Rillington Place est une nouvelle minisérie de 3 épisodes diffusée du 29 novembre au 13 décembre sur les ondes de BBC One en Angleterre. Le titre fait référence à l’adresse où a vécu au début des années 40 jusqu’en 1953 John Reginald Christie (Tim Roth), le tristement célèbre tueur en série qui a au moins sept meurtres de femmes à son actif. Chaque épisode nous offre un point de vue différent : le premier étant celui de son épouse Ethel (Samantha Morton), le second celui de Timothy Evans (Nico Mirallegro), une victime collatérale de Christie, lequel occupe le devant de la scène au troisième épisode. Au cours des dernières années, les séries policières anglaises inspirées de faits vécus se sont révélées terriblement poignantes. Par contre, Rillington Place est probablement la plus dérangeante et hypnotisante de toutes, qu’il s’agisse de sa mise en scène anxiogène et de l’efficacité de ses trois points de vue. Et quand une conclusion vient jusqu’à hanter notre sommeil, on peut dire que c’est mission accomplie du côté de la production.
Trois solitudes (***Divulgâcheurs)
Lorsque le premier épisode s’amorce, Ethel et « Reg » se revoient après plusieurs années de vies séparées. C’est qu’il a passé quelques mois en prison pour des agressions, mais on ne sait de quelle nature puisqu’il reste délibérément vague sur le sujet. Et son n’épouse n’est pas du genre à poser de questions. Elle emménage sans broncher dans l’appartement miteux qu’il leur a déniché et entre l’entretien ménager et un emploi de misère, elle n’a pas vraiment le temps de s’enquérir des va-et-vient de son mari. Par contre, elle le suit un jour et découvre qu’il couche des prostituées. Lorsqu’elle le confronte, il passe à deux doigts de l’étrangler et le couple se sépare… jusqu’à ce qu’Ethel revienne, la queue entre les jambes. Dans le second épisode, on est en 1948-49 quand Timothy et son épouse Beryl (Jodie Comer) aménagent au second étage des Christie. Timothy, tout comme Reg a tendance a embellir la réalité, lui qui ne sait même pas lire. Geraldine est leur nouvelle née, mais il apparaît assez tôt que Beryl n’est pas maternelle et encore enceinte, elle cherche à se faire avorter. Comme par hasard, Reg entend tout et se propose, inventant qu’il a été médecin pendant la guerre. Le lendemain, Tim retrouve son épouse morte et convaincu qu’elle a passé l’arme à gauche durant « l’opération », lui et Reg cachent le corps de peur que la police ne vienne s’en mêler. Seulement, le jeune mari éprouve des remords, avoue tout aux détectives, mais ça se retourne inévitablement contre lui. Dans l’ultime épisode, l’on suit Reg jusqu’en 1953, l’année où il se fera finalement pincer. Entre-temps, il a commis cinq nouveaux meurtres, incluant celui de sa femme…
Qu’il s’agisse de The Widower (2014), The Secret (2016) ou encore de Dark Angel (2016), toutes d’ITV, on s’est toujours placé du point de vue du tueur en série, ce qui nous rendait bien entendu un portrait des plus complets, mais qui laissait certaines interrogations d’un vu de l’extérieur, notamment celui des victimes ou des proches du meurtrier. La grande originalité avec Rillington Place est d’accorder la première place à son épouse. En effet, souvent dans ce genre de séries, on se demande si les conjoints étaient complices ou si au contraire, totalement pris par surprise une fois le chat sorti du sac. La position d’Ethel vivote entre ces deux pôles. Sa gêne naturelle et le contexte de l’époque aidant, elle n’ose remettre en doute la parole de son mari. À plus d’une reprise, elle trouve le lit défait, est réveillée en pleine nuit par son mari qui trime dans le jardin ou qui plante des clous dans le salon. À son retour au bercail, il y a le manteau d’une inconnue près de la porte, une goutte de sang sur le canapé et une valise se trouve sous un fauteuil… qu’elle n’ouvre même pas. Si on reste estomaqué par son inertie, en revanche, cela nous donne une excellente première heure de télévision. On est si près du tueur sans pour autant savoir ce qu’il fait exactement. Seuls des sons, des plans du jardin ou le comportement erratique de son mari laissent entrevoir la monstruosité de ses actes, ce qui est bien plus effectif.
Dans le second épisode, on s’attache et on plaint en même temps Tim pour sa naïveté et sa solitude. Sa femme le mène par le bout du nez et l’arrivée de Reg dans leur vie est comme une bouée de sauvetage pour lui. Sa confiance en lui est totale au point où lorsqu’il se rend au poste de police pour avouer son crime, il va jusqu’à changer son témoignage pour ne pas l’inculper. Mal lui en prend. L’injustice dont il est victime nous remue au plus haut degré au point où à en amorçant l’épisode final, on a des flèches dans les yeux en direction de Reg. Homme de peu de mots, c’est son apathie qui frustre davantage d’autant plus qu’il parvient toujours à se sortir d’affaires. Ici, inutile de revenir sur les premiers meurtres : dans sa logique, la série est en mode crescendo et après les interrogations (ép.#1), la tristesse (ép.#2), quoi de plus naturel que de terminer avec la pièce maîtresse et la plus abjecte du tableau ? Et de ces points de vue différents, seul le décor reste constant : la masure des Christie. Murs pourrissants, jardin en friche, peu éclairée : elle n’aura manifestement jamais connu une once de bonheur… ou de vie.
Petite réflexion sur la peine de mort
Entre le deuxième et le troisième épisode, on est non seulement on est indigné qu’un verdict de culpabilité soit prononcé à l’endroit de Tim, mais révolté qu’avec la pendaison, jamais il n’aura la chance de prouver son innocence. À l’inverse, on n’attend que ça durant toute la dernière heure alors que l’étau se resserre autour de Reg. Le plan final est assez brutal : en quelques secondes seulement il a la corde au cou et la trappe s’ouvre sous ses pieds. Ironiquement, il meurt de la même manière qu’il a tué toutes ses victimes. Dans le cas de Tim, on se dit que la peine de mort s’est avérée être une erreur monumentale et à l’inverse pour Reg, on est convaincu qu’il n’a que ce qu’il mérite. Alors ? Pour ou contre la peine capitale ? La mort d’une victime innocente est sans contredit bien plus grave que de laisser croupir jusqu’à la fin de ses jours un meurtrier, aussi horribles ses crimes soient-ils. Toute cette triste histoire aura au moins contribué à la réflexion concernant épineuse question: le cas de Timothy Evans sera pris en exemple lorsqu’on décidera en 1965 au parlement de Londres de suspendre la peine de mort… jusqu’à son abolition complète dans tout le Royaume-Uni en 1971.
Le premier épisode de Rillington Place a été regardé en direct par 5,09 millions de téléspectateurs, se classant au 15e rang des émissions les plus vues de la semaine du 28 novembre, ce qui n’est pas si mal. Espérons seulement que les pays étrangers feront l’acquisition de la série dans un avenir prochain, à moins que Netflix ou Amazon ne leur emboite le pas.