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Euro : plus riche, moins beau

Publié le 09 août 2016 par Santamaria

Si l’on doit considérer un championnat d’Europe comme un joyeux festival des supporters nationaux, celui-ci a été parfaitement réussi. Même les graves incidents initiaux, à Marseille, n’ont pas amoindri l’impression laissée par les troupes islandaise, galloise et irlandaises en particulier – dont le passage aura été gratifié par les beaux parcours de leurs équipes. De ce point de vue encore, le passage à 24 équipes aura été une profitable, même s’il faudrait faire le compte des « petites » équipes qui se seraient aussi qualifiées pour une formule à 16.

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DES PROFITS EN FORTE CROISSANCE

Profitable, cet élargissement l’a été aussi sur le plan financier pour l’UEFA. Après la stagnation entre les éditions 2008 et 2012, les recettes ont connu une forte hausse en 2016 pour atteindre près de deux milliards d’euros (+39%), le bénéfice progressant de 594 millions d’euros à 830 millions (+40%) [1].

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Sur le long terme, on constate la croissance spectaculaire des revenus, multipliés par 13 en vingt ans (depuis England 1996, première phase finale à 16 équipes).

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Tous les postes de recettes ont progressé de 2012 à 2016 : la billetterie mécaniquement, avec 51 matches au lieu de 31, de même que les droits de retransmission pour les mêmes raisons, avec en outre un marché stimulé par le plus grand nombre de nations qualifiées – ce qui aura aussi eu un effet positif sur les contrats de sponsoring.

Cependant, au-delà de la « fête » et du business, une phase finale de Coupe du monde ou d’Euro est l’occasion de faire un point sportif sur l’état du football de sélections, dont on sait qu’il est de plus en plus menacé par l’hégémonie du football de clubs (lire  « Clubs : prendre la place de la nation ») Si le Mondial 2014 avait plutôt marqué un sursaut positif, l’ennui et une piètre qualité auront marqué trop de rencontres tout au long de l’Euro [2].

IL N’Y A PLUS DE GRANDES ÉQUIPES ?

La formule est en partie en cause, avec une phase de poules qui, n’éliminant que 8 équipes sur 24, a contribué à diluer les enjeux de chaque rencontre et a incité à privilégier le calcul (lire « Euro à 24 : trop nombreux pour être heureux »). Les efforts tactiques des équipes modestes ont conduit à une sorte de nivellement, les meilleures formations ne parvenant pas à traduire leur supériorité. Alors qu’au Brésil elles présentaient peu d’écarts de niveau entre elles, en France elles ont peiné à surclasser les seconds couteaux… La diminution des temps de préparation pour les sélectionneurs, accrue depuis de nombreuses saisons, pénalise sans aucun doute leurs projets de jeu plus ambitieux.

Seul Antonio Conte, mais avec un effectif modeste pour une Squadra azzurra, a échappé au bricolage et construit une idée de jeu réussie. Ainsi, les sélections à l’expression la plus accomplie (Allemagne, Espagne) ont plafonné, les plus audacieuses (Croatie, Hongrie) n’ont pas été récompensées. Au-delà d’un vainqueur qui fait passer la Grèce 2004 pour une équipe passionnante, et d’un finaliste qui a procédé par coups, le tournoi s’est offert aux nations cohérentes et valeureuses, portées par un excellent esprit collectif. Sans adopter une posture destructive ni toutes renoncer à jouer, elles ont excellé dans l’art d’empêcher l’adversaire de jouer.

STARS EN VEILLEUSE ET JOUEURS AU BOUT DU ROULEAU

Autre constat désormais rituel : les stars ont peu brillé. Moins en valeur que dans des clubs d’un niveau exceptionnel qui se mettent à leur service, beaucoup ont encore eu du mal à – littéralement – trouver leur place en sélection. Cristiano a dû disparaître de la finale pour voir le Portugal l’emporter, Zlatan Ibrahimovic n’a pas tiré la Suède de son néant, Iniesta n’a pas enrayé le crépuscule de l’Espagne, Hazard ou Modric n’ont pas suffi à éviter la sortie de leurs équipes… Gareth Bale seul aura brillamment su élever le niveau de son onze en se mettant à son service. Griezmann, lui, a profité du mois pour changer de statut, mais les top players semblent de moins en moins compatibles avec leurs sélections [3].

Même si le meilleur buteur et joueur de la compétition fait contre-exemple avec ses 70 matches [4], le placement des tournois finaux en fin de saison constitue un autre facteur négatif pour la qualité du jeu. L’enjeu sportif reste puissant pour les internationaux, mais leur usure physique et mentale est inévitable [5]. Les plus sollicités étant concentrés dans des sélections majeures, c’est un autre facteur de nivellement, pas nouveau, mais qui va en s’accentuant. Pour les stars, les bénéfices d’image sont plus substantiels au sein de leurs clubs, et l’on peut soupçonner un déficit de motivation, qui peut être inconscient. Et l’on verra peut-être, à moyen terme, des joueurs négocier ou imposer leurs dispenses de sélection, comme en basket.

SANS CONTRE-POUVOIRS, UNE FUITE EN AVANT

Dans l’euphorie de résultats financiers qui vont encore augmenter sa prospérité, il y a peu de chances que l’UEFA s’interroge sur la qualité du spectacle et sur la qualité du jeu, quitte à ne pas comprendre que celles-ci sont déterminantes, fût-ce à terme, pour la valeur économique de son produit. Alors qu’elle envisage de réformer la Ligue des champions pour la conformer encore plus aux intérêts des clubs, voire d’en délocaliser certaines rencontres sur d’autres continents, la confédération européenne comme la FIFA sont incapables de concevoir un intérêt supérieur du football, d’opposer – bien que ce soit leur vocation institutionnelle – un contre-pouvoir à des pouvoirs économiques… dont elles ont épousé la logique en devenant elles-mêmes des superpuissances économiques.

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Faute d’engager ce qui devrait ressembler à un véritable programme de protection des sélections, l’Euro 2020 présentera un bilan sportif analogue ou aggravé. Organisé dans treize villes hôtes et autant de pays différents, il va même accentuer la fuite en avant vers le gigantisme. Il n’est pas sûr que la « fête » célébrée en France, ainsi dispersée de Dublin à Bakou et de Bibao à Copenhague, soit aussi fervente. Mais l’UEFA compte bien voir ses recettes de billetterie grimper grâce à une capacité moyenne des stades portée à près de 62.000, contre 48.600 en France (ce qui constituait déjà le record de la compétition). Et c’est tout ce qui compte pour elle.


[1] L’UEFA a communiqué sur une hausse de 34%, mais d’après ses propres chiffres (notamment ceux de son rapport financier 2011/2012), on parvient bien à 39%.
[2] La moyenne de buts par match n’est pas un indicateur suffisant en soi, mais elle est descendue à 2,1, alors qu’elle n’était plus passée sous la barre des 2,5 depuis l’Euro 1996 (voir le graphique).
[2] À l’image de Lionel Messi, annonçant sa retraite internationale après une Copa America frustrante.
[3] Encore aura-t-il fallu le « régénérer » et patienter, en début de compétition, pour qu’il retrouve une bonne forme physique. Mais on devrait s’alarmer plutôt que s’ébaudir que des joueurs supportent une telle charge.
[4] Il existe un indicateur de la « fatigue » des équipes : lire cet article de Pierre Rondeau.


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