[L'article qui suit n'est pas de moi mais d'un envoyé spécial qui tient à rester anonyme. Il a d'ailleurs mis toutes les chances de son côté en allant jusqu'à changer de sexe pour demeurer incognito sur les lieux des agapes...]
C'est pas si souvent que je mets des escarpins. Mais le jeu en valait bien la chandelle. Il faut savoir chambouler ses habitudes.
"Tu es heuuuu… jolie." m'a avoué Nicolas en rougissant un peu. J'imagine que ce n'est pas évident pour lui de se couler ainsi à mes changements… d'humeur, on va dire. Je l'ai pas embrassé. Ça lui aurait fait des traces de rouge à lèvres et puis, on était déjà en retard.
Devant la mairie (après cinq longues heures de routes semées de bûches, d'embûches et autres volailles faisane et/où à képi) la place est noire de monde. Je sais que les futurs époux on fait pas mal de connaissances à Coventry et que le blog de mademoiselle est très fréquenté, mais là, s'en est à se demander si, par hasard, Scarlett Johansson ne serait pas venue faire de l'ombre à la mariée.
L'explication de ce rassemblement est simple. Apprenant le mariage imminent de Georges et Stéphane, toutes la faune LGTB carolomacérienne (et environnante sans doute) s'est déplacée pour fêter l'événement. Je vous raconte pas les commentaires quand ils verront débarquer la promise.
Et pourtant elle est merveilleuse dans sa robe marron à traîne de tricot parsemée de chrysanthèmes en papier crépon. Quant au marié, il a fière allure dans son uniforme. Même si je n'ai jamais été fan de la minijupe plissée et des pantoufles à pompons.
Nicolas et moi nous installons dans un recoin discret de la salle des mariages (après tout, on a pas été invités) tandis que le couple fait son entrée sur le "My Way" des Sex Pistols.
La cérémonie débute avec un retard coquet.
Je capte pas grand-chose au discours de Madame le maire, mais c'est pas par manque d'attention. Juste qu'un tiers des invités traduit en simultané à un second tiers dans des idiomes divers et variés. On se croirait au pied de la tour de Babel un jour de soldes. C'est trop sympa !
Au moment du traditionnel baiser, Nicolas me passe un bras autour des épaules. Je lui balance mon coude dans les côtes. Faudrait pas qu'il profite de la situation non plus.
J'adore le lâcher de marcassins à la sortie de la mairie. Ça change tellement des froufroutements mièvres de ces colombins crétins. Ici on trempe des deux pieds dans le romantisme rimbaldien, parce qu'un petit sanglier, ça chie autant que les habituelles colombes, mais au moins on le voit venir.
Comment nous nous retrouvons embringués au vin d'honneur ? Je ne saurais trop le dire. Mais une chose est sûre, ç'aurait été dommage de manquer un buffet à la griffe si reconnaissable.
Servir un cocktail à base de bière de porto et de Bailey's c'est couillu mais ça s'accorde à la perfection avec les mignardises qui rappellent sans doute de jolis souvenirs à beaucoup de monde. Le service étant assuré par une demi-douzaine d'Albanais gigantesques, je mâche longuement mon roulé de saucisson polonais au cheddar en bombe histoire de ne pas être obligé de me resservir tout de suite. Quand je me vois proposer de goûter les feuilles de vigne au pâté de marcassin (que je n'ai plus vu depuis qu'il s'égayaient tout à l'heure, d'ailleurs) je béni le ciel d'être une fille et d'avoir emporté une pochette pour y recracher discrètement ce que j'ai en bouche tout en faisant mine de chercher un mouchoir. Mon boyfriend, lui, a eu la chance de tomber sur ce qui doit être du tartare de saumon au pamplemousse. Il pourrait m'en proposer, le salaud !
La musique traditionnelle a remplacé celle de R.E.M.. Les hommes tirent à la carabine. Quelques pigeons et une pie s'abattent, les pattes en l'air, dans les plateaux de sandwiches au concombre et de boulets sauce lapin.
J'aperçois tout à coup une jeune femme rousse qui m'évoque quelque chose, mais comme celui qui l'accompagne ne porte pas de chapeau melon, je préfère ne pas me faire remarquer en abordant de parfaits inconnus. Le copinage virtuel impose un certain devoir de réserve. La situation est déjà bien assez incongrue comme ça.
Au bout du troisième verre que je vide au pied d'un platane, ce dernier commence à montrer des signes de détresse. Il serait peut être temps de penser à rentrer.
Maintenant coiffée d'un chapeau de cow-boy, la jeune mariée vient de monter sur âne qu'elle oblige à se cabrer et s'élance au galop en poussant des cris perçants. Les invités la suivent pour la suite des réjouissances. L'endroit se vide rapidement. Il ne reste bientôt plus que des verres traînants de-ci de là, quelques flaques de vomi derrière les buissons et une paire de poules écrasées.
Je croise le regard de Nicolas. Les quelques pintes qu'il s'est envoyé lui donnent un regard un tout petit peu vague et je remarque qu'il louche pas si discrètement que ça dans mon décolleté. Pour l'heure je ne sais pas si je dois m'en sentir flattée ou pas. Je n'avais jamais eu l'occasion de réfléchir à la question.
Et comme je ne sais pas trop pendant combien de temps je vais garder cette garniture chromosomique d'emprunt, il serait peut être temps de penser à en profiter.
Nous remontons en voiture. Je baille à l'idée des kilomètres de forêt qu'il faudra traverser si on veut éviter les encombrements de l'autoroute. A la radio, on signale le contenu d'un camion citerne répandu dans un échangeur. Toute cette mayonnaise doit rendre la route très glissante. Je me prends à souhaiter… et bien que mon chauffeur me fasse le coup de la panne… et beaucoup de bonheur(s) aux mariés aussi, évidement.