Magazine Cinéma
Avant même de voir Rogue One, on connaît l’intrigue. Rien de moins que le légendaire vol des plans de l’Étoile Noire dont se servent les Rebelles pour anéantir la super-arme impériale dans Star Wars IV : Un nouvel espoir (1977). La question n’est donc pas tant : vont-ils réussir ? mais plutôt : quel est le prix à payer pour lancer un mythe cinématographique ?
Comme dans Le Réveil de la Force (J. J. Abrams, 2015), le nouvel univers Star Wars est en rodage avec Rogue One. Disney ne sait pas encore comment se situer par-rapport à la mythologie créée par Lucas. Indéniablement, les studios font montre d’admiration envers le grand œuvre passé. Mais là où Abrams, génial rénovateur de franchises, embrassait le mythe pour l’explorer de manière introspective, Gareth Edwards, réalisateur de Rogue One, s’efface pour produire rien d’autre qu’un prélude effréné du tout premier film de la saga.
Les premiers plans auguraient pourtant d’une nouvelle manière de filmer, dans la continuité de l’esth-éthique sensorielle du Réveil de la Force. Placée au ras du sol lors de la séquence inaugurale, la caméra avance en collant littéralement aux bottes des Death Troopers. On aurait pu espérer qu’elle poursuive en cette voie, explorant les secrets du Mal à la manière dont Abrams filmait les brusques sautes d’humeur de Kylo Ren (Adam Driver) dans le précédent volet. Or, ce début sensorialiste, où l’on entrevoyait la patte d’Edwards dans sa manière de fragmenter les corps, comme il le faisait dans son Godzilla(2014), disparaît bien vite dans un récit d’initiation on ne peut plus classique où la narration et le désir de faire la jonction avec Un nouvel espoir prennent le pas sur l’univers visuel.
À force de trop vouloir se présenter comme le film charnière, Rogue One perd toute personnalité. Ce n’est pas en multipliant les private jokes et les références à la trilogie originale que Disney parviendra à mettre en place un univers esth-éthique cohérent et singulier, à la différence de la prélogie, où Lucas rompait radicalement avec le caractère bon enfant des trois premiers opus.
Le grand problème de Rogue One est son absence totale de prise de risques, pourtant nécessaire dans la ré-interprétation d’un mythe. Exemple frappant, la désastreuse utilisation d’images de synthèse, au lieu d’acteurs en chair et os, pour figurer le gouverneur Tarkin et la princesse Leïa. Sans doute par peur de froisser un public de fans, ou par admiration dévote et stérile envers Un nouvel espoir, les studios ont refusé d’offrir un nouveau visage, et donc un nouveau sens, à des figures mythiques. Dès lors, le récit se contente de reprendre des lieux bien connus de la mythologie (Tatooine alias Jeddah, la Tour de Scarif alias les dédales de l’Étoile Noire), d’en changer le nom et d’y rejouer les mêmes aventures qu’auparavant. Recyclage sans imagination d’un univers pourtant si plastique.
À la différence du Réveil de la Force, où J. J. Abrams creusant des visages et des lieux bien connus de l’univers, développait une esth-éthique des ruines et des petites choses, à l’image des superbes séquences parmi les carcasses mécaniques de Jakkuh, Rogue One amoncelle les reliques sans leur donner de sens. On aurait pu espérer d’un casting qui donnait les meilleurs rôles à une femme (Felicity Jones pour Jyn), un Latino (Diego Luna pour Cassian) et deux Asiatiques (Donnie Yen pour Chirut et Jiang Wen pour Baze) qu’il donne à voir le rôle des oublié.es, politiquement et sociologiquement, des précédents opus. Or, c’est dans la joie et la bonne humeur, sans vraiment d’interrogation sur leur marginalité, qu’ils se dévouent pour voler les plans de l’Étoile Noire, sans espoir d’être reconnu.es.
Trop solaire, le récit avance inéluctablement, qu’importe les pertes, pour faire la jonction avec la trilogie originale. Quel est le prix à payer pour lancer un mythe cinématographique ? Sacrifier systématiquement toutes les figures anonymes qui le précédaient.
Rogue One : A Star Wars Story, de Gareth Edwards, 2016Maxime