L’affiche du film d’Ava DuVernay, « 13th » © NETFLIX
Présenté le 30 septembre en ouverture du Festival de New York, 13th est autant une arme de combat qu’un film. C’est sans doute pour que tous ceux et celles qui le souhaitent puissent en disposer dans leur arsenal que la réalisatrice Ava DuVernay a choisi Netflix. Le film est disponible sur la plateforme dans le monde entier, y compris en France, mais on ne le verra jamais en salles.
Pour avoir une idée du sujet de ce documentaire, il faut se rappeler de la séquence d’ouverture de Creed, de Ryan Coogler. L’enfance et l’adolescence du héros – fils du boxeur Apollo Creed, l’adversaire d’élection de Rocky Balboa – y étaient résumées en une succession de marches au long de couloirs carcéraux, dans d’interminables files quasiment monocolores.
L’incarcération de masse des citoyens afro-américains, entamée sous la présidence de Richard M. Nixon (1968-1974) pour plafonner à partir du milieu de la décennie 2000, s’est stabilisée à un niveau qui fait des Etats-Unis le pays qui compte le plus de détenus par habitants, après les Seychelles. Dans cette population carcérale, les minorités, à commencer par les Afro-américains, sont surreprésentées.
Le film d’Ava DuVernay démonte les mécanismes de cet engrenage et désigne les opérateurs de cette machine avec une précision, une exactitude qui rendent la démonstration irréfutable. 13th tire son titre du 13e amendement à la constitution des Etats-Unis, celui-là même qui abolit en 1865 l’esclavage, la servitude sur le territoire de l’Union « sauf en tant que châtiment pour un crime dont le responsable aura été dûment jugé ». Cette incise n’a pas eu d’influence directe sur le droit américain, mais comme le montrent les images de bagnards cassant des cailloux, ou – aujourd’hui – fabriquant des sous-vêtements pour Victoria’s Secret ou des systèmes de guidage pour l’armée, la sanction carcérale a servi de mécanisme de contrôle sur la population à qui l’abolition de l’esclavage devait apporter la liberté.
Angela Davis dans « 13th », d’Ava DuVernay © NETFLIX
« Guerre contre la drogue »
Ava DuVernay a fait appel à des universitaires (Henry Louis Gates Jr.), des écrivains (Jelani Cobb) ou des militants. Parmi ceux-ci, Angela Davis qui établit le lien entre la campagne menée par le FBI d’Edgar J. Hoover contre les groupes politiques afro-américains et les formes de répression qui prirent la suite de cet affrontement frontal. Les intervenants rappellent comment la « guerre contre la drogue » de Ronald et Nancy Reagan détruisit le tissu social des quartiers afro-américains, en particulier du moment où les sanctions pour trafic et détention de crack furent plus lourdes que celles visant le commerce de la cocaïne. En ce moment préélectoral, Ava DuVernay rappelle l’immense responsabilité de Bill Clinton dans l’explosion du nombre de détenus.
Le film présente des documents d’archives, des photographies de lynchages prises par les bourreaux aux fichiers récupérés sur les téléphones des témoins ou les caméras que portaient les policiers, lors des morts d’Eric Garner, de Philando Castile ou de Michael Brown, à l’origine des manifestations de Ferguson (Missouri). Le lien entre le risque encouru dans leur vie quotidienne par les « black males » (on entend le meurtrier de Trayvon Martin, George Zimmerman, décrire ainsi à la police l’adolescent qu’il s’apprête à abattre), la menace permanente de la prison (en l’état actuel des choses, un homme afro-américain naît avec une chance sur trois de se retrouver derrière les barreaux) et – enfin – le déclassement qu’entraîne la sanction pénale (privation du droit de vote, accès difficile à l’emploi, au crédit, voire à l’éducation) forme une chaîne qui semble d’une solidité à toute épreuve.
Arrangeant les interventions comme un canon dans lequel un ancien détenu termine la phrase d’un professeur, 13th est un film essentiellement discursif, qui ne s’arrête pas sur les cas individuels, à l’exception du témoignage de Kalief Browder, arrêté pour un vol qu’il se défendait d’avoir commis. Refusant de plaider coupable (la majorité des condamnés américains n’a jamais vu un juge), il a été détenu trois ans, dans des conditions d’une extrême brutalité, et s’est donné la mort peu de temps après sa libération.