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Bac: ça passe ou ça casse cette année?

Publié le 12 juin 2012 par Ethiqueemois

Sur des tables d’appoint, des piles de dossiers, partout. Aux murs, le déroulé des épreuves jour par jour. Dans la pièce d’à côté, une secrétaire qui n’en peut plus. Et à son bureau, derrière l’ordinateur, une femme à l’air las : Catherine Grandisson-Copol, proviseur adjoint de la cité scolaire Marie-Curie, une semaine avant le début des épreuves écrites du bac qu’elle a charge d’organiser et dont on saisit vite qu’il n’est pas une épreuve que pour les élèves.

Dans le bureau de la proviseur adjointe de la cité scolaire Marie-Curie. © Elodie Ratsimbazafy

Dans le bureau de la proviseur adjointe de la cité scolaire Marie-Curie. © Elodie Ratsimbazafy

« C’est devenu un casse-tête infernal pour un établissement comme le nôtre, résume-t-elle comme on pose un fardeau. Une organisation très très lourde, et on n’a pas le droit de se tromper. Depuis novembre, avec ma secrétaire, j’ai l’impression de ne faire que cela ». 

D’abord, quelques éléments de contexte, comme dans toute bonne dissertation du bac : Marie-Curie est à la fois centre d’examens, oraux et écrits, lieu de réunion pour les délibérations du jury et de passage des oraux de rattrapage, jusqu’au 10 juillet. Cité scolaire de près de 2000 élèves (avec les classes préparatoires), elle inclut un collège qui doit continuer de fonctionner durant les épreuves. Établissement très réputé et prisé des familles, dont les bâtiments 1937 classés monument historique offrent un nombre de salles correctes limité, Marie-Curie est sur-occupé de l’avis même de son proviseur, Béatrice Potier. Certains lycées voisins, enfin, sont en travaux et ne peuvent donc pas organiser les épreuves en leur sein. Cette année, 390 élèves de terminale passent donc le bac à Marie-Curie (dont 82 élèves extérieurs) et 336 élèves de première (dont 17 extérieurs).

Et comme tout les ans, le bac a commencé tôt, nous raconte la proviseure adjointe. Dès novembre, inscriptions, choix d’options. En mars, épreuves de Travaux personnels encadrés (TPE) avec déjà convocation de jury et commission d’harmonisation. Puis au retour des vacances de Pâques, oraux de latin des terminales.

Catherine Grandisson-Copol, proviseure adjointe de Marie-Curie. © Elodie Ratsimbazafy

Catherine Grandisson-Copol, proviseure adjointe de Marie-Curie. © Elodie Ratsimbazafy

Déjà, à ce moment, tout se complique. Le premier mercredi après-midi prévu pour ces épreuves, il manquait quatre des dix examinateurs convoqués. « 40 élèves sur les bras, se souvient avec horreur Mme Grandisson-Copol. Ils arrivent déjà stressés mais alors là, c’est stress au carré ! Ils voient leurs copains passer et eux, ils attendent… ». De toute urgence, annuler quatre cours de l’établissement pour rapatrier en salle d’examen des professeurs de latin dont certains, ne dispensant pas cours en terminale, n’ont qu’une maîtrise approximative du programme. Tant pis, ils improvisent, y compris le départ tardif, le soir, de l’établissement. Le second mercredi prévu, il manque encore deux profs…

Ensuite viennent les oraux de musique et d’arts plastiques. Les arts apaisent. Sauf quand il faut trouver où caser la musique au milieu d’autres salles de cours que ces performances sonores parfois laborieuses perturbent.

Le tour des oraux d’anglais, la semaine dernière. Impression de déjà-vu : un examinateur fait défaut. «Un enseignant s’était désisté une semaine avant, explique madame le proviseur-adjoint. Pour combler le manque, la  Maison des examens nous a affecté… un de nos profs! Là, ça semble drôle, mais je vous assure que sur le coup, on ne rigole pas ! » Car pour éviter que le prof d’anglais de Marie-Curie mobilisé au pied levé ne tombe sur l’un de ses élèves passés ou présents il faut organiser dans l’heure une permutation complexe de candidats.

Salle polyvalente aménagée pour les oraux d'anglais. © Elodie Ratsimbazafy

Salle polyvalente aménagée pour les oraux d'anglais. © Elodie Ratsimbazafy

Les oraux d’anglais, ce sont aussi les box à installer afin de limiter le nombre de salles bloquées. « On est à flux tendu dans la gestion des classes, les profs doivent sans cesse se balader. Nous sommes dans une cité scolaire où les salles ne sont pas dédiées au collège ou au lycée, c’est donc extrêmement complexe à gérer. On en vient parfois à parier sur l’absence de certains enseignants qui libèrerait des salles disponibles pour d’autres cours ! » Pour les oraux d’anglais, la direction a eu l’idée de créer six box dans une grande salle polyvalente, séparés par des claustras phoniques. Mais le claustra est ruineux. Pour l’instant, il faut se contenter de deux claustras par box, pour les autres côtés, on tend de grandes feuilles de papier derrière deux tables superposées. Prévoir quelques travaux…

Arrive vendredi. Jour où les élèves doivent aller passer les épreuves d’allemand à Asnières. « Parfois c’est Chaville… Il faut passer par Paris, un sacré trajet, il n’y a pas de transports en commun du Nord au Sud d’un département qui est comme un haricot, tout en hauteur. Et ils sont convoqués à 8h30… » Cerise sur le gâteau : vendredi, c’est grève sur la ligne B sur RER! Donc mobilisation générale des parents…

La semaine prochaine ont lieu toutes les épreuves écrites du bac général. Trente-trois salles à réquisitionner. Il faut changer tous les emplois du temps des collégiens pour indiquer où se tiendront provisoirement les cours. Aménager les salles d’examens: répartition des tables, étiquettes, consignes et feuilles de brouillon sur chacune d’elles. « Non, non, on ne met pas de tables dans le couloir », entend-on notre interlocutrice répondre au téléphone. On s’inquiète. Envisage-t-on, comme à l’hôpital avec ses brancards en attente, d’installer des candidats dans les couloirs ? Non, non, tout de même pas! On nous rassure. « Nous avons 20-22 candidats dans des salles de 40 places remplies de tables soit biplaces et soit monoplaces. Si pour le bac on ne veut mettre que des monoplaces, il faut sortir les autres dans le couloir, on n’a pas de lieu pour les stocker, mais cela pose des problèmes de sécurité… » Vaste jeu de tables musicales prévu pour la journée de vendredi.

A l'heure de la récréation matinale. La semaine prochaine, 390 élèves de terminale passeront le bac à Marie-Curie, dont 82 extérieurs. © E.R

A l'heure de la récréation matinale. La semaine prochaine, 390 élèves de terminale passeront le bac à Marie-Curie, dont 82 extérieurs. © E.R

Reste à trouver deux surveillants par salle, donc 66 personnes. Broutille au début. Mais au fur et à mesure que les jours passent, les enseignants-maison sont eux-mêmes mobilisés pour devenir correcteurs. Or dans une cité scolaire, les profs de gym ou d’arts plastiques ne peuvent prêter main forte: ils donnent cours au collège. « On a appelé les collègues du lycée Maurice-Genevoix de Montrouge, qui est en travaux et nous a envoyé beaucoup de  candidats, pour rameuter des troupes ».

Dernière étape, le rendez-vous fixé aux enseignants correcteurs d’autres établissements pour venir chercher leur tas de copies. L’an dernier, il y a eu des défections en anglais, allemand, espagnol. « Là, on se retrouve de nouveau à appeler les lycées voisins pour savoir si des enseignants peuvent corriger, puis la Maison des examens mais elle n’arrive pas à faire face. On doit résoudre nous-mêmes le problème. Ce qu’on finit par faire en sollicitant nos propres profs ! Heureusement que les copies sont anonymes… Comment faire autrement quand chacun doit corriger 60 copies dans la semaine? On ne peut pas attendre deux jours ».

Le Siec, service interacadémique des examens et concours (communément appelé «Maison des examens ») organise le bac dans les trois académies de Paris, Créteil, Versailles. Béatrice Potier, proviseur, qui passe une tête dans le bureau de son adjointe, regrette son «gigantisme », l’énorme nombre d’élèves géré par ce seul organisme. « Le bac est un souci dans toutes les académies mais il n’y a qu’en Ile-de-France qu’on est à ce point sur la corde raide ». Les examinateurs convoqués et absents ont sans doute écrit qu’ils étaient en congé maladie ou maternité mais cela n’a pas été intégré par le Siec, pense-t-elle. « Il y a tellement de gens concernés qu’il est impossible de tenir les fichiers à jour ! »

Béatrice Potier, proviseur de la cité scolaire scéenne. © Elodie Ratsimbazafy

Béatrice Potier, proviseur de la cité scolaire scéenne. © Elodie Ratsimbazafy

A l’en croire, l’organisation du bac est devenue « un peu folle ». « Une véritable galère. Chaque année on se demande avec angoisse si on va y arriver, si cela va passer. Au final, miraculeusement, cela marche grâce à l’énorme bonne volonté des personnels de l’Education nationale. On n’en parle jamais ! Les gens se dévouent vraiment ».

Pour ne pas éternellement tirer sur la même corde, il est largement temps que le bac soit repensé, selon elle. Davantage d’épreuves en cours de formation, moins à la fin, et chacun dans son établissement. Les élèves peuvent tout à fait être examinés et corrigés par d’autres professeurs que les leurs, comme c’est déjà le cas pour l’EPS ou les TPE. « On ne pourra pas faire l’économie d’une simplification ».


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