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Eloge de l'érection, de Barbara Polla et Dimitris Dimitriadis

Publié le 15 décembre 2016 par Francisrichard @francisrichard
Eloge de l'érection, de Barbara Polla et Dimitris Dimitriadis

L'érection est comprise ici comme une manifestation première du désir, de la joie et de la fertilité; comme un événement sacré; comme une conquête et une fierté, y compris d'un pays tout entier.

Ainsi s'expriment Barbara Polla, Paul Ardenne et Maria Efstathiadi, dans le texte introductif de l'ouvrage collectif, où est fait l'Eloge de l'érection, dans tous ses états, un éloge qui, à ma connaissance, est sans précédent en littérature.

Barbara Polla est à l'initiative de cette publication, qui rend hommage à Dimitris Dimitriadis et qui reprend l'ensemble des textes des interventions faites à Athènes, le 22 novembre 2013, lors d'une conférence sur le thème: Je bande comme un pays.

En 1978, Dimitris Dimitriadis avait publié un livre, Je meurs comme un pays, dans lequel les femmes n'avaient plus d'enfants, les hommes ne voulaient plus se battre, le pays faisait son involution et la langue elle-même se mourait.

La conférence était en somme l'inversion du paradigme de la mort que la société impose à l'homme, qu'avait décrite Dimitris Dimitriadis; elle était défense du miracle du phallus capable de fusionner la mort et l'amour, Thanatos et Éros (Vincent Cespedes).

L'organe sexuel masculin passe en effet par deux états: l'érection et la flaccidité (et inversement), c'est-à-dire du désir à la petite mort - de la vie à la mort (Barbara Polla): L'érection est un aboutissement momentané et réussi du désir (Maria Efstathiadi).

Mais l'érection est de loin pas seulement manifestation visible de l'organe masculin: Accessoirement l'Homo erectus est celui qui bande; mais il est d'abord celui qui bande son esprit, sa volonté, voire ses muscles, écrit avec justesse Barbara Polla.

Et les auteurs font son éloge dans tous ses autres états, que sont la politique, l'architecture, la mythologie, la philosophie, la psychologie, l'art, la poésie. Elli Paxinou résume cette ubiquité: L'érection? Une nécessité. La vie n'a pas d'autre choix.

Pour Barbara Polla, associer phallus et joie est essentiel: non seulement les Japonais le fêtent (elle fait allusion, je pense, à la joyeuse fête annuelle de la fertilité qui a lieu chaque printemps à Kawasaki), mais c'est également le cas de nombre de sociétés primitives.

Sur l'île sacrée de Délos, vingtenaire, à proximité du temple de Dionysos, j'ai ainsi pu voir deux phallus sculptés, juchés sur de hauts piliers carrés: Le phallus pour les Grecs anciens était sublime et identifiait la joie et la continuité de vivre. (Maro Michalakakos)

Pour Dimitris Dimitriadis, l'érection est le contraire de la dépression. L'érection est un état intérieur général où l'on se trouve en position debout. Pour Rodolphe S. Imhoof, érection est synonyme d'action, de toute action sauf du renoncement, sauf de la mort.

Rodolphe S. Imhoof fait le lien avec l'art: L'art fait bouger la société, qui se met en question, en érection, et oblige les politiques à réagir. Cette induction d'un mouvement perpétuel s'applique particulièrement à la Grèce d'hier et d'aujourd'hui.

Cet élan vital se retrouve, pour Paul Ardenne, dans l'art architectural de grande hauteur, avec la volonté de durer: Sauf chez les dieux, le sexe en érection est une figure éphémère et transitoire. Les bâtiments ithyphalliques, eux, affichent une érection durable, au physique comme symboliquement.

Ce recueil de textes, qui, de par son titre, pourrait être considéré comme provocateur, donne en fait matière à de nombreuses réflexions sur la culture de mort qui caractérise aujourd'hui notre monde et qui a inspiré au poète Dimitris Dimitriadis son poème épique.

Dans un entretien, avec Maria Efstathiadi, il fait le constat qu'un pays meurt quand il est renfermé dans ses frontières...Ce qui plaît à Vincent Cespedes: J'aime cette analogie qui a été faite avec un pays qui meurt lorsque ses frontières deviennent prison: le symbolisme même du phallus est de transformer les murs de la prison en frontière du passage.

Le fait est que, comme le dit Denys Zacharopoulos, quand on ne peut ni entrer dans le pays ni en sortir, alors c'est une prison, et non pas un pays. Le mur de Berlin empêchait ainsi de sortir, celui récemment érigé entre la Grèce et la Turquie, dans la région de l'Evros, empêche d'entrer...

Au poème Je meurs comme un pays, Barbara Polla répond par un autre tout aussi épique, plein de sève: Je bande comme un pays. Elle y réhabilite en quelque sorte le désir, sans lequel il n'est pas de vie, car l'absence de désir, c'est la mort.

L'ouvrage se termine d'ailleurs par un autre poème de Dimitris Dimitriadis, traduit du grec, où le désir est tragédie, Lycaon, apologie du désir, et où il semble, pendant un temps, vaincu par la mort, mais finit par mettre en mouvement le survivant:

J'avance

Je ne sais pas

cela me mènera

Je ne sais pas

Voilà

ce que je veux

Ne

pas

savoir

Francis Richard

Eloge de l'érection, sous la direction de Barbara Polla, suivi de Lycaon, apologie du désir, de Dimitris Dimitriadis, 160 pages, La Muette


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