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Apple : une pomme de discorde

Publié le 01 mars 2016 par Alainhdv

Les géants de la Silicon Valley soutiennent Apple qui refuse de craquer son bébé chéri, l'IPhone. Ont-ils raison ou tort ? Pourtant, il ne semble pas disproportionné qu'un juge demande à la firme à la pomme de fournir " une assistance technique raisonnable " au FBI dans une enquête criminelle qui a fait 14 morts et 26 blessés. On se souvient, c'était le 2 décembre 2015 : un couple pénètre dans un foyer social de San Bernardino, en Californie, et ouvre le feu au fusil d'assaut alors que des dizaines de personnes sont réunies pour un repas pré-Noël.

Apple : une pomme de discorde
Sur le plan technique la question est simple - c'est la réponse qui est complexe. Il s'agit de découvrir le mot de passe du téléphone de l'un des terroristes, Syed Farook, citoyen américain abattu par la police quelques heures après le drame. Or, l'IPhone est programmé pour " s'autodétruire " après dix tentatives infructueuses. Et même si l'utilisateur n'a pas actionné cette sécurité, les délais entre chaque essai s'allongent rapidement, au point de rendre inutilisable un logiciel de décryptage.

Malgré tout, les techniciens du FBI décident de tenter le coup. Et ils se plantent. En désespoir de cause, ils demandent alors à Apple de modifier le système de son IPhone en y plaçant une sorte de porte dérobée. Une porte qui permettrait d'ouvrir tous les IPhones, répond la société.

Il s'agit d'un dialogue de sourd, car il est évident que si le FBI avait confié le téléphone de feu le terroriste à son constructeur en lui demandant de l'explorer, celui-ci se serait probablement exécuté. Du moins si l'opération est techniquement possible. Mais le FBI, comme la CIA qui est venu à la rescousse de son cousin, a vu là l'occasion de désigner du doigt Apple : ce mauvais américain qui ne veut pas collaborer à la lutte contre le terrorisme. L'objectif final, on l'a bien compris, est de fournir aux autorités l'accès aux données privées des utilisateurs d'IPhone. De tous les utilisateurs. Une requête formulée bien avant l'attentat de San Bernardino.

Quant à Apple, en refusant de s'exécuter, il s'érige en chevalier blanc, digne défenseur des libertés et de la vie privée, avec à la clé (celle-ci n'est pas codée) un magnifique coup de pub.

Mais en dehors de ce jeu chafouin se pose une véritable question de fond : jusqu'où doit-on se mettre à nu pour lutter contre le terrorisme ?

Chez nous, on est bétonnés. Les Français font désormais partie des populations les plus surveillées des pays occidentaux. Un texte vient d'ailleurs d'être notifié à Bruxelles : il s'agit de " piéger " les antennes relais des réseaux 3G et 4G (et demain 5G) afin de capter en direct les conversations et les données échangées. Le député Éric Ciotti, lui, a déposé un amendement de loi afin d'ajouter au code pénal un article qui ferait des constructeurs de smartphones des délinquants potentiels s'ils ne prévoient pas la possibilité de décrypter leurs appareils. La sanction serait de deux millions d'euros d'amende et d'une interdiction de vente durant une année sur le territoire français. D'ici qu'on soit obligés d'aller acheter son IPhone en Belgique...

Alors que notre député pavoisait à l'Assemblée nationale, un juge américain décidait, dans une affaire qui concerne un simple dealer, que le FBI outrepassait ses prérogatives en demandant à Apple de déverrouiller son IPhone. Selon lui, cette requête est inconstitutionnelle. Or les Américains, eux, ne modifient pas leur constitution pour un oui pour un non. Sauf erreur de ma part, le dernier amendement doit remonter à 1992. Il avait été déposé deux siècles auparavant.

Quel chemin parcouru ces dernières années ! En 2001, par exemple, un juge américain a refusé au FBI de simplement farfouiller dans l'ordinateur d'un suspect, le Français Zacarias Moussaoui. Et pourtant...

Moussaoui a été arrêté le mois précédent les attentats contre les tours du World Trade Center. Il avait attiré l'attention alors qu'il s'était inscrit pour suivre des cours de pilotage sur un simulateur de vol de Boeing 747 - notamment après avoir surpris ses instructeurs en leur déclarant (bien naïvement) qu'il ne s'intéressait ni au décollage de l'appareil ni à l'atterrissage... Un simple contrôle d'identité permet alors aux autorités de s'apercevoir que son visa de séjour est périmé. Il est pris en charge par une agente du FBI, Coleen Rowley, une enquêtrice chevronnée qui n'a besoin d'aucun algorithme pour sentir la patate. Elle transmet une demande d'information à la France. C'est alors que deux choses étonnantes se produisent : - 1/ La DST possède un dossier sur le bonhomme, qui fait d'ailleurs l'objet d'une fiche d'attention (son nom apparaît également dans une procédure menée par le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière). - 2/ Les informations parviennent au FBI en un temps record. Forte de ces renseignements et des témoignages qu'elle a recueillis, Coleen Rowley, mollement soutenue par sa hiérarchie, demande un mandat pour inspecter l'ordinateur de son suspect. Elle ne le sait pas, mais il lui reste dix jours pour agir. La réponse du juge coupe net son élan : c'est non ! Les éléments qu'elle présente ne sont pas suffisamment édifiants pour transgresser le droit à la vie privée d'une personne dont le seul motif de détention est de se trouver en situation irrégulière sur le sol américain.

Pour masquer cette bévue, les autorités américaines ont d'ailleurs tenté de faire passer Zacarias Moussaoui pour fou. En tout cas les juges, eux, l'ont estimé responsable de ses actes.

Le 3 mai 2006, devant un tribunal de Virginie, aux États-Unis, à la veille de ses 38 ans, il a écopé d'une peine de prison à vie pour avoir " activement participé " par son silence au complot qui a abouti aux attentats du 11-Septembre. Ce Français, né à Saint-Jean-de-Luz, dans les Pyrénées-Atlantiques, est le seul détenu condamné à la suite du détournement de quatre avions de ligne qui a abouti au drame que l'on connaît. Un autre suspect, celui qui est considéré comme l'organisateur de ce scénario insensé, bronze rayé au soleil de Guantanamo. Il sera peut-être jugé à son tour, le jour où cette prison militaire deviendra un musée - un musée des horreurs.

Évidemment, les informations contenues dans l'ordinateur de Moussaoui n'auraient pas permis de déjouer les attentats, mais, recoupées avec les renseignements de la CIA et de la DST, cela aurait peut-être sonné comme un signal d'alarme...

Cette histoire montre que nous ne sommes pas prêts de trouver un équilibre entre deux impératifs : lutter contre le terrorisme et sauvegarder les libertés publiques. C'est l'enjeu du différend entre Apple et le FBI. Et, comme les chances de déjouer un attentat sont quasi inexistantes, dans ce " conflit d'intérêts ", il n'y a qu'une seule certitude : on détricote notre société.

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