Aucune langue ne suffit vraiment pour dire ce qu'il y aurait à dire.
Marina Skalova s'exprime ainsi dans l'introduction de son recueil bilingue de courts poèmes, Atemnot (Souffle court).
Elle a choisi d'écrire dans deux langues, le français et l'allemand (sans majuscules aux noms...), qui ne sont pas pour elle des langues maternelles. Cette écriture à deux langues lui permet de réduire les insuffisances de l'une et de l'autre pour exprimer ce qu'elle a à dire.
Elle précise, d'ailleurs, toujours dans l'introduction:
Le recours à la traduction permet, pour moi, de mettre en résonance les langues, en introduisant toujours de légères variations, tout en ne s'installant réellement dans aucune d'entre elles.
Elle laisse donc libre le lecteur d'interpréter comme il l'entend ce qu'elle dit - ce que, de toute façon, il fait -, mais elle lui balise davantage les pistes qu'il empruntera pour la comprendre.
Le recueil détaille en quatre parties ce qui fait manquer de souffle:
- Figures du corps
- Nuit(s)
- Ceux qu'on foule aux pieds
- Territorien (c'est le seul titre qui ne soit pas bilingue)
Dans Figures du corps, Marina dessine en peu de mots ce que peut être la défloration chez la femme et elle ne traduit pas ces deux vers essentiels qui disent brûlure ressentie et moment inoublié:
weggeätz
hier soir
chaque langue venant à la rescousse de l'autre, pour dire sa part de l'indicible.
La Nuit, qui peut être plurielle, évoque la durée, du moins le temps qui reste après ce qui se passe dans des draps qui ne sont pas à elle. Et quand vient le jour il faut bien:
déplier les silences
séparer
ce que l'on ne peut pas dire
de ce qui doit rester tu
Ceux qu'on foule aux pieds, ce sont les corps. Cette fois, il ne s'agit plus de nuit, au singulier ou au pluriel, mais d'une plus longue durée, de quelque chose de tragique qui s'installe:
craindre la mort
à chaque inspiration
la peur qu'elle s'intercale
comme un verrou
Et les Territorien sont ceux qui apparaissent sur les corps eux-mêmes où des lignes délimitent des frontières, telle celle qui part de la tête jusqu'au bas du dos:
du crâne à la ligne
des fesses
seul le tracé
vertical
d'une cicatrice
vertébrale
Car les frontières sont enjeux de batailles, de corps à corps...
En peu de mots beaucoup de choses sont dites. Mais ce qui est dit coupe le souffle par l'intensité qu'ils peuvent prendre, en dépit ou peut-être à cause de la concision des phrases qu'ils composent.
Francis Richard
Atemnot (Souffle court), Marina Skalova, 64 pages, Cheyne