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On avait l’an dernier à l’Orangerie une exposition sur « Apollinaire, le regard du poète ». On y avait vu en quoi la critique d’art avait servi à valoriser les peintres de la modernité – Picasso au premier plan – dans le Paris de la Belle Époque. L’exposition « Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoutkine » qui se tient à la Fondation Louis Vuitton en est complémentaire. Après le critique d’art, voici le collectionneur, l’esthète qui a su, par son goût et son appui financier, façonner une certaine modernité occidentale.
À l’imitation du marchand d’art russe, l’exposition que lui consacre la Fondation fait l’étalage d’une prodigieuse abondance d’œuvres d’art. À voir autant de Monet, de Derain, de Picasso inconnus du public français, tenus cachés dans les musées de l’Ermitage et Pouchkine, on redécouvre, avec une curiosité insatiable, ces peintres que l’on croyait si bien connaître.
Aussi riche soit-elle, l’exposition ne verse pas dans une esthétique salon outrancière. Un décor gris minimaliste, sans austérité toutefois, fait ressortir les correspondances qui se tissent entre les œuvres accrochées dans chacune des quatorze salles. Dans la dernière salle, les carreaux qui ornent le costume d’arlequin du Mardi gras de Cézanne servent de matrice formelle aux épurations géométriques qui s’en inspirent, du cubisme d’un Picasso au Carré noir et à Une femme avec un râteau de Malevitch.
Rythmée par des photographies du palais qu’habitait Chtchoutkine, où il avait disposé ses pièces, la muséographie dresse ainsi un parcours cohérent, précis et athlétique à travers les trésors du collectionneur. Les panneaux explicatifs, ternes d’aspect, brillent par les interprétations profondes, sérieuses, et exigeantes des tableaux présentés. Ceux de la neuvième salle, la plus petite, dédiée aux rares natures mortes de la collection, parviennent à faire émerger à partir de pièces mineures de Cézanne, Gauguin, Picasso et Derain, des enjeux parmi les plus importants de la peinture moderne, comme la rupture de l’illusion représentationnelle au sein du cubisme.
Seconde exposition de la Fondation, après « Les clefs d’une passion » l’an dernier, « Icônes de l’art moderne » renforce un peu plus la position du lieu dans le champ de l’art contemporain en France. Avec des œuvres rares et un discours théorique rigoureux, la Fondation Louis Vuitton se place en rivale de Pompidou, du Musée d’Art moderne, du Palais de Tokyo et de la Fondation Cartier.
Et, transmuant un argent sale en valeur symbolique, plus ou moins comme Chtchoutkine, blanchit la réputation de Bernard Arnault, propriétaire de la Fondation.
« Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoutkine », à la Fondation Louis Vuitton jusque au 20 février 2017
Maxime