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Mystères du regard

Par Balndorn
Mystères du regard
Midnight Special
. Un titre qui renvoie à la « séance spéciale », consacrée aux films fantastiques.
Un titre qui renvoie au caractère trouble, tabou, ambigu, de la vision.  
Esth-éthiquement et thématiquement, Midnight Special prolonge et renverse Take Shelter, le premier grand succès de Jeff Nichols.  
L’intrigue y ressemble beaucoup, mais cette fois-ci, les rôles s’inversent. Alors que dans Take Shelter, le père (Michael Shannon) semble en proie à des visions dont il ne sait si elles sont prophétiques ou délirantes, ce qui le rend très protecteur vis-à-vis de sa fille unique, Midnight Special met en scène un enfant aux pouvoirs de vision certains, objet de rivalités entre le père (encore interprété par le puissant et silencieux Michael Shannon) et une secte qui y voit son sauveur. 
L’enjeu diffère d’un film à l’autre. Dans Take Shelter, il est question du surnaturel, de la folie, d’une paternité en crise dans une Amérique en quête de sens après les traumatiques années 2000 : sceptique, le visionnaire tente de se faire une raison et de reprendre sa place dans une société dont il sent la fin prochaine. Dans Midnight Special, le caractère visionnaire de l’enfant ne fait pas de doutes, mais son rôle dans la société pose d’épineux problèmes ; sera-t-il l’Élu rédempteur d’une communauté (le Ranch) volontairement coupée du monde, ou s’épanouira-t-il en tant qu’individu singulier ?  
Simple, l’intrigue se trouble dans la mise en scène des visions. Contrairement à Take Shelter, nous ne les vivons pas depuis l’intériorité du personnage. Nous sommes spectateurs extérieurs, jamais témoins pouvant attester de la vérité des rêves.  
Tous les personnages parlent de la force des visions d’Alton, l’enfant-élu. Mais nous, nous ne voyons d’elles que des spectres lumineux, puissants et destructeurs. Nous n’avons que des sensations de leur force ; mais précisément, l’un des membres du Ranch, interrogé par la police, décrit la communion mystique avec Alton comme une expérience au-delà des images, comme un « sentiment ».  
Peut-être touche-t-on là une clef du cinéma de Jeff Nichols : la nature profondément opaque des images. De même que les derniers plans de Take Shelter résident dans le reflet énigmatique d’une vitre, dont on ne sait s’ils confirment ou infirment les visions du père, de même la mise en scène de Midnight Special interdit l’identification, la communion mystique directe avec l’image.  
Toujours médiatisée à travers le regard d’un sujet ou le reflet d’un objet, cette dernière apparaît comme un phénomène ambigu, indépendant de la volonté des hommes. Leur tâche ? Juger, analyser, interpréter ; choisir ce qu’ils veulent faire dire aux images.
Jusqu’à ce que, prudemment elles se révèlent dans toute leur majesté, dans des proportions si sublimes qu’elles outrepassent les petits cadres humains.  
Le cinéma de Jeff Nichols, tribunal et révélation des images.  
Midnight Special, de Jeff Nichols, 2016
Mystères du regard
Maxime

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