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Max | Villes d'eaux

Publié le 02 janvier 2017 par Aragon

CVT_Tropique-de-la-Violence_3735.jpgÀ peu de chose près c’est la même superficie pour les deux. Je vais arrondir à 400 km2. Venise et Mayotte. Villes/Territoires d’eaux. Sérénissime pour l’une, sordidissime en plagiant Quignard pour l’autre.

Je viens de finir de lire mon cadeau de Noël, « Tropique de la violence » roman de Natacha Appanah / NRF.

L’histoire se passe à Mayotte, France. J’ai abondamment parlé de Mayotte dans mon blogue. Mayotte j’y ai habité 4 ans. Mayotte c’est un petit tapis de près de 400 km2 sous lequel l’État français cache la poussière française.

Le tapis est beau, des formes : hippocampe, passe en « S », des couleurs : turquoise comme les eaux de son plus beau lagon du monde, rouge comme sa terre latérite pulvérulente, verte comme la frange de ses cocoteraies, feuilles de ses ylang-ylang, orange comme son safran, sa cannelle, noire comme la peau de ses habitants, marron comme sa merde, sa crasse et sa misère.

La poussière que l’on cache sous le tapis mahorais s’appelle misère. À Mayotte mieux qu’ailleurs la France sait cacher sa poussière misère.

Ce livre est admirablement abominable. En résumant, c'est l’histoire d’un petit mec condamné dès sa naissance par sa naissance. Bla bla bla bla... Je sais c'est pas marrant.

Très bien écrit. Très très bien écrit. Elle est douée cette fille, cette Natacha. Elle féminise les « bangas » qui sont les cases masculines des garçons célibataires obligatoirement « jetés » par leurs parents à l’adolescence, mais ce n’est pas grave, elle ne parle pas de « Majicavo » la prison de l’île, le « nom » que l’on entend dès le premier jour passé sur le territoire, mais ce n’est pas grave, elle ne parle pas des scolos (redoutables) et des makis - incontournables - mais ce n’est pas grave, elle ne parle pas de la charia, pratiquée légalement et payée comme le sont toujours dans notre France laïque mais tellement bizarre, les ministres du culte d'Alsace-Lorraine toujours hors Concordat ou les rois de Wallis & Futuna, elle ne parle pas trop des 100 mosquées, des 100 dépôts d'immondices à l'air libre du cloaque de Boboka et des 100 collines de Mamoudzou.

Elle parle tout simplement d'enfants abandonnés et condamnés à exister à Mayotte et de l’impossibilité à vivre dans cette île française, ce territoire français de non-droit absolu, flagrant, aberrant, abominable.

À Mayotte on ne vit pas, on existe, on essaie d’exister. 100 000 clandestins sur 200 000 habitants. Des centaines d'enfants abandonnés qui errent dans les rues. La moitié de l’île est sans droit. Mayotte c’est bien pire que Lampedusa. On s’y noie en toute indifférence quand chavirent les barques « kwassas-kwassas » venant des Comores avec leurs flots de migrants clandestins, milliers et milliers de corps noyés dans le beau lagon turquoise. On s’en fout. À Mayotte pas de boulot. À Mayotte violence totale : l’île est bunkerisée à cause des pillages en règle. Si t’as pas de grilles épaisses chez toi il ne te restera même pas un rouleau de papier WC le lendemain de ton installation. À Mayotte les gendarmeries se font cambrioler et les femmes-juges violer. À Mayotte le mzoungou, le blanc, n’est qu’un bouffon pathétique.

À Mayotte il n’y a rien que de l’eau turquoise, des alizés, des larmes, de la fureur et du sang. Ce livre, à lire, si vous en avez le courage.


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