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Trois corps adolescents, aux formes athlétiques moulées par leurs combinaisons de surfeur, plongent dans la mer. Avec eux plonge la caméra. Et, sous la surface, contemple les grandes masses liquides se déchirer et s’unir, en un vivant tableau digne de Turner. Décomposé en une kyrielle de gouttes d’eau, l’élément marin révèle la puissance double qui l’habite : flux de vie et de mort, il célèbre le courage de vivre des jeunes garçons qui osent le défier, en même temps qu’il annonce la mort de l’un d’eux.
Séquence presque initiale de Réparer les vivants, après une fugue nocturne où l’objectif capte avec brio lumières et ténèbres de la ville endormie, la séquence de surf concentre toute la force et la beauté de la caméra de Katell Quillévéré. En désintégrant chaque objet en atomes qu’elle recombine autrement, la cinéaste compose une magnifique poésie des éléments, une ode à la nature changeante des choses.
L’histoire de Réparer les vivantsporte précisément sur le caractère transmuable des éléments ainsi décomposés. Simon, adolescent plein de vitalité, subit un grave accident de la route qui le laisse en état de mort cérébrale. Ses organes étant intacts, la question sera de déterminer très rapidement si ses parents acceptent de les donner à des patients en attente de greffe, telle que Claire (Anne Dorval), atteinte d’une maladie dégénérative du cœur.
Enjeu scénaristique, enjeu moral, enjeu poétique aussi, le cœur de Simon, capable de passer d’un corps à un autre, matérialise la conception hybride que Quillévéré a des êtres et des choses. Comme le titre, oxymorique puisque le terme de « réparer » ne convient pas à des êtres vivants, l’indique, nous sommes avant tout des alliages, constitués d’éléments qui circulent dans le monde, et que la science, l’art et la solidarité humaine mettent en correspondance. Le leitmotiv du petit air de piano que joue une amie et amante de Claire accompagne chaque moment clef de cette histoire de cœur : aussi bien lors des souvenirs de l’amour de Simon et Juliette que lors de l’opération chirurgicale.
Baigné dans une atmosphère musicale propice à la rêverie et à l’amour, le cœur de Simon, qui apparaît de manière crue à l’écran, se charge d’une intense affectivité. Ce n’est pas seulement le cœur de Simon que l’on transporte : c’est son cœur et tout ce qu’il a vécu. Et Claire ne sera pas la seule à recevoir la greffe : pour le restant de ses jours, elle formera un nouvel être, Claire-Simon.
Réparer les vivants, de Katell Quillévéré, 2016 Maxime