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La volonté d’indépendance économique du Maroc vis-à-vis de l’Union Européenne

Publié le 11 janvier 2017 par Infoguerre

La volonté d’indépendance économique du Maroc vis-à-vis de l’Union EuropéenneUtile est le Front Polisario quand il sème le trouble entre le Maroc et son premier partenaire commercial : l’Union Européenne. L’Algérie ambitionne un corridor d’accès à l’Atlantique, et sert ici son partenaire historique, la Russie. Celle-ci coopère d’une main avec le Royaume du Maroc, mais le combat de l’autre sur le marché européen.

Le partenariat Maroc – UE et la question du Sahara occidental

Puissance continentale indéniable, le Royaume du Maroc observe depuis deux décennies une politique d’ouverture économique forte, à travers des partenariats avec l’Union Européenne, des mains tendues à ses voisins africains mais aussi par une coopération forte avec des investisseurs étrangers, majoritairement russes et chinois ces dernières années. Ce dynamisme est illustré par la tenue en ce moment même de la conférence sur le réchauffement climatique COP 22 à Marrakech.
Nous nous intéresserons plus particulièrement ici aux accords liant le Maroc et l’Union Européenne. L’UE est en effet le premier partenaire commercial du Maroc. Examinons le projet le plus ambitieux, l’Accord de Libre Echange Complet et Approfondi (ALECA). Celui-ci nous donne de bons indicateurs quant à la position de certains acteurs liés à la rupture de l’accord commercial agricole de 2012.
L’ALECA est un accord global de libre échange, il propose des partenariats « tactiques » et d’autres plus stratégiques dans les secteurs de l’agriculture, de l’énergie et de la sécurité.
Agriculture et pêche : l’accord propose l’amélioration réciproque des concessions adoptées (en 2012) en matière de produits agricoles, produits agricoles transformés et produits de pèche. Ce premier point appelle à l’accord agricole bilatéral signé en 2012, remis en cause en décembre 2015 suite à une plainte du Front Polisario auprès de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).
Energie : Concernant l’énergie, la feuille de route fait état d’un impératif de sécurité des approvisionnements, le Maroc ambitionne ainsi d’intégrer son marché de l’énergie au marché européen. On sait par ailleurs que l’UE cherche des alternatives au fournisseur gazier quasi monopolistique russe, et des opportunités pour augmenter sa part d’énergies renouvelables dans la production de son électricité, objectivée pour 2020 par le Parlement Européen. Aussi le Maroc a géographiquement une position stratégique dans ce domaine car il est l’interconnexion des réseaux électriques et gaziers Sud-Sud ainsi qu’un potentiel d’exploitation photovoltaïque gigantesque (centre solaire Noor).
Sécurité – migration : Pour l’aspect sécuritaire de l’ALECA, on voit se dessiner des coopérations liées contre-terrorisme (CT) mais aussi sur le contrôle des flux migratoires, qui dans le contexte actuel sont intimement liés : coopération des services sur l’identification des étrangers immigrants en Europe à des fins terroristes, rumeurs récentes des attentats déjoués en France grâce aux services de renseignement marocains. A cette facette s’ajoute la lutte contre le crime organisé : éradication des cultures de cannabis et mise en vigueur d’un programme de développement alternatif (plan d’action Maroc pour la mise en œuvre du statut avancé)
Le second sujet structurant est la question du Sahara occidental : on assiste à une interminable guerre froide entre le Maroc et le Front Polisario, soutenu par l’Algérie.
Ce territoire présente plusieurs intérêts pour le Maroc : il est riche en ressources (métaux précieux / pétrole / terres agricoles / pèche / phosphates) et permet au Maroc d’avoir une plus grande ouverture sur la façade atlantique ainsi que sur les territoires plus au sud.
L’objectif pour l’Algérie est double : freiner les ambitions du concurrent régional par un appui à l’autodétermination des peuples du Sahara occidental, et par voie de conséquence de créer un corridor d’accès à l’Atlantique (propos déclassifié d’Houari Boumediene). L’Algérie est en effet dans une géopolitique de l’enfermement méditerranéen qu’elle cherche à éviter.
La façade atlantique offre une zone importante d’exploitation pétrolière offshore, les opérations de prospection sont menées par une entreprise marocaine. Les exploitations agricoles de la région sont gérées en majorité par le groupe franco-marocain Azura. La pêche est organisée autour de concessions importantes faites aux navires européens, en majorité espagnols. Les réserves en phosphate du Sahara occidental représentent ¾ des réserves mondiales connues, le principal exploitant est l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), avec un partenaire espagnol.

Maroc – Front Polisario – UE – Russie

Le Maroc : derrière la famille royale s’activent d’importants think tank, Amadeus notamment.
Le Front Polisario: est le mouvement autonomiste soutenu et armé par le concurrent algérien.
L’Union Européenne : elle cherche des partenaires commerciaux en mesure de concurrencer la Russie dans le domaine de l’énergie, et fait face à une importante problématique de migration qui dégrade son environnement sécuritaire. En Europe, le Front Polisario bénéficie de relais politiques, notamment Allemands, Français et Scandinaves. Ils surfent sur la question des droits de l’homme et du droit des peuples à s’autodéterminer.
La Russie : réalise d’importants investissements au Maroc (dans le tourisme notamment), et est aussi un partenaire privilégié dans la modernisation de l’armée royale. Elle est en concurrence avec le Maroc concernant l’acheminement du gaz et la production de phosphate. La Russie manœuvre pour contrer le partenariat lié à l’énergie entre le Maroc et l’UE. Bruxelles travaille depuis mars 2016 sur un projet de loi visant à réglementer le taux de cadmium dans les produits phosphatés importés en zone UE. La Russie est un des seuls acteurs du marché en mesure de répondre aux futures normes édictées. Le groupe OCP se trouverait dans l’obligation d’investir dans des technologies de purification de sa roche pour mettre à niveau son offre et réintégrer le marché européen.
La polémique a débuté suite à l’annulation de l’accord commercial agricole de 2012 entre l’Union Européenne et le Maroc : la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a annulé, le 10 décembre 2015, l’accord commercial sur les produits agricoles conclu en 2012, suite à une plainte déposée par l’organisation du Front Polisario, au motif que l’accord s’appliquait au territoire sahraoui, alors que ni l’Union Européenne ni ses états membres ne reconnaissent la souveraineté du Maroc sur ce territoire.
En désaccord avec cette décision, le Conseil de l’Union Européenne a introduit un pourvoi devant la CJUE le 19 février 2016. Dans sa demande, le Conseil est soutenu par cinq états membres : la Belgique, l’Allemagne, le Portugal, la France, et étonnement l’Espagne. Il faut préciser que cette dernière est en concurrence forte avec le secteur agricole marocain, notamment sur les exploitations présentes au Sahara occidental. D’un autre côté, l’Espagne exploite conjointement avec une entreprise marocaine les gisements de phosphates de la région.
La réaction du Royaume a été forte, l’ordre a été donné de procéder à une rupture des relations diplomatiques avec l’UE à compter du 25 février 2016, même après les propos apaisants de la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, l’italienne Federica Mogherini. La reprise des contacts avec l’UE est intervenue le 17 mars 2016.
L’appel a été examiné le jeudi 19 juillet 2016 par la CJUE.
Le 13 septembre 2016, l’avocat général a rendu public sa décision : il est en faveur du rétablissement de l’accord car le recours en annulation du Polisario est irrecevable. Selon lui, le Front Polisario n’a aucune légitimité ou qualité pour représenter les intérêts économiques de la population, mais souligne que les états membres n’ont jamais reconnu le Sahara occidental faisant parti du Maroc. Le verdict sera rendu dans le courant du mois (novembre).

Qui tire profit d’un froid commercial et diplomatique entre l’UE et le Maroc ?

La Russie parce qu’elle s’impose en tant que partenaire et investisseur privilégié au Maroc si l’UE lui fait défaut. On a ainsi pu observer un voyage de la diplomatie marocaine en Russie quelques jours après la publication de l’arrêt de la CJUE annulant l’accord commercial agricole de 2012. De plus, la Russie a peu intérêt à voir le Maroc collaborer avec l’UE pour lui offrir une alternative à son approvisionnement en gaz.
Pour aller plus loin, il serait intéressant d’identifier les acteurs influençant la future réglementation sur le taux de cadmium dans les phosphates importés en UE. En cas d’application de ces mesures, la Russie serait grande gagnante car elle s’imposerait à l’UE en tant que fournisseur de produits phosphatés à taux de cadmium bas. Plusieurs voix se sont élevées pour critiquer la teneur de l’étude motivant la réglementation.
L’Algérie et son mouvement régional de déstabilisation (Front Polisario) tirent aussi un intérêt certain à un ralentissement des partenariats du Maroc avec l’UE : cela freine les ambitions africaines du Maroc. Le cœur de la discorde repose à Alger, il n’y a question du Sahara occidental que parce que l’Algérie n’accepte pas de voir que son voisin marocain se retrouve doté d’atouts géopolitiques considérables qui vont faire que dans les années à venir le Maroc va avoir un rôle déterminant dans la géopolitique de l’Afrique. L’Algérie en dépit de ses richesses découvertes par la France au Sahara n’est qu’un état enclavé par la Méditerranée.
Fort de ces constatations, on observe une volonté d’indépendance économique du Maroc vis-à-vis de l’Union Européenne. L’UE déçoit ce partenaire stratégique par la manipulation aisée de ses institutions, et s’ingère dans des questions de légitimité politique et territoriale très sensibles pour les marocains et leur monarchie. La question sécuritaire est presque occultée alors qu’elle devrait être source de compromis importants dans le contexte actuel.
De fait, le Maroc n’a que l’embarras du choix quant à ses futurs partenaires : investisseurs russes, partenaires africains : les vallées du fleuve Sénégal et Niger sont toutes deux naturellement tournées vers le Maroc.

Thibault Chanteperdrix

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