« C’est pas l’ours qui est méchant, c’est les moutons qui sont cons ! » Les Chevaliers du Fiel.
Bernard Laporte en campagne électorale à Bénéjacq (64), 1883 habitants.
Le peuple a parlé. Le rugby amateur a élu, à jeun, Bernard Laporte président de la Fédération française de rugby sur la foi d’un tour de France des cantons et chemins vicinaux en brandissant la fourche d’une jacquerie antisystème. Rappelons que Pierre Camou, le président sortant, a commis l’irréparable. Banquier et soixante-huitard (ce qui dans la France actuelle suffirait à être pendu deux fois), il a eu l’outrecuidance, déjà, dans ses jeunes années de fonder un club à Garazi au Pays basque, pour gonfler le chiffre d’affaire du bistrot où travaillait sa maman. C’est ce qu’on m’a dit. En tout cas, c’est louche, donc scandaleux. Qu’on ne s’étonne pas dès lors qu’une fois président de la FFR, il ait voulu faire construire un stade pour son équipe de France au lieu de payer un loyer (comme tout le monde) au consortium du Stade de France. Voilà bien la marque d’un homme qui se poussait du col, se prenait pour un Lord à Twickenham.
Que connaît au rugby des campagnes cette élite hautaine, parisienne, qui s’arroge des pouvoirs exorbitants aux dépends des « petits », des sans-grades, des méprisés du professionnalisme d’État ? Bref, de ceux qui se gobergent aux banquets, d’Edinbourg à Auckland, en devisant sur la recette dans les vapeurs de whisky hors d’âge, tandis qu’au bar des sports de « La Gonfle-Sur-Pif », on compte ses pièces jaunes pour acheter des maillots aux enfants de chômeurs qui pleurent de ne pas pouvoir jouer au rugby parce que les licences sont trop chères. Obligés qu’ils sont ces biens malheureux petits clubs d’organiser des tontines, de tenir des buvettes et d’oublier leur triste impuissance face au cynisme du pouvoir dans la piquette de la coopérative. Eh bien ! Tout cela est fini, ça va changer.
La vérité ? Je vais vous la dire : Bernard Laporte a gagné son élection parce qu’il a toujours été un ardent défenseur de l’amateurisme. Et personne ne pourra lui reprocher le sien. Même parvenu au sommet de l’État, alors sous-secrétaire aux sports de Nicolas Sarkozy, Bernard Laporte a fait étalage de son bon sens, et sans fanfaronnades. « Redonner du sens aux mots quand on parle de haut niveau, en se concentrant sur les meilleurs » est une des citations que Wikipédia propose au monde du sport post-moderne. Comme la sélection par le haut est la poutre maîtresse des clubs amateurs, il voulu également transformer les clubs associatifs en sociétés anonymes, ça va de soi. Bernard Laporte étant un self made man, il sait qu’il faut que les acteurs du sport s’assument et en finir avec le pantouflage de ces cadres administratifs qui se réfugient dans les fédérations sportives au prétexte de savoir décoder le jargon des politicards pour échapper à un funeste destin, celui de devoir patienter dans un bureau constellé de toiles d’araignées à la lumière d’un néon pâle jusqu’à l’âge d’une retraite incertaine sans jamais passer à la télévision. Lui même n’a pas besoin du rugby pour vivre, avec ses multiples affaires privées, import-export, casinos, camping, bars, restaurants, actions, sponsoring, émissions de variété etc. Il vit pour le rugby. D’ailleurs, vous verrez, il refusera d’être payé et reversera son salaire de président de la FFR aux clubs amateurs les plus nécessiteux et donnera pourvoi aux secrétaires de clubs de quatrième série pour gouverner à main levée, à raison d’une assemblée plénière après chaque match du Tournoi dans l’arrière-salle d’un bar-loto de Saint-Denis (il connaît le patron), en toute simplicité, loin des caméras.
C’est sur ses convictions qu’il fut avant cela nommé par Bernard Lapasset, ancien cadre des douanes, sélectionneur de l’équipe de France amateur dans les années 2000. Lapasset voit juste. Lui-même avait été appelé à la FFR par l’ancien président, Albert Ferrasse, un amateur, lui-aussi, au terme d’une élection qui aurait du voir le Toulousain Jean Fabre, (un prof !) prendre le pouvoir s’il n’avait accepté de transiger avec le rusé agenais. Mais voilà, Jean Fabre avait entrepris de professionnaliser le Stade toulousain sans rien demander à personne. Quelle honte ! Il fut répudié.
Bernard Lapasset, tarbais d’origine, tristement déporté à Bercy, nourrissait lui aussi de grands desseins pour l’amateurisme puisque c’est lui qui acta la mort de l’amateurisme marron (un ancien courant de l’amateurisme prévoyant que 80 clubs jouent le championnat de France) avant, en se pinçant le nez, de rejoindre à l’étranger « la gouvernance mondiale de l’ovale mondialisé » (j’ai piqué ça sur Internet) pour la saboter de l’intérieur puis d’aller rénover l’image de l’Olympisme dégradée par le dopage et les malversations généralisés. C’est pour cela que cet homme de l’ombre, dénué d’ambition personnelle, maintint huit années durant Bernard Laporte à la tête de l’équipe de France, laquelle ne disputa aucune finale de Coupe du monde en deux éditions. Il pouvait lui faire confiance. Non seulement ce n’était pas grave, mais c’était souhaitable. Puisqu’à cette époque, on jouait pour le plaisir de vivre des super moments de convivialité tous ensemble. Mais surtout, c’était le temps qu’il fallait pour réaliser le fossé qui s’était creusé entre le professionnalisme anglo-saxon cupide et notre vaillant XV de France, sous son mandat, gouverné sous l’âpre climat de l’austérité budgétaire, du rejet total de l’argent, des miroirs aux alouettes, je te plumerai, etc.. Bon, peut-être pas autant qu’en Argentine, mais disons, ce fut une belle période d’amateurisme approximatif.
Sportivement, et c’est indubitable, Bernard Laporte est aussi un prompt défenseur du rugby amateur. Tout d’abord, la mêlée et la touche sont les deux mamelles de la victoire. S’imposer autrement que physiquement, c’est être faible. Refuser le combat quand on attaque, c’est professionnel. Jouer sans ballon, c’est pour les danseuses, défendre c’est tenir, grignoter à l’apéro, c’est tricher. Pour ces raisons, précisément, il fut recruté à Toulon par un amateur de bande dessinée pour faire se bidonner la rade. Il recruta des joueurs amateurs, des repentis qui avaient renoncés à la corruption qui sévissait dans l’Hémisphère Sud et dans les Îles Britanniques où l’on jouait désormais non plus au rugby mais à la passe à quinze. Ceci pour dire que ce jeu-là n’était pas le nôtre. Et tous les licenciés des petits clubs amateurs du Var ont pu assister gratuitement aux matchs de vieux joueurs étrangers vantant les mérites de notre bonne vieille sécurité sociale et qui furent saisis par l’exotisme de notre jeu rugueux, du Pilou-Pilou, la vue sur la mer et les sardinades.
Aussi, je vois venir les fâcheux, les aigris de la défaite. La démocratie a parlé et dans les club-houses, dès ce soir, de la Savoie à la Bretagne, du Nord à l’Ariège le plus profond (Eh ! Non, pas l’Ariège… l’Hérault, pardon), on va fêter la victoire des sans-dents. Le pouvoir a changé de main. On va pouvoir remettre la main sur les billets du Stade de France, et imposer le rugby que l’on aime. Celui des accolades, de la chaleur humaine, des gueulantes dans les vestiaires, des copains, de la saucisse et du bon vin, de la famille, du lait de la nourrice, et des valeurs du rugby quoi ! Ce rugby que la planète nous enviait avant que des fonctionnaires parisiens ne forment cette Ligue professionnelle, ce lobby répugnant au nom du fric, des droit à l’image, des droits télévisuels, des calendriers surchargés, du sport-spectacle vendu à la publicité, des avocats et des juristes pisse-froid, sans parler des agents de joueurs. Maintenant ils vont moins rigoler, les clubs professionnels, ils sont minoritaires ! N’auront qu’à se démerder entre eux, parce qu’avec Bernard, c’est l’esprit du village qui a gagné. À nous Pigalle !
Olivier Villepreux