Magazine Cinéma

Multiverres

Par Balndorn
Multiverres
Bleus, rouges, verts, violets…  
Cercles, carrés, jets incandescents…  
Des yeux qui apparaissent.  
Des formes qui disparaissent.  
Dr Strange, incrédule quant à l’existence de la magie et des corps astraux, en fait brutalement l’expérience, projeté dans l’infinité du multivers par l’Ancien.  
Trip magique, trip existentiel, trip cinématographique, cette première expérience du multivers représente l’une des séquences-phares de Doctor Strange, dernière production Marvel en date, dont elle incarne le désir de révolutionner la perception humaine de l’univers. 
Doctor Strange prétend changer le paradigme phénoménologique des spectateurs par le biais des effets spéciaux numériques. Comme on change ses verres de lunettes et redécouvre le monde, la 3D, plus que jamais immersive, donne à sentir une expérience novatrice, où les repères traditionnels d’espace et de temps s’abolissent dans une forme d’abstraction géométrique cyclopéenne. Les séquences d’action surprennent, parce qu’elles créent à la fois du chaos, par l’ampleur des destructions, et de l’ordre, du fait des constructions régulières que les magiciens opèrent dans l’espace.  
Malléable, ce dernier semble changer de substance tant le cinéma numérique ne cesse de l’altérer. Pour une fois, la synthèse ne cherche pas à imiteravec plus de réalisme le monde existant, mais, par sa faculté à modeler la chair même des images, arrive à créer une nouvelle pâte d’univers. Le multivers se comprend alors comme l’ensemble des possibilités spectaculaires que peut développer un cinéma numérique, qui va au-delà de la perception humaine. Un rêve plastique pour une machine cinématographique qui se croit démiurge.
Oui mais. Ces rares et intenses séquences d’action s’inscrivent parfaitement dans un scénario initiatique on ne peut plus balisé. L’histoire du Doctor Strange est, comme toutes celles de super-héros depuis le lancement du Marvel Cinematic Universe, l’histoire d’une renaissance. Ce qui prime dans la découverte du multivers, c’est l’acceptation de ce nouvel ordre de réalité par le héros, bien plus que la plongée dans un paradigme phénoménologique radicalement différent du nôtre. En somme, le multivers ne sert que de décor au parcours initiatique du film. La quête de Doctor Strange reste humaine, et non plastique.  
On est loin des visions de Cooper dans le trou noir de Gargantua (Interstellar) ou celles de Bowman au-delà de Jupiter (2001 : l’Odyssée de l’Espace). Pour Cooper, le cœur du trou noir bouleversait essentiellement tous les repères spatio-temporels qui avaient encadré sa condition humaine jusqu’alors. Son expérience de vie l’amène ainsi à dépasser ce qui faisait jusque là son humanité. Pour Bowman, le voyage interstellaire se mue en errance plastique, où le spectateur, dont le sens logique s’est égaré bien avant Jupiter, se laisse prendre au piège d’hallucinations visuelles marquantes.
C’est que là où Interstellar et 2001 proposent de véritables mystiquesde l’image, autrement dit une réelle plongée dans le tissu même de nos représentations du monde, voire de notre perception, Doctor Strange se contente platement de faire une belle surface, où ne tremble aucune profondeur. Les quelques séquences spectaculaires, si elles concentrent tout ce que le cinéma numérique sait faire de mieux, n’en restent pas moins cadenassées dans une mythologie Marvel qui s’offre une nouvelle patine – et rien de plus.
                                 Multiverres
Doctor Strange, de Scott Derrickson, 2016
Maxime

Retour à La Une de Logo Paperblog