aux situations sévères du poème." (Le Ménestrel, 13 novembre 1842.)

Georges Servières analysa au début du 20e siècle les deux Vaisseaux fantômes dans un article publié d'abord dans la revue Le guide musical, repris par diverses journaux et revues, dont le Gil Blas du 17 mai 1897, et enfin en 1914, par son auteur dans ses Episodes d'histoire musicale. Le avait déjà l'article de Servières. Nous reproduisons ci-dessous l'article qu'y consacre La Revue musicale de Lyon du 4 avril 1909, dont Léon Vallas, était le directeur-rédacteur en chef, avait également intégralement repris l'analyse de Servières:

"On sait que Wagner, pendant son premier séjour à Paris, proposa au directeur de l'Opéra de composer pour l'Académie de musique une partition sur le livret du Vaisseau-Fantôme. Le directeur de l'Opéra n'eut pas confiance en le talent de Wagner et proposa simplement au musicien de lui acheter son scénario pour le donner à un autre compositeur. Wagner, ayant besoin d'argent, le vendit pour cinq cents francs. Quelque temps après, le livret arrangé en opéra en deux actes par Paul Foucher et Bénédict-Henri Révoil, mis en musique par Dietsch, fut représenté sans succès à l'Opéra sous le titre le Vaisseau-Fantôme.

1l y a une douzaine d'années, M. Georges Servières eut la curiosité de comparer l'ouvrage français et l'ouvrage allemand, et il publia dans le Guide musical, auquel nous les empruntons, les observations suivantes :

"Le Vaisseau-Fantome de Dietsch, ou le Maudit des Mers, est en deux actes et trois tableaux. Les librettistes se sont servis sans doute du scénario de Wagner, mais ils y ont amalgamé des éléments empruntés à d'autres interprétations de la légende, notamment à celle d'un roman anglais du capitaine Marryatt. On dirait même qu'ils se sont attachés à éviter les similitudes trop flagrantes avec le poème de Wagner. On en jugera par une brève analyse.

D'abord, les noms de tous les personnages sont différents : Senta s'appelle Minna, elle est la fille de Barlow, négociant du Shetland, l'une des îles Orcades, où se passe l'action. Erik, le chasseur, devient un matelot des équipages de Barlow. L'amoureux de Minna se nomme Magnus. Enfin, le Hollandais errant répond au nom de Troïl le maudit, Norvégien d'origine.

Le premier tableau, comme le deuxième acte de Wagner, se passe dans la demeure de Barlow. Des femmes veillent auprès de Minna, mais il n'y a pas de choeur des fileuses. Erik lui demande de chanter la légende du Vaisseau-Fantôme, qu'elle murmure souvent. D'après cette légende :

Du sang des rois, prince de la Norvège,

Troïl, aux flots, pirate sacrilège,

I1 s'agit pour lui de franchir un cap terrible, gardé par Dieu même. Toujours la tempête l'en écarte. Pour que le ciel se lasse, il faut qu'il rencontre une femme constante jusqu'à la mort, mais, jusqu'ici, nulle ne lui a été fidèle. Il lui est permis, pour la chercher, de descendre à terre une fois tous les sept ans. La quatrième strophe est dite par Magnus, qui reparaît après une longue absence :

Contre Troïl et son oeuvre infernale '.

Son pilote se révolta.

Frappé lui-même en leur lutte fatale,

Troïl dans les flots le jeta.

Et sur sa main la plaie accusatrice

Sans se fermer, reste à jamais.

Au bras sanglant jamais de cicatrice,

Au coeur coupable plus de paix.

Le pilote victime de Troïl, c'était le père de Magnus. Celui-ci exprimé son amour à Minna. Elle consent à l'épouser si Barlow le permet. Tandis que, restée seule, la jeune fille songe, pendant l'orage, au sort du maudit et invoque Dieu en sa faveur, un changement à vue fait apparaître le vaisseau-fantôme battu par la tempête. Erik annonce à Minna le retour de son père ruiné, mais sauvé par un navire inconnu;Barlow vient rassurer sa fille et lui apprend que, lié par la reconnaissance, il a promis sa main à son sauveur. L'équipage suédois est descendu à terre, il fraternise avec les matelots de Shetland. Erik offre à ses nouveaux amis, comme breuvage, du rhum mélangé de poudre. Etrange mixture romantique! Il chante une barcarolle. Echange de politesses; le pilote Scriftus répond par une ronde. Les Suédois vont forcer leurs hôtes à danser, quand le capitaine Troïl les renvoie à leur navire. Troïl, dans une cavatine, demande à Minna d'être l'ange du rivage, la madone du port. Minna consent à s'unir à Troïl. Désespoir de Magnus. Choeur final d'allégresse.

Au deuxième acte, on voit au fond de la scène un immense rocher du haut duquel Minna se précipitera dans la mer. A droite, la chapelle de Sainte-Olla, en laquelle va être célébré son mariage avec le capitaine étranger, qui s'est fait connaître sous le nom de Waldemar. Prévenu contre le fiancé par Erik, Barlow n'a cure de ses avis : Vive l'enfer! s'écrie-t-il, s'il m'apporte l'opulence et le bonheur! Scène d'explications entre Minna et Magnus. Celui-ci, révêtu de l'habit religieux, révèle que, sacrifiant son amour, il est entré au couvent, vouant son âme au culte des autels. A cette scène en succède une autre avec Troïl où celui-ci vient dire adieu à Minna. Il lui dévoile son véritable nom: il est Troïl le maudit. Osera-t-eîle le suivre sur son vaisseau?-- Je m'attache à toi, pour te sauver! répond-elle. Dans la scène du mariage, le prêtre (Magnus) leur demande d'échanger leurs anneaux. Troïl hésite à découvrir sa main sanglante. Magnus lui arrache son gant, et, reconnaissant en lui l'assassin de son père, s'écrie : Anathème à Troïl l'homicide, à Troïl le damné! Ne souille plus notre île de tes pas ! Fuis, ta patrie est la tempête !

On isole Minna de Troïl, on le repousse. Celui-ci, voué à la damnation, invoque les puissances infernales. Minna s'écrie qu'elle le sauvera malgré lui, gravit le rocher, se précipite, dans la mer; le vaisseau-fantôme s'engloutit avec un bruit terrible. Apothéose.

On voit que les inventions de mélodrame par lesquelles les librettistes ont compliqué la simplicité de la légende empruntée par Wagner à un conte de Henri Heine ne sont pas heureuses. La versification est ridicule.

Quant au compositeur, Dietsch, maître de chapelle à Saint-Eustache, étant connu surtout comme auteur de musique religieuse, son oeuvre fut naturellement jugée ennuyeuse, dépourvue de mélodie,

" d'une science qui effraye ", disait le correspondant d'un journal de province. C'est " une steppe dont les horizons ne changent jamais ". Sa partition ne méritait pas de telles appréciations, qu'on réserve habituellement aux novateurs de génie : elle est simplement d'une honnête banalité. On y apprécia cependant l'air à vocalises en rythme de polonaise, chanté par Mme Dorus-Gras à la fin du premier acte, plusieurs ensembles, notamment le double choeur des Suédois et des Shetlandais, et un choeur de moines au second acte. Berlioz cite encore avec éloges la cavatine résignée de Magnus devenu moine.

L'interprétation, confiée à un baryton belge, Canaple, qui faisait ses débuts à l'Opéra dans le rôle de Troïl, à Marié (Magnus), F. Prévost (Bai'low), Octave (Erik), Saint-Denis (Scriftus), fut terne. Mmc Dorus-Gras (Minna)., seule, fut applaudie. Enfin, la mesquinerie des décors de la scène finale et de l'apothéose contribua à la chute de l'ouvrage, qui, joué en lever de rideau avant les ballets, n'eut que onze représentations. Wagner était vengé."

Hector Berlioz évoque brièvement l'opéra de Dietsch dans ses mémoires: "[...]bien que M. Dietsch, directeur des chœurs, y ait fait jouer son Vaisseau fantôme (dont le poëme, composé par Richard Wagner, avait été acheté cinq cents francs à ce dernier, et donné à ce même Dietsch, qui inspirait à M. le directeur beaucoup plus de confiance que Wagner, pour le mettre en musique !) [...]. Le point d'exclamation final en dit long sur l'appréciation de Berlioz.

En 1938, alors qu'on rejoue en France le Vaisseau fantôme de Wagner, l'hebdomadaire Ric et Rac revient sur le Vaisseau fantôme de Dietsch, dans la section du journal intitulée Hier et aujourd'hui signée Francheville. L'article reprend les circonstances du rachat du scénario initial de Wah´gner par Léon Pillet:

"Les deux Vaisseaux fantômes

Quatre-vingt-quinze ans après la création et l'échec complet de l'oeuvre au théâtre de Dresde, le 2 janvier 1843, notre Opéra vient de représenter pour la première fois Le Vaisseau fantôme de Wagner, tout d'abord intitulé Le Hollandais volant, et dont le sujet est tiré d'une vieille légende racontée par Henri Heine. Composé à Meudon, joué à Riga en 1843, à Berlin en 1844, à Bruxelles en 1872, entré en France par le Grand-Théâtre de Lille le 28 janvier 1893, enfin monté le 17 mai 1897 à l'Opéra-Comique, qui le reprit 1904 et 1911, ce drame wagnérien eut des débuts assez malheureux... En outre, ce n'est que le second Vaisseau fantôme qui navigue;sur la scène de l'Opéra.

Voici la curieuse histoire du premier, qui y fut créé le 9 novembre 1842 et ne tarda pas à faire naufrage. La musique était de Louis Dietsch, maître de chapelle renommé,et le livret de Paul Foucher, d'après le scénario primitif que Wagner avait élaboré sur les flots déchaînés de la mer Baltique, en revenant de Riga où il était chef d'orchestre.

Bibliographie

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