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Les derniers nomades

Publié le 11 août 2011 par Hilarion

Les derniers nomades
« Dans dix ans il n’y aura plus de nomades ici. Bientôt nous allons partir pour le Kazakhstan ». C’était il y a un peu plus d’un an, dans une steppe sableuse sur la route des paysages édéniques du Lac Kanas au Nord-ouest du Xinjiang. Je passai quelques heures avec une famille de nomades Kazakh qui venait de planter leur yourte, halte d’une journée sur le chemin des alpages. La mine sombre ils me racontaient leurs difficultés. Dans un coin de la tente un bébé s’agitait dans son berceau en rotin. Dehors le jeune ainé tentait de faire rouler un caddie planté dans le sable.
Récemment, un article du China Daily (quotidien et porte-voix anglophone du gouvernement) annonçant la suspension pour 5 ans de l’élevage pastoral dans cette région, les rappelait à mon souvenir. La protection de l’écosystème de ces steppes et alpages menacés par la désertification est la raison invoquée pour cette mesure radicale. Ces nomades sont les boucs émissaires d’une dégradation de l’environnement dont ils partagent pourtant la responsabilité avec une déforestation anarchique, une sur utilisation des ressources aquifères, l’exploitation minière et les catastrophes climatiques. La protection de l’environnement n’est pas la seule motivation du gel de ces pâturages. Cette région est hautement touristique et les développeurs ne veulent pas voir ces nomades qui possèdent des droits d’usage, les gêner dans leurs projets.

Cette famille n’a plus le choix : le Kazakhstan est l’unique alternative à une sédentarisation forcée, qu’elle refuse, à la fois récalcitrante à l’abandon de son mode de vie et non formée aux techniques de fermage sédentaire. Le gouvernement chinois ne fait rien pour les retenir. Le nomadisme est depuis toujours considéré comme barbare et désormais incompatible avec le développement voulu par les autorités. De plus, loin d’une cohabitation harmonieuse entre les différentes ethnies qui peuplent ce far-west chinois1, ce sont méfiances et ressentiments qui dominent, quand ce n’est pas la violence qui éclate. Alors, le départ de ces kazakhs sert la sinisation de la région que souhaite Pékin. Ils seraient ainsi plusieurs milliers à émigrer chaque année au Kazakhstan.

Mais dans cet ailleurs l’herbe est-elle vraiment plus verte ? Ces kazakhs chinois sont accueillis à bras ouvert par le gouvernement de Nazarbaev qui a lancé un appel au retour à la mère patrie, dans les années 90. La politique de l’Oralman, vise à repeupler un Kazakhstan affaibli par l’exode russe. Les nouveaux émigrants reçoivent des terres, un logement en sus de la citoyenneté kazakh. L’écho lointain de cousins, voisins ayant déjà franchit le Rubicon est une incitation supplémentaire au départ..
Passé la frontière, une réalité bien différente attend ces nomades. Routes, écoles, hôpitaux que l’on trouvait coté chinois sont au mieux rudimentaires, le plus souvent inexistants. La communication est difficile : le kazakh s’écrit en cyrillique et non plus, comme en Chine, suivant un script arabo-persan. La citoyenneté, les aides promises et surtout les terres ne se matérialisent que pour une minorité. Et si le gouvernement encourage cette émigration, les natifs n’apprécient guère ces nouveaux venus et ne font rien pour aider à leur intégration.
Qu’importe, mes interlocuteurs veulent y croire. Contrairement aux autres nomades de Chine, tibétains, kirghizes ou mongols, ils pensent tenir une alternative à la politique de Pékin.
A plusieurs centaines de mètres du campement, un groupe d’ouvriers migrants du Sichuan installait le pylône d’une ligne à haute tension destiné à transporter l’électricité d’un barrage voisin. La modernisation du Xinjiang se poursuivait, indifférente à la fin annoncée de ces nomades.

  [1] Les 1.1 millions de Kazakhs chinois  sont la troisième ethnie du Xinjiang en population après les ouighours et les hans.

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Les derniers nomades

Maison abandonnée initialement destinée à une famille de nomades sédentarisés.

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Sur les murs d’un lotissement destiné aux nomades sédentarisés, un dessin représente des yourtes aux abords d’un lac.
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Sur les murs du même lotissement, une représentation de danses traditionnelles kazakhes tombe en morceau.

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De jeunes nomades kazakhs dans la région du lac Kanas

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Une ligne à haute tension est installée dans la steppe.


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