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A Rangoun, Midi Z entre le doigt du censeur et l’enthousiasme de la foule

Publié le 08 novembre 2016 par Stenograf

A la fin de la projection de The Road to Mandalay, de Midi Z, une ombre est venue masquer l’écran, et l’image a disparu quelques secondes, le temps que le générique commence. C’est comme ça que travaille la censure birmane. Un homme est posté dans la cabine de projection, quand un plan litigieux s’annonce, il place son doigt devant l’objectif du projecteur.

Ce lundi 7 novembre, c’était la première fois qu’un film de Midi Z était projeté au Myanmar (ex-Birmanie). En 1998, à 16 ans, le réalisateur a quitté son pays (il est né dans la communauté sinophone de Lashio, au nord du Myanmar) pour Taïwan. Ses films (quatre longs-métrages de fiction, deux documentaires) sont sélectionnés dans les festivals internationaux (The Road to Mandalay a été présenté à Venise en septembre) mais aucun n’avait jusqu’ici passé le barrage de la censure birmane, le cinéaste ne les ayant pas présentés. Celui-ci, qui met en scène le destin d’un jeune couple de migrants birmans en Thaïlande, n’a excité l’indignation des policiers du cinéma qu’à une occasion : ce dernier plan qui montre une image du Bouddha (comment et pourquoi, vous m’en voudriez de le dire, bien sûr, The Road to Mandalay sortira en France au printemps 2017).

Midi Z (au centre) avec des admiratrices avant la projection de « The Road to Mandalay », le 7 novembre 2016 à Rangoun

Midi Z (au centre) avec des admiratrices avant la projection de « The Road to Mandalay », le 7 novembre 2016 à Rangoun

Bref, les spectateurs du cinéma Waziya de Rangoun, qui se pressaient par centaines pour découvrir le cinéma de ce jeune homme dont ils avaient entendu parler, ont vu presque tout le film. A la fin de la projection, ils ont assailli Midi Z de questions, lui demandant bien sûr s’il était fâché de cette censure : « Je crois que ce n’est pas grave, a-t-il répondu, vous avez pu voir toute l’histoire, et puis il faut respecter la loi ».

Au Myanmar, depuis les élections de 2015 qui ont abouti à un partage du pouvoir entre les militaires et la formation d’Aung San Suu Kyi, les lois, règlements et usages changent vite. D’où la présence du film de Midi Z à Rangoun, qui s’est glissé, avec la complicité active des organisateurs français, dans la programmation du festival Memory, a priori destiné à explorer l’histoire du cinéma.

Je vous raconterai plus tard les beaux moments patrimoniaux de cette manifestation, de la découverte d’un film d’aventure muet de 1934, tourné en Birmanie – alors colonie britannique – par des Birmans à celle d’un long-métrage français tourné en Corée du Nord en 1958. Pour l’instant, restons au présent.

Avant la projection, Midi Z se rongeait les sangs en se demandant quel accueil on lui ferait. Son birman est rouillé (il n’a cessé de s’en excuser pendant le débat, passant sans prévenir de la langue nationale à l’anglais), et il redoutait l’opprobre que ceux qui sont restés pendant l’épreuve réservent parfois aux exilés. Ce sentiment existe sans doute, il ne s’est pas manifesté dans les travées du vieux cinéma bâti en 1920, devant l’écran duquel voletait une chauve-souris.

La projection à Rangoun de The Road to Mandalay était une première fois pour Midi Z, mais aussi pour le cinéma d’auteur birman. D’abord parce que des décennies de régime militaire ont étouffé la création, ensuite parce qu’il n’y a plus que 45 cinémas pour les 53 millions d’habitants de ce pays plus grand que la France. Les quelques écrans sont monopolisés par les blockbusters hollywoodiens, bollywoodiens ou thaïs, et la quarantaine de longs-métrages commerciaux birmans se partage le reste. A voir non seulement l’enthousiasme, mais aussi l’attention avec laquelle la jeune foule a accueilli cette expérience, elle ne devrait pas rester sans lendemain.


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